En matière de film parfaitement hermétique pour certains et jouissif pour d’autres, 2001 l’odyssée de l’espace se place en haut du podium, tout en haut. Car le film dure pas moins de 156 minutes, ce qui demande de s’accrocher pendant un bon bout de temps pour traverser les différentes étapes du film. A l’aube de l’humanité, les stations lunaires, le signal, le voyage vers Jupiter, la rébellion de HAL, le trip à travers l’atmosphère de Jupiter, le mystère de la chambre blanche, le bébé univers, chaque étape est marquée par des éléments visuels et auditifs qui lui sont propres. C’est parti pour un voyage cinématographique aussi retors qu’intense. Attention Spoilers!
Quelques indices pour tracer la route à travers l’univers
Pour appréhender le film, il est recommandé de lire au préalable l’ouvrage d’Arthur C. Clarke, écrit d’après le scénario du film élaboré avec Stanley Kubrick. Les hominidés du début sont condamnés à rester des victimes des animaux mieux pourvus en dents et en rapidité pour survivre dans un paysage désertiquement hostile. C’est parce qu’ils touchent le monolithe noir qu’ils parviennent à acquérir le don de conscience de soi et du monde dans lequel ils vivent. Un tigre ou un rhinocéros n’aurait pas pu toucher le mystérieux objet posé là par une puissance extraterrestre plus avancée, jamais nommée mais toujours présente pour observer l’évolution de leurs singes savants. Et ce n’est que lorsque ces hominidés devenus les hommes se posent sur la Lune et mettent à jour un deuxième monolithe que les démiurges sont prévenus de l’avancée de l’intelligence par l’envoi d’un signal assourdissant, avancée devenue suffisante pour les prévenir de leur existence via un signal envoyé vers Jupiter. Et les hommes sont si curieux qu’ils ne peuvent s’empêcher d’envoyer une expédition pour vérifier qui est le destinataire du signal. Voilà, c’est la première étape du film, la recherche de l’origine du monde via cette expédition comprenant un gros vaisseau, deux cosmonautes et un ordinateur de bord surpuissant, HAL. La seconde phase du film, qui est philosophiquement en deçà de la première est pourtant celle qui a rendu le film si célèbre, car elle est plus classique et presque trépidante. L’ordinateur se rebelle et veut prendre le contrôle du vaisseau en se débarrassant de ses deux occupants. Mais l’homme n’est pas si bête et malgré le meurtre de l’un d’eux le survivant parvient à débrancher HAL dans une scène forte en émotions. La conquête spatiale d’abord si chirurgicale, dépourvue d’artifices et même d’humanité gagne en humanité, et c’est lorsqu’il est au seuil du silence radio qu’HAL montre plus de sentiments que tous les humains rencontrés jusque là. Même le scientifique du début parle à son enfant vie un visiophone et montre le minimum d’émotions. Le monde spatial est aseptisé, les cosmonautes semblent ne pas suer quand ils font du sport dans leur roue, les repas spatiaux son lyophilisés et bien éloignés des standards terrestres. La conquête spatiale ressemble à une salle médicalisée toute blanche avec ses néons blafards et ses fils reliés à des respirateurs artificiels.
Jupiter ou le retour à la vie?
Ce n’est que lorsque le cosmonaute quitte le vaisseau pour rentrer dans l’atmosphère jupiterienne que le film commence à ressembler à une soirée disco. Certains spectateurs de la fin des années 60 absorbaient des acides ou des drogues diverses pour se mettre dans un état d’euphorie en phase avec la boule à facettes visuelle. L’asthénie de la conquête spatiale se transforme en euphorie cosmique, l’espace redevient cet espace de réjouissances si longtemps espérée par une humanité clouée au sol. Les 20 minutes sont fascinantes, des couleurs fardées et pigmentées dévalent dans un long couloir multicolore. Le cosmonaute est en extase, il découvre une nouvelle dimension de l’existence. Pour arriver dans une chambre à coucher de 8 sur 10 où le docteur David Bowman se voit vieillir à la fin du film, avant de renaitre. Bluffante de réalisme, l’installation impressionne par sa lumière blanche fortement agressive, non pas issue de projecteurs mais semblant provenir des éléments mêmes de cette chambre de style néo-classique. La rigueur scientifique était de mise, l’impression de vide dégagée par cette chambre semble copier l’ambiance initiale. Du blanc, de l’ordre, de la propreté, c’est comme ça que les extraterrestres perçoivent le monde humain. C’est plus de la rigueur scientifique, mais de la spéculation, de quoi faire réfléchir avant la mort du héros et sa résurrection sous forme de bébé univers, avec cette musique de Richard Strauss passée à la postérité. Et là, le spectateur peut se demander si ce bébé deviendra une planète, une galaxie ou un trou noir. Encore foetus, il est aussi grand que la terre, on peut se demander quel sera le résultat de son évolution. Deviendra-t-il un Dieu ou un diable?
2001, l’odyssée de l’espace est un concept scientifique et philosophique. Il faut accepter de s’immerger dans cette fantasmagorie visuelle et auditive pour se laisser happer par les idées développées par Kubrick et Clarke sous peine de s’ennuyer ferme voire de s’endormir. Mais quel shoot euphorisant de réflexion pour ceux qui acceptent de se concentrer!