En 1993, Steven Spielberg révolutionnait à jamais l’ère des blockbusters avec Jurassic Park, utilisant les dinosaures pour réfléchir à l’avenir du milieu du cinéma et au divertissement en général. En 2022, Colin Trevorrow clôt la saga en mettant ses créatures de côté et en offrant le pire de ce que les séries B des années 90 pouvaient offrir. La boucle est bouclée.

Résumé : Les dinosaures font désormais partie du quotidien de l’humanité entière. Un équilibre fragile qui va remettre en question la domination de l’espèce humaine maintenant qu’elle doit partager son espace avec les créatures les plus féroces que l’histoire ait jamais connues.

Il est de bon ton de pleurer sur le traitement des blockbusters actuels au vu de l’échec permanent que l’on peut constater dans la reprise de licences connues. « C’était mieux avant », pourrait-on répéter comme certains YouTubeurs boomers, la misogynie et le racisme immondes en moins. Malheureusement, bien que la saga n’ait jamais été réellement à la hauteur du premier opus, il faut bien admettre que l’on sort déçu de ce dernier volet de  Jurassic Park, devenu World en 2015 sous l’égide de Colin Trevorrow. On peut d’ailleurs légitiment se demander ce que serait devenu la licence dans d’autres mains car ce Monde d’après cumule le pire de ce qui a été fait auparavant, tout en reniant des aspects pourtant inhérents à ces films. Il y aurait ainsi beaucoup à écrire sans doute sur l’actionerisation adoptée par cette franchise, en particulier dans cet opus qui aurait fait se demander à Ian Malcolm si des dinosaures étaient prévus dans ce film de dinosaures. Car oui, de moteurs narratifs et symboliques, représentatifs du pouvoir de la fiction et des dérives scientifiques et techniques, ces créatures se sont transformées en paysage de fond, des ajouts à un monde qui ne réfléchit même plus à leur présence. Les jouets vont se vendre mais le tout fera pleurer les personnes étant venues pour les voir tant leur place s’avère décentrée dans un récit qui appelait pourtant à un rôle essentiel dans la narration.

Les premières minutes rappellent ainsi la libération des dinosaures dans notre monde et interrogent même comment notre planète pourra faire avec cette cohabitation contre nature. Les prémisses sont passionnantes, mais le scénario évacuera rapidement le tout pour se diviser en deux intrigues jamais réellement chargées du pouvoir de réflexion et de fascination de sa base originale. Oui, les dinosaures sont présents mais ils ne seront jamais tellement véhicules d’effroi ou de fascination si ce n’est à quelques rares exceptions comme ces plans documentaires qui auraient dû servir de base aux visuels du film et non de simples fulgurances. Ici, on alterne entre mission de sauvetage et enquête sur des sauterelles modifiées, ce qui aurait pu servir les questionnements génétiques inhérents à la licence si ce n’était traité avec la même subtilité qu’une blague de Bigard. Cette comparaison pourrait paraître exagérée mais au vu de la grossièreté du film dans tous ses points, il n’est que plus cohérent de rappeler l’absence de grâce, grâce que pouvait avoir le premier film ou même les autres opus. Lorsque les personnages, coincés dans un combat de dinosaures, lâchent qu’ils n’ont pas leur place dans ce duel, ils ont tout à fait tort tant ce sont les créatures qui semblent hors propos dans le film.

On peut même s’interroger sur le propos du long-métrage par son traitement promotionnel. Ainsi, le court diffusé sur YouTube,  Battle at Big Rock, ou l’ancien prologue de 5 minutes coupé avant d’être diffusé sur les réseaux sociaux exprimaient plus d’envie de divertissement et de prolongation des ramifications réflexives de la saga que cet opus si vain qu’il ne peut-être que décevant. Non pas que le film ne divertisse jamais mais il le fait à la manière de ces films d’action lambda interchangeables qui résonnent plus comme un amas de références que comme un réel projet avec sa propre personnalité. Quand un saut par une fenêtre durant une poursuite rappelle un épisode de Jason Bourne, on peut s’interroger sur l’envie de Trevorrow et des studios de s’immiscer plus dans l’action bourrine que dans le divertissement familial. C’est sans compter la déférence factice envers la saga par un fan service mal agencé, produisant de nombreux clins d’œil qui ne font que grincer des dents par l’hétérogénéité de leur traitement. Ne parlons pas des personnages originaux, profitant plus du charisme de leurs acteurs que d’une écriture engageante, et plutôt de placements absolument lourds, tel ce t-rex qui se déplace derrière un cercle pour rappeler le logo de la saga. Vaine tentative de ranimer sa ferveur, comme ces envies de faire du gringue à l’original sans savoir que le jeu de comparaison ne pouvait que tourner en opposition à un film qui n’hésite pas à renier des points de scénario de l’opus précédent, pourtant écrit par la même équipe et ce même s’ils étaient cruciaux dans le développement des personnages.

C’est enrageant car, même avec ses imperfections, la partie Jurassic World de la saga a de beaux restes. Pourtant, l’écriture cynique du film de 2015 laisse ici place à du vide, là où l’on pouvait parler de critique méta textuelle pour justifier les aspects les plus ironiques du récit. Ne nous hasardons même pas à la comparaison visuelle avec la mise en scène de Juan Antonio Bayona sur Fallen Kingdom, embrasant les aberrations génétiques de l’intrigue pour quelque chose d’émotionnellement chargé et ayant au moins l’audace de proposer de beaux plans symboliquement significatifs. Ici, la réalisation oscille entre le télévisuel et l’uniformisation blockbusteresque, évacuant l’ampleur pour une platitude désespérante. Le manque d’ambition du long-métrage frappe dans l’absence d’idées, si l’on excepte la volonté de représentation réaliste de la présence de dinosaures dans notre monde. C’est peut-être la chose la plus déprimante du film : alors même qu’il a tout du blockbuster estival, il le fait sans réelles idées, avec une envie de faire comme les autres alors même que l’idée de la franchise était son unicité. Transformer son outil marketing principal en décor de fond veut tout dire, cherchant à plus se concentrer sur des personnages humains à l’écriture clichée et mécanique. Ces protagonistes sont autant dénués d’émotions que la réalisation, ce qui souligne une cohérence artistique d’une façon mais ne fait que renforcer les regrets par rapport à cet épisode.

Que reste-t-il de la saga, des dinosaures, de leurs beaux jours ? Une photo, vieille photo, d’une franchise qui a su se montrer resplendissante, passionnante et marquer la culture populaire durablement tout en se permettant de l’interroger avec honnêteté et passion. Ici, on ne sait dès lors que sauver réellement de cet opus dramatiquement vain. On pourrait parler d’un usage plus fort d’animatroniques, ce qui cherche à appuyer la volonté de tangibilité des créatures (il suffit de voir l’opus quasiment full numérique de 2015 pour constater le vieillissement rapide des effets, encore plus qu’avec le film original). On pourrait louer l’intention écologique et critique envers ces manipulateurs de nature à des fins économiques si ce n’était fait avec une absence de fond et de forme. Le plaisir fan service point à certains instants, avec l’évidence de l’usage sur-appuyé de cette technique pour masquer les soucis du film. Le casting fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, c’est-à-dire pas grand-chose de pertinent. Enfin, comme cité auparavant, il y a quand même certains plans sincèrement beaux et ce sont d’ailleurs ces derniers qui clôtureront le film. Mais du reste, rien, si ce n’est la constatation amère que la licence ne veut même pas faire du Jurassique pour s’orienter vers la mécanique d’autres sagas opulentes financièrement. Voilà une aberration génétique que l’on n’espérait pas, fruit de science marketing et d’absence d’ambition qui mène à du cinéma se voulant d’attraction mais provoquant la répulsion.

Cumulant le pire de ce que critiquaient les films précédents,  Jurassic World Dominion  nous interroge sur le monde après des blockbusters aussi décevants que ce titre. On aurait souhaité louer cet opus, ne serait-ce que par un amour d’enfant pour les dinosaures en son sein, mais les personnes autour de celui-ci ont préféré pondre quelque chose de vainement divertissant et dont on ne sait même pas comment on a pu imaginer pareille orientation creuse pour une licence aussi riche en potentiel visuel, émotionnel et réflexif. C’est sans doute le pire épisode de la saga, un des divertissements les plus décevants qu’on ait pu voir et sans doute l’un des films les plus oubliables de cette année. Comme Hammond regardant sa canne avec son moustique ambré, on ne peut que constater l’amertume de ce qui aurait pu être et regretter que l’on puisse nous offrir pareil titre sans se poser plus de question sur sa qualité…