Les aficionados de guitare électrique savent très bien ce que la guitare française doit à Monsieur Patrick Rondat, musicien respecté depuis plus de trente ans au niveau international. Après avoir débuté l’instrument sur le tard en 1977, il se forge – en autodidacte, s’il vous plaît! – une technique incroyablement solide ainsi qu’une vélocité exceptionnelle, qui contribueront à faire de lui une référence absolue dans l’hexagone à partir de la fin des années quatre-vingt. Il a joué en première partie d’AC/DC ou encore de Metallica avant de se faire connaître en tant que guitariste de Jean-Michel Jarre, aux côtés duquel il a participé, pendant près de quinze ans, à des tournées monumentales dans le monde entier. Mais c’est surtout son répertoire personnel, mené en parallèle, qui force l’admiration: dans la lignée d’un Joe Satriani – avec lequel il a joué à de multiples reprises-, d’un Steve Vai, d’un Yngwie Malmsteen ou d’un Paul Gilbert, Patrick a su se constituer une très belle discographie solo. La puissance et la richesse de ses compositions rock/metal instrumental sont toujours surprenantes et appuyées par une qualité d’interprétation à tomber par terre.
Ceux qui le rencontrent sont également marqués par son flegme, sa grande humilité et sa sagesse. En tout cas, il n’a pas hésité une seule seconde avant d’accepter cette interview et a répondu aux questions pendant près d’une heure et demi. Et malgré un caractère plutôt réservé, il accepte volontiers de parler de tous les sujets et n’hésite jamais à dire ce qu’il pense… Aujourd’hui, sa vie est partagée entre concerts, démos, masterclass, cours de guitare… et vie de famille, à laquelle il attache au moins autant d’importance qu’au reste. Fort de ses influences qui vont chercher aussi bien du côté du rock que de la musique classique, du metal ou du jazz, aussi à l’aise en acoustique qu’en électrique, il nous parle de son art avec érudition, lucidité et beaucoup de recul. Entretien avec une force tranquille de la guitare.
Bonjour Patrick Rondat! Tout d’abord, comment vas-tu?
Ecoute, ça va! Ça a été évidemment une période pas simple pour tous les gens de la culture au sens large, une période un peu difficile qui n’est pas complètement revenue à la normale. J’apprends de jour en jour que tel endroit a fermé, que tel bar a fermé, que tel lieu a fermé… Je pense que les conséquences de tout ça, on les verra d’ici un an, deux ans, trois ans… Personnellement je ne vais pas me plaindre: il y a plein de gens que je connais qui ont vraiment des soucis, moi je m’en sors. Mais c’est une période difficile, et qui n’est pas finie.
Comment as-tu vécu cette période de pandémie, les confinements successifs? Est-ce que ça repart un peu maintenant?
Ça repart doucement… Par exemple, je donne des cours au MAI [Music Academy International, NDLR] à Nancy, et là ils viennent encore de fermer dix jours… Il y a des endroits dans lesquels j’ai joué où la jauge doit être à 75% maximum… Donc il se passe encore des choses. Il y a des gens qui n’ont pas le pass, d’autres qui ne veulent pas l’avoir – et je respecte totalement ces choix-là -, d’autres qui l’ont et qui ne veulent quand même pas aller aux concerts parce que ça ne leur plaît pas… C’est une situation compliquée. Il y a eu beaucoup de fausses notes au niveau de la communication et du coup il y a des doutes, des suspicions – qui sont justifiées ou pas. Je ne vais pas rentrer dans ce débat-là ici – je crois que ce n’est pas forcément le lieu – même si je comprends les méfiances.
Pour moi ça redémarre doucement: j’ai du boulot, j’ai des dates, je bosse aussi sur des choses, donc ça va, je ne me plains pas.
Bon, on a évoqué la question un peu moins marrante! Pour ceux qui ne te connaissent pas bien, tu as débuté la guitare à seulement dix-sept ans, sans prendre de cours, et pourtant tu es devenu l’un des guitaristes français les plus techniques. Alors une question très simple: comment est-ce qu’on devient un virtuose de la guitare en autodidacte, sans internet, sans YouTube, et sans tuto en ligne?
C’est une bonne question! Bon, j’ai pris quand même quelques cours, mais c’est vrai que j’ai peut-être pris deux ans de cours sur toute ma vie – trois maximum – avec deux profs différents. Mais c’était plus pour la théorie musicale, la culture musicale, corriger certains défauts, que pour vraiment travailler la technique.
Je crois que le moteur ça a été la passion, la détermination. Je crois que c’est important. La difficulté, c’est que bien souvent – et c’est valable pour d’autres moyens d’expression – pour obtenir un bon niveau technique il faut travailler beaucoup, mais le problème c’est que ça peut devenir obsessionnel au point où tu en oublies la raison pour laquelle tu fais de la musique. La finalité devient la technique. C’est un peu le risque qu’on rencontre quand on veut devenir un musicien avec un gros bagage technique: ça devient vite l’obsession. Et ça doit l’être à un moment donné dans ta vie pour l’obtenir, mais ensuite il faut pouvoir passer à autre chose et se servir de ça dans un but musical.
Encore faut-il s’entendre sur le terme « technique », parce que souvent on associe « technique » et « vélocité ». Or la technique d’un instrument, pour moi ce n’est pas que la vélocité: faire sonner son instrument, être en place rythmiquement, avoir un joli son, avoir un timbre, pouvoir dire quelque chose avec ton instrument, pour moi tout ça fait partie de la technique! Et donc, tout ce travail-là demande des années. A chaque étape de ta vie de musicien, tu dois toujours te demander pourquoi tu travailles ton instrument, pourquoi tu joues de la guitare, pourquoi tu fais telle ou telle chose, quel est ton but… Et tu développes des choses autour de ça. Au fur et à mesure, ces questions-là trouveront d’autres réponses: au début tu veux jouer comme quelqu’un parce que tu as adoré ce guitariste, et puis tu veux copier, et puis tu veux le même son, et puis petit à petit tu veux en copier un autre, puis encore un autre… et à un moment donné tu dois être toi-même, trouver un moyen d’expression et dire quelque chose. C’est sans doute la partie la plus compliquée, plus que d’arriver à jouer des choses techniques…
Au départ, tu jouais combien d’heures par jour, juste pour avoir une idée?
J’en sais rien, le maximum! Je suis comme tout le monde, j’avais aussi la vie à côté – soit les études, soit un boulot – donc tu ne fais pas forcément ce que tu veux! On va dire entre quatre heures et huit heures, mais de toute façon ce n’est pas non plus un exploit: je le fais encore! Alors je ne compte pas mes heures mais en gros je me lève le matin, je prends ma douche, mon café, et ensuite j’ai la guitare en main dans l’heure qui suit. Je ne reste jamais sans jouer de guitare pendant une journée, et le minimum ça doit être une ou deux heures par jour.
D’ailleurs, tu joues aussi beaucoup en acoustique: sur World of Silence, certains passages d’Amphibia, de Thetys… Est-ce que tu travailles aussi la guitare acoustique de manière spécifique, et est-ce que c’est très différent de l’électrique?
Oui, c’est très différent! Ça demande un boulot régulier. Moi je suis avant tout un guitariste électrique, donc c’est vrai qu’il y a des périodes où je joue moins d’acoustique. Mais en ce moment je bosse sur une partie acoustique d’un futur album, et j’adore jouer ça. Généralement je fais une ou deux heures d’acoustique le matin, et le reste en électrique l’après-midi. C’est un instrument différent: la position est différente, il y a la dureté des cordes… C’est un instrument qui pardonne moins de choses que l’électrique.
Sur un instrument, la difficulté est de trouver le son, le timbre. Sur une électrique, tu as des slides, un vibrato, des bends, des effets de cordes, la saturation à gérer… En acoustique tu es un peu moins là-dedans. Il faut trouver ton son dans ta main droite, dans ta main gauche, dans l’attaque pour que ça fonctionne. Le son c’est une vraie quête, et quand on est plutôt en électro-acoustique ou en électrique, on pense parfois que ce son est beaucoup lié au matériel; mais même si c’est évidemment important, il y a aussi un travail à fournir soi-même pour améliorer son son. C’est pour ça que je travaille l’acoustique régulièrement.
Tu es notamment connu pour avoir tourné avec Jean-Michel Jarre pendant plusieurs années, avec à la clé des concerts gigantesques à Pékin, à la Tour Eiffel, etc. Est-ce que tu peux me raconter comment tu l’as rencontré? C’est vrai que tu l’as simplement croisé à un concert et que tu es allé le voir?
C’est à la fois vrai et faux! C’est vrai dans le sens où je l’ai vu à un concert – d’un groupe américain qui s’appelle Extreme – et je l’ai aperçu là. Mais ce n’est pas là que la rencontre s’est faite: le lendemain je mangeais avec un pote à moi qui s’appelle Jean-Pierre Sabouret – qui est journaliste – et on parlait de ce concert, de plein de choses… C’était à un moment de ma carrière où je me demandais un peu ce que j’allais faire. J’avais fait un peu le tour de mon univers metal-instru et je me sentais un peu coincé… Le plafond de verre quoi! Et puis Jean-Pierre m’a dit: « Mais tu sais, hier, il y avait Jean-Michel! Tu aurais dû aller le voir, ce sont des gens qui sont dans un autre univers mais ça peut aussi t’apporter de jouer avec d’autres gens et de collaborer avec eux. » C’est vrai que je n’avais pas pensé à le faire, je suis quelqu’un d’assez timide malgré tout…
Mais quand je suis rentré chez moi j’ai eu une espèce de regret de ne pas l’avoir fait. Et donc j’ai préparé ce qu’on appelait à l’époque un « pressbook », c’est-à-dire des photocopies d’articles de journaux en papier – comme quoi c’était vraiment une autre période, hein (rire)! J’ai été à sa maison de disque et j’ai laissé le dossier. Jean-Michel m’a rappelé quinze jours plus tard, et on s’est rencontrés – c’était fin 1991. Il m’a invité chez lui, on a mangé ensemble, on a discuté de plein de choses. Puis il m’a parlé d’un projet d’album et de tournée: à l’époque c’était Chronologie, une tournée en Europe. Et puis le reste a suivi, jusqu’au milieu des années 2000 à peu près.
En plus d’une certaine notoriété, d’une expérience de très grands concerts etc., qu’est-ce que cette collaboration t’a apporté d’un point de vue purement musical? Peut-être ce côté un peu ambiant ou atmosphérique qui caractérise certaines de tes compositions?
Oui! Alors j’avais déjà un petit peu ça dans mes albums avant de le connaître: il y avait déjà des parties planantes, avec des synthés… Mais c’est évident que Jean-Michel a eu cet impact. Et d’ailleurs il a produit mon troisième album Amphibia. Quand je parle de production, il a évidemment aidé financièrement, mais au-delà de ça il a aussi aidé artistiquement.
C’est quelqu’un qui est plus détaché de l’instrument que moi. Il n’est pas dans la prouesse technique de l’instrument, il est plus dans la création. C’est quelqu’un qui a une vision artistique au sens large, c’est-à-dire aussi bien le son, l’image, les timbres, la place des différents instruments – plus que d’être un virtuose du synthé. Et je pense qu’il m’a aussi apporté ça: le fait de prendre cette distance-là, d’avoir à la fois le côté technique de l’instrument – en ce qui me concerne – mais de ne pas être que là-dedans. Au contraire, de prendre du temps pour « mettre l’instrument en scène » par rapport à la musique, et pas uniquement vouloir prouver quelque chose avec ton instrument. Parce que c’est quelque chose qu’on fait tous plus ou moins, mais qui un peu stérile finalement…
Tu es encore en contact avec lui, ou plus du tout?
Là, ça fait un moment que je ne l’ai pas croisé. On était en contact régulier, mais là ça fait un moment… Mais il n’y a absolument aucune animosité, aucune rancœur, aucune casserole! Il est parti sur autre chose artistiquement, un truc plus électro. Il a un peu arrêté de mélanger des groupes – basse, batteries, guitare – avec ce qu’il faisait. Et hormis le fait que ça m’intéresse, au niveau professionnel, de travailler avec lui, je trouvais le mélange intéressant; je regrette un peu qu’il le fasse moins, parce que ça lui permettait, dans un contexte avec beaucoup de concurrence dans l’électro, d’arriver avec quelque chose que les autres n’ont absolument pas. Mais je peux comprendre qu’en tant qu’artiste il ait envie d’aller ailleurs! J’ai énormément de respect pour lui humainement, musicalement… C’est quelqu’un que j’apprécie, qui a de l’humour, du second degré… Donc je sais que si on se voit demain, ce sera comme si on s’était quittés la veille!
Parlons un peu de tes influences, justement: tu expliques avoir eu un premier choc à l’âge de dix-sept ans en écoutant un disque de Ronnie Montrose dans un magasin, ce qui t’a donné envie de débuter la guitare. A cette époque, d’ailleurs, tu n’as pas forcément une grande culture musicale. Alors au moment de te lancer, quels sont tes autre modèles, tes autres influences?
Il y en a eu plusieurs que j’ai adorés peu de temps après: Alvin Lee de Ten Years After, que je cite peu mais qui a été une influence. Ritchie Blackmore – Rainbow, Deep Purple – qui a aussi été une influence majeure et que j’adore toujours. Il y a eu Ted Nugent, même si c’est plus marginal mais j’ai adoré le personnage. Eddie Van Halen, qui a quand même été une révolution et qui est arrivé pratiquement un an après que j’ai commencé la guitare; ça a été un gros gros choc et je pense que ça a bouleversé la plupart des guitaristes de ma génération.
Voilà pour les personnes qui ont vraiment eu une influence… Il y en a eu d’autres, même de manière anecdotique: je pense à Carlos Santana par exemple, parce que quand j’ai commencé la guitare il y a eu Europa, un morceau instrumental qui était partout à la télé et sur les ondes radio. Et j’ai aimé le fait que ce soit un morceau sans chant, avec uniquement de la guitare, dans lequel la guitare « chante » littéralement. Donc ça a fait partie non pas des influences au niveau du jeu, mais au niveau du « concept »: j’aimais tellement la guitare que j’étais content de découvrir un morceau avec uniquement de la guitare!
Pour faire très simple, tu t’inscris dans la veine des guitariste de rock/metal instrumental, comme Joe Striani, Steve Vai, Yngwie Malmsteen… Autrement dit, des guitaristes qui ont un jeu très rapide et technique. Qu’est-ce qui t’a donné envie, quand tu as débuté, de travailler spécifiquement la technique et la vitesse? Quels sont les musiciens qui t’ont le plus inspiré dans cette recherche-là spécifiquement?
Tout d’abord Alvin Lee, qui avait la réputation d’être le guitariste le plus rapide à cette époque-là – même si c’est stupide comme truc (rire)! Mais c’est un excellent guitariste au demeurant, que j’ai eu la chance de rencontrer quelques années avant son décès, dans les années 2007-2008. C’était quelqu’un de cool, une belle rencontre. Et il y a eu Blackmore, qui avait aussi une vélocité… Je pense qu’on a tous un peu envie de ça quand on démarre… On est un peu fasciné par ça. C’est normal: toi, tu n’arrives pas à faire deux notes, et tu entends un gars qui joue à cent à l’heure, ça paraît fou, ça donne envie! Evidemment que ça donne envie… Et ça fait partie des choses qu’il faut travailler, développer.
Mon plus gros choc au niveau de la vitesse est arrivé un petit peu plus tard: c’est Al Di Meola. Ça a été mon maître absolu pendant des années, et j’ai toujours énormément de plaisir à l’écouter. Tu parlais d’acoustique et d’électrique tout à l’heure: c’est quelqu’un qui maîtrise les deux, et c’est en fait lui qui m’a amené vers la guitare acoustique. Je n’écoutais pas tellement de guitare acoustique avant, je n’étais pas forcément fan de l’instrument plus que ça, et c’est vrai qu’Al Di Meola m’a amené vers cette passion et vers ce mélange électrique/acoustique. Faire des morceaux longs, un peu progressifs, avec différents passages, je lui dois aussi ça.
Tu as ensuite joué au sein du G3 avec Joe Satriani, en 1998. Comment ça s’est fait au départ? C’est lui qui est venu te chercher? Comment est-ce qu’il a entendu parler de toi?
Ça ne s’est pas fait directement par lui, c’était par l’intermédiaire de son tourneur, Drouot Production. Il voulait faire un G3 en Europe et il voulait intégrer des Européens: il y avait Uli Jon Roth en Allemagne, un Anglais en Angleterre… Et il cherchait un guitariste pour la France, si possible un guitariste français. Gérard Drouot bossait avec mon tourneur à l’époque, donc ils se sont contactés et il a demandé à mon tourneur de lui passer un album – je crois que c’était Amphibia. C’est remonté jusqu’à Joe, qui a écouté et qui a donné son accord pour ma présence sur le G3.
Je l’avais rencontré une fois quelques années avant, pour un magazine – milieu 1991 ou 1992. Mais je ne pense pas que ça ait eu plus d’incidence que ça, je ne pense pas qu’il me connaissait. Je crois qu’il a juste écouté et qu’il a aimé.
En plus d’être un guitariste d’exception, on a vraiment l’impression que c’est un chouette mec: il a l’air de sincèrement aimer son métier, il a une énergie très communicative sur scène, il s’éclate… Toi qui le connais plutôt bien, est-ce qu’il est vraiment aussi cool qu’il en a l’air, Satriani?
Oui, vraiment! Tu parlais de contact tout à l’heure, eh bien c’est quelqu’un avec qui je suis toujours en contact par mail, assez régulièrement. Pour prendre des nouvelles, pour la nouvelle année… Et c’est quelqu’un qui répond tout le temps. Pourtant il a un planning chargé – moins dernièrement avec le Covid – mais en temps normal il est beaucoup sur les routes, et pourtant à chaque fois j’ai une réponse dans la journée. J’apprécie parce que ce n’est pas si courant que ça. Il y a deux guitaristes avec qui je suis en contact: lui et Steve Lukather. Ils ont toujours cette classe de répondre et d’envoyer un petit message de temps en temps.
Joe, le G3, c’est son idée, son bébé. C’est vrai que c’est une belle idée de pouvoir partager la scène avec d’autres guitaristes pour pouvoir proposer un truc plus fort, et il le fait bien! Et c’est vraiment quelqu’un de généreux: il n’est pas dans la compétition, dans l’égo, dans l’arrogance… Il fait son truc, il aime ce qu’il fait et il a plaisir à découvrir de nouveaux guitaristes et à partager avec eux. Il a cette confiance en lui liée à son expérience, et comme il n’a rien à prouver il accueille les autres avec sérénité! C’est vraiment que du bonheur.
Après Ronnie Montrose, tu as eu un deuxième gros choc en découvrant Al Di Meola – dont on parlait tout à l’heure – et globalement tout le jazz-fusion des années soixante-dix qui t’a beaucoup influencé. Comment t’es-tu retrouvé à aller piocher dans cet univers-là, pourtant assez éloigné du rock pur et dur?
Oui mais tu sais, quand tu es passionné par l’instrument… Il y a tellement de choses intéressantes à la guitare: la country, le jazz, le blues, le rock, le metal, le progressive, la guitare acoustique, le picking… Tu pourrais passer trente vies à faire le tour! Le jazz manouche, le flamenco… La guitare, c’est un instrument qui a ça de fascinant qu’il peut s’installer dans plein de styles, et même être irremplaçable dans certains styles: du flamenco sans guitare ça me paraît difficile, du blues sans guitare ça me paraît difficile, du metal sans guitare ça me paraît difficile – même s’il y a eu des tentatives! En fait, il y a plein de domaines où elle est quasiment irremplaçable, et c’est assez étonnant!
En l’occurrence, c’est grâce à un pote – malheureusement décédé il y a quelques temps – avec qui on bossait beaucoup la guitare. Il prenait déjà des cours avec un prof – avec qui j’ai aussi pris des cours après. Il était assez ouvert sur plein de trucs, beaucoup plus que moi d’ailleurs: moi j’étais un peu « metal/hard-rock et c’est tout ». Il habitait à côté de chez moi et il a vu que j’aimais bien la vitesse. Alors il m’a dit: « Tu aimes bien les guitaristes rapides? Alors écoute Al Di Meola, tu vas craquer! » (rire). Il m’a fait écouter deux-trois albums, et il était tellement passionné par ce qu’il écoutait qu’effectivement ça m’a fait craquer. D’abord Elegant Gypsy; puis Romantic Warrior – avec Return to Forever – et là ça a été la deuxième tarte dans les dents! Ensuite j’étais un boulimique, j’achetais tous les albums de Meola et je les bossais, j’essayais de restituer comme je pouvais… C’est à ce moment-là que j’ai pris des cours, parce que je ne comprenais pas, harmoniquement, ce qui se passait. Rythmiquement il y avait des mesures composées, des trucs que je ne comprenais pas trop…
Ça a été un vrai point de départ, et c’est un guitariste que j’ai énormément écouté et que j’écoute encore régulièrement. Il a une telle maîtrise, et puis c’est un personnage qui m’intéresse vraiment musicalement.
Et puis qui touche à tout…
Oui, cette articulation, cette vélocité, cette fluidité, cette dynamique d’attaque… C’est à la fois très attaqué et très fluide. Encore plus en acoustique qu’en électrique, il m’a vraiment scotché… Même si j’aime bien son jeu électrique! Et d’ailleurs, tu parlais d’influence, si on prend des guitaristes de la même période que moi – que ce soit Malmsteen, Vinnie Moore, MacAlpine et d’autres – je pense que ce sont des gens qui ont écouté Al Di Meola; parce que quand j’ai commencé à mélanger un peu tout ça, j’ai eu un jeu qui a vite été qualifié de « malmsteenien » ou proche de Vinnie Moore… Alors que ce sont des gens que j’ai très peu bossés en fait! Mais quelque part, quand tu mélanges le hard rock avec un côté Blackmore un peu classique et des phrases en « aller-retour » inspirées de Meola, tu arrives pas loin de ça… Et je pense que tous ces gens-là ont écouté Meola.
Justement, il y a une technique de main-droite que tu as empruntée à Al Di Meola et dont tu es devenu un grand spécialiste: c’est « l’aller-retour ». Est-ce que tu pourrais expliquer aux non-guitaristes en quoi ça consiste exactement, et surtout qu’est-ce que cette technique apporte à ton identité musicale par rapport à d’autres techniques proches?
Alors c’est tout simple, le principe de base est on ne peut plus bête: quand tu fais ta gamme, tu attaques la première note vers le bas, la deuxième note vers le haut, la troisième note vers le bas, la quatrième note vers le haut – même si elle est sur la corde d’à côté -, etc. En résumé, que tu changes de corde ou non, tu gardes toujours ce mouvement « un coup vers le bas, un coup vers le haut ». Certains guitaristes – tu parlais de Satriani par exemple – mettent un seul coup de médiator et ensuite font beaucoup de notes uniquement avec la pression de la main gauche – et la saturation. D’autres, comme Malmsteen, utilisent ce qu’on appellent de l' »economy picking », c’est-à-dire une sorte de mélange: parfois ils lient les notes comme Satriani, et quelquefois ils rattaquent toutes les notes vers le bas quand ils changent de corde. Donc ça donne un son différent; tu gagnes un peu en vitesse, mais tu as moins l’avantage de l’aller-retour: ce côté très staccato, très équilibré, très articulé des phrases, parce que comme les notes sont toutes attaquées une par une avec un sens qui s’inverse une fois sur deux, tu as un truc qui est vraiment très articulé – et notamment en acoustique. Moi ce qui m’intéressait, c’était ce mouvement-là: ce côté détaché, puissant, rythmique, et très staccato que j’aime.
Et moins legato donc…
J’en fais aussi, je fais d’autres trucs… Mais c’est vrai que l’ossature de mon jeu vient de là oui.
On a parlé de jazz. En France, on a de très grands guitaristes jazz. Tu as d’ailleurs repris Nuages de Django Reinhardt, mais de nos jours on en a aussi beaucoup: Sylvain Luc, Angelo Debarre, Jean-Marie Ecay… et puis Biréli Lagrène, qui d’ailleurs joue beaucoup en électrique et qui fait de la fusion. Tu en as déjà rencontré certains, joué avec l’un d’eux?
Angelo je l’ai rencontré deux-trois fois, et on a joué une fois ensemble. C’est un guitariste fabuleux, et puis il est aussi du coin! Je crois même qu’il faisait de la batterie dans un groupe qui jouait du Deep Purple quand il était jeune, à côté de chez moi (rire)! Et puis on a tous les deux une passion pour les vieilles bagnoles américaines…
Biréli oui, je l’ai rencontré plusieurs fois. Déjà on était tout les deux chez Dreyfus, à une période [leur maison de disque, NDLR]. J’ai joué avec lui il y a très longtemps, je crois que c’était en 1992. Oui, avril 1992! Il y avait Stuart Hamm à la basse, Christian Namour – mon batteur – et Alain Gozzo, donc deux batteurs différents. Il y avait aussi Tony MacAlpine au clavier, moi à la guitare, et sur les derniers titres Biréli est venu nous retrouver. Ce que j’aime bien chez Biréli, c’est que c’est quelqu’un qui est ouvert d’esprit: il aime bien le hard rock, il aime bien aussi les pièces classiques… Il m’avait vu faire le Presto de Vivaldi pendant un concert, et je sais qu’il a bossé des pièces de classique lui-aussi. C’est quelqu’un de très ouvert, d’extrêmement doué, de très très brillant… On s’est rencontrés sur deux-trois concerts, c’est quelqu’un que j’aime beaucoup artistiquement et musicalement. Et puis c’est un mec qui est cash, authentique. C’est un vrai musicien « dans le sang ». Moi je suis un musicien « de travail », lui c’est un musicien « dans le sang »!
On a l’impression qu’il sait tout faire, en tout cas…
Oui, et puis il joue de la basse comme Pastorius, etc. En fait, il a vraiment baigné dedans! Quand je dis que c’est un musicien « dans le sang », c’est parce que c’est dans sa famille, dans sa culture… Moi ce n’est pas mon cas: je ne suis pas un musicien « de famille », je suis un laborieux. C’est sans doute plus dur pour moi que pour lui, de jouer de la guitare (rire)! Mais bon, à force de ténacité j’arrive à faire un truc qui vaut ce qu’il vaut mais qui a le mérite d’exister!
Toujours dans le jazz: pour On The Edge, ton album de 1999, tu as eu l’idée géniale de faire appel à deux des plus grands musiciens de jazz français: Michel Petruciani au piano et Didier Lockwood au violon électrique. Comment ça s’est passé, ça aussi? C’est toi qui les as contactés? Vous vous étiez déjà rencontrés avant?
Il y a deux choses différentes. D’abord, le chapitre Lockwood: en fait on avait la même maison de disque, Dreyfus également. Et en plus j’avais joué avec son frère, Francis, sur Just For Fun: c’est lui qui joue du piano sur un morceau qui s’appelle Paysages. Donc j’ai demandé par l’intermédiaire de la maison de disque si Didier voulait venir jouer sur l’album, et il a dit oui; il se souvenait de cette histoire avec son frère, donc ça s’est fait comme ça.
Avec Michel, c’est un peu différent: tu parlais du concert de Jarre à la Tour Eiffel, eh bien c’est là je l’ai rencontré! Il était venu voir Jean-Michel, et en fait il est venu me voir après le concert pour me dire qu’il avait adoré! J’avais fait le Presto, et ce côté rock véloce ça l’a vraiment éclaté, il a vraiment aimé: mon jeu, ma façon d’interpréter les choses… Plus tard, j’ai fait mon album Amphibia qui était produit par Jarre chez Dreyfus aussi. Un jour j’étais dans la maison de disque – en rendez-vous avec Francis Lockwood pour je ne sais quoi – et quand je suis sorti, il y avait Michel avec mon album à la main et qui m’a demandé de le lui signer… Ce n’était pas quelqu’un de show-business, il n’avait rien à attendre de moi, il n’avait pas besoin de se faire bien voir par moi (rire)! Je ne représentais pas grand-chose, et toujours pas d’ailleurs, comparé à lui! Donc voilà, ça m’a beaucoup touché…
A chaque fois que je voyais Francis, il me disait: « Michel, il met tout le temps Amphibia dans la bagnole! A chaque fois! » Et Francis, ce n’est pas un gros fan de ce que je fais musicalement (rire)! Il a joué avec moi par amitié pour Jean-Michel et par respect pour moi, mais je ne pense pas que ça ait été tellement sa tasse de thé… Alors je lui ai demandé: « Tu crois que Michel viendrait jouer sur mon album? » et Francis m’a dit: « Ah, je suis sûr qu’il viendrait! » Donc j’ai demandé à Michel, et il a dit: « Oui oui, bien sûr, avec plaisir ». Et il est venu jouer sur l’album. Ça a été un honneur énorme de l’avoir…
Et puis son solo est vraiment incroyable…
Ah bah son solo est fabuleux! C’est l’un des trucs dont je suis le plus fier, d’avoir fait ce mélange. Parce que c’est quelqu’un qui adorait Queen, il adorait Jeff Beck, il adorait le rock, et pourtant il n’a pas fait tellement de choses jazz-rock… Je sais qu’il avait envie de faire ça, et ça ne s’est pas fait. Donc j’ai cette espèce de fierté d’avoir fait ça, d’avoir permis cette rencontre entre lui et un univers rock. Et le solo est juste fabuleux! Si je devais garder une minute de l’album, ce serait ça! Je suis content aussi du reste du morceau, de l’album… mais ce solo-là, pour moi c’est vraiment une pièce d’anthologie.
Malheureusement, il est décédé avant que l’album sorte. Ça a un peu cassé le truc, parce que j’aurais aimé faire un album jazz-rock avec lui. On avait envie, on devait poursuivre et on n’a pas pu… Et puis c’était malsain d’en parler: c’est le dernier enregistrement studio qu’il ait fait, mais on ne pouvait pas communiquer là-dessus, c’était un peu glauque… Il est crédité sur l’album bien sûr, mais on voulait aussi mettre un sticker avec son nom sur l’album pour que les gens sachent! Mais on a décidé de ne pas le faire, juste après sa mort c’était glauque. Donc je n’ai pas pu en parler tant que ça, je trouvais ça déplacé. Du coup, il y a plein de gens dans le jazz qui ne savent même pas qu’il a fait ça…
On parlait de violon électrique et de Didier Lockwood: j’ai vu que tu citais aussi Jean-Luc Ponty dans tes influences, notamment Enigmatic Ocean. Est-ce que tu as eu l’occasion de le rencontrer ou de jouer avec lui? Lui aussi aurait pu avoir sa place sur un album de Patrick Rondat, non?
Ah oui, totalement, je suis un gros fan! Sur l’album que tu cites, il y a Allan Holdsworth à la guitare qui fait des solos de malade… Cet album est incroyable: les thèmes sont incroyables, les unissons sont incroyables, et Ponty a un toucher de malade. Je l’ai rencontré une fois, oui, au studio Davout à Paris. Je crois que j’enregistrais – je ne sais plus si c’était Nuages, ou mon deuxième album. Il visitait le studio pour enregistrer, et d’un coup il est rentré dans la cabine! Je suis resté comme un con, je lui ai serré la main, j’ai dis un truc con du genre « j’aime ce que vous faîtes »… (rire) Je l’ai juste vu deux minutes! Et il y avait aussi John McLaughlin dans le studio! J’ai pu échanger un peu avec John, il m’a signé un album aussi… Il enregistrait avec les soeurs Labèque à côté, moi j’enregistrais aussi donc on s’est croisés plusieurs fois pendant un temps.
J’ai eu la chance de rencontrer des gens dans ce studio mythique, qui a malheureusement été détruit par la mairie de Paris. Je trouve ça con… Bon, j’imagine qu’ils en ont fait un truc bien, genre une crèche, et que les gens n’en attendaient pas moins d’eux. Mais quand même, c’était un studio mythique dans lequel la plupart des musiques de films des années soixante ont été faites. C’était un studio incroyable, énormément de choses ont été faites là-bas, et ça m’a embêté qu’ils détruisent une mémoire comme ça… Bon, ça c’est un petit aparté, tu n’es pas obligé de le mettre (rire)!
On va passer à ta casquette de guitariste néoclassique: évidemment, on te connaît beaucoup plus pour ça que pour le jazz! Est-ce que tu as écouté beaucoup de classique pour t’en inspirer, et est-ce que tu en écoutes toujours?
J’écoute pas mal de classique. Mais je suis moins guitariste néoclassique maintenant, en fait. On parlait de Malmsteen tout à l’heure, il y a eu énormément de guitaristes talentueux qui se sont mis là-dedans. Et moi, je me suis dit que ma survie dépendait d’une différence! Et donc, je suis parti un peu ailleurs. Mais j’ai écouté beaucoup de classique. D’ailleurs, ça a abouti à un album qui n’est pas néoclassique mais vraiment classique, avec Hervé N’Kaoua. Je ne le considère pas comme un album néoclassique parce que les compositions sont purement classiques. Et pour l’interprétation, même si c’est un instrument électrique, j’ai essayé au maximum de respecter les partitions. Hervé est un pianiste classique, concertiste, prof de conservatoire, donc il était garant de ça – pour ne pas que je parte dans un truc hors-sujet. Et c’est ça qui m’intéressait de faire avec lui, hormis le talent qu’il a et l’amitié qu’on a l’un pour l’autre.
L’aboutissement de ce projet a peut-être mis le point d’orgue à cet aspect-là, même si j’écoute toujours du classique. J’ai pu voir l’ampleur du fossé entre le néoclassique et le classique… J’en étais conscient, mais pas aussi conscient que quand j’ai commencé à bosser les pièces: entre reprendre des petits trucs, même le Presto de Vivaldi, quelques phrases, quelques plans classiques, un arpège de Paganini, etc. et attaquer vraiment des sonates pour piano et violon et les jouer avec un pianiste classique… j’ai vu le monde qu’il y a entre les deux! Dans l’écriture, dans l’interprétation… Ça a été une grande leçon musicale, et de modestie aussi. Je suis très content de l’avoir fait, cet album: il a des défauts, il n’est pas parfait mais j’en suis vraiment très content.
Et donc après, je me suis un peu éloigné du néoclassique. Au départ j’étais fan de Blackmore, c’était le premier guitariste à mélanger un peu le rock avec des pièces classiques: il avait repris la 9ème de Beethoven, et il y avait toujours des plans de Bach, etc. dans les albums de Deep Purple ou de Rainbow. Et c’est vrai que j’ai adoré ça. J’ai adoré Malmsteen pour ça, d’ailleurs: pour cette vélocité, ce vibré quasiment de violon et ce côté très lyrique, très néoclassique. Mais il l’a fait tellement bien que je me suis dit: « Faut se barrer de là! » Ce n’est pas la peine d’avoir un deuxième Malmsteen en moins bien, ça n’a pas d’intérêt. Alors il y a toujours des touches néoclassiques dans ce que je fais, mais j’essaie que ce soit uniquement quand la musique le demande. Je ne veux pas trop rentrer dans ce truc-là, il y a déjà énormément de gars qui le font bien. Je suis parti dans un truc avec un côté progressif, un côté hard rock, un côté planant, un côté blues… et un côté néoclassique, mais qui fait partie du reste.
Oui, ce n’est qu’un des aspects de ta musique. Tu n’es plus un pur guitariste néoclassique!
Disons que ça a été vrai sur mon premier album, un petit peu moins sur le deuxième, et à partir du troisième, Amphibia – même s’il y a Vivaldi Tribute dessus – ça l’est moins. Et je me sens plus en accord avec ce mélange qu’il y a dans ce que je fais depuis.
Malmsteen a révolutionné la guitare électrique en 1984 avec son album néoclassique, Rising Force. Tu as déjà un peu répondu tout à l’heure, mais: à l’époque, ça a vraiment été une influence majeure pour toi, Malmsteen? Ou pas tant que ça?
Ça n’a pas été une influence au sens « digital » du terme, parce que j’avais un jeu différent. Comme je disais tout à l’heure, j’avais un style qui était proche par mes influences – non pas que je sois un génie de la musique – mais simplement par mes influences. Par contre, c’est vrai qu’il m’a influencé sur d’autres trucs: il avait un timbre, un vibré qui m’intéressait. Ce mélange entre cette technique de gammes mineures harmoniques, avec le côté hard rock et néoclassique m’a intéressé. Et son lyrisme m’a vraiment touché! C’est quelqu’un que j’adore, qui a une vraie identité. Bien sûr, j’adore la vélocité et la fluidité qu’il a, mais ce n’est pas ce qui m’a touché le plus: là où il me touche le plus, c’est quand il en fait moins justement. Je pense à un titre comme Black Star, ou le solo de Marching Out: il y a de la vitesse, oui, mais il n’y a pas que ça! Pour le coup, il avait un truc vraiment unique – et il l’a toujours. Alors oui, on peut toujours le critiquer: critiquer la répétition de ses plans, sa personnalité, son ego, ses machins… On peut toujours trouver des choses à dire. Mais moi ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il a amené. Et son côté touchant: c’est un guitariste qui m’a vraiment foutu des frissons sur certains passages! Alors parfois évidemment, sa répétition, son hyper-exagération et ses redites de phrases rapides me fatiguent; mais il est vraiment tellement brillant que je lui pardonne tout ça…
Tu l’as déjà rencontré?
Non, j’ai failli! C’était pour une interview d’ailleurs, pour un magazine – je crois que c’était Rock Hard. En plus, ce qui est marrant, c’est que sur cette tournée-là c’était Tommy Aldridge – mon batteur sur Amphibia et On The Edge – qui faisait la batterie avec lui. Et malheureusement, le concert a été annulé! Il y avait eu une grève de camionneurs, quelque chose comme ça… Il était bloqué quelque part, il n’avait plus de matos… Et ça a été annulé. C’est la seule fois où j’ai failli le rencontrer et ça ne s’est pas fait.
Le rock, c’est le blues. Pourtant, on a l’impression que tes compositions ne sont pas énormément nourries par le blues, ni par les grandes références de la guitare blues-rock comme Hendrix, Page, Clapton, Jeff Beck… En fait, je note surtout un morceau très bluesy chez toi: Twilight, sur An Ephemeral World. Mais à part ça, il n’y en a pas beaucoup. Et pourtant, je sais que tu adores…
Oui, après je fais partie de cette génération qui s’est un peu détaché du blues. Par exemple, si tu prends un mec comme Van Halen, il cite tout le temps Clapton et Beck dans ses influences; pourtant, quand tu écoutes Eruption, ce n’est pas le truc le plus flagrant… Chez moi, tu l’as dans un titre qui s’appelle Shattered Chains aussi. Et dans Twilight, tu as entièrement raison. D’ailleurs c’est marrant parce que Twilight, c’est un morceau qui est complètement en marge de tout ce que j’ai fait, et qui n’est pas relevé par beaucoup de gens, finalement! Parfois, les gens s’attendent à quelque chose de toi, et tu as l’impression que quoi que tu fasses, ils ont ce qu’ils attendent. Donc c’est vrai que je suis content de l’avoir ce morceau, parce que c’est une facette de mon jeu qui n’est pas souvent mise en valeur dans les autres.
Le côté bluesy, il est plus dans le timbre, dans le vibré, les pentatoniques avec un tiré de corde… Mais j’ai plus été influencé par Gary Moore – et même plutôt dans sa période hard rock que dans sa période blues – parce que je jouais déjà depuis un moment. J’ai adoré Jeff Beck aussi. Tu sais, c’est marrant: parfois, les choses qui t’influencent dans ton jeu ne sont pas forcément celles qui sont les plus flagrantes dans ce que tu composes. Par exemple, j’ai des influences Pink Floyd sur certains passages, alors que je n’ai pas beaucoup écouté Pink Floyd; j’ai écouté, je connais évidemment, mais je n’ai pas passé des heures à travailler leurs morceaux. Mais par contre j’ai pris un « flash », des images d’un son de guitare avec des nappes, et c’est un flash qui a une importance pour moi. Comme Jeff Beck, qui fait aussi ce genre de choses. Avec certains guitaristes – comme pour Meola – c’est une vraie influence, un vrai travail de fond sur la technique; et pour d’autres, ce sont vraiment des flashs: un slide, un vibré, une couleur, un type d’accord… C’est tout ça qui est important, et d’ailleurs ces flashs-là sont parfois plus prédominants dans ta carrière qu’un truc que tu as beaucoup travaillé. Et donc je dirais que le blues fait partie de ces trucs-là: c’est évident que je n’ai pas un 4/5 avec une penta dans ce que je fais; par contre, sur certaines pentas, certains vibrés, on peut retrouver un côté bluesy…
Avec le recul, est-ce que tu as un morceau préféré, un album dont tu es le plus fier? Ou le plus représentatif de ton style? Dans une interview déjà ancienne, tu citais Amphibia. Mais tu as peut-être évolué depuis…
C’est difficile à dire… C’est sûr que les six parties d’Amphibia font partie des choses dont je suis le plus fier. Tu parlais de World of Silence aussi, qui est un morceau acoustique, et du coup ce n’est pas un truc qui vieillit: c’est-à-dire qu’il n’est pas lié à une production, à un son de batterie ou à un son de guitare. Il est toujours là, j’espère qu’il restera encore longtemps et j’en suis totalement fier. Il y a un titre qui s’appelle Thetys aussi, qui est sur An Ephemeral World et qui est un espèce de mini-Amphibia. Avec ça, on a déjà une bonne idée. C’est vrai qu’il y a l’album avec Hervé N’Kaoua qui amène une autre facette… J’essaie de ne pas répéter les choses, que chaque album soit différent, que mon jeu évolue, que mon son évolue… Quand je dis « évolue », ça ne veut pas forcément dire « mieux », mais « différent ». Nuages amène aussi un autre aspect de mon jeu.
C’est dur de résumer, c’est pour ça que je cite souvent Amphibia: il y a une partie acoustique, une partie planante, un côté rock, donc on me retrouve assez. Quelqu’un qui écoute les vingt-huit minutes d’Amphibia, je pense qu’il a déjà une belle vision de ce que je suis!
Passons au monde de la guitare de manière générale: quel est ton sentiment sur le monde de la guitare aujourd’hui par rapport à ce qu’il était quand tu as débuté? Quelles sont les principales évolutions que tu notes?
En fait, c’est bizarre: j’ai l’impression que la guitare – et le rock en général – a un peu le même syndrome qu’ont eu le classique et le jazz à une époque. Au début, ça part de gens un peu déjantés et très créatifs: Mozart était complètement déjanté et très créatif; Bach était aussi très créatif, moins déjanté – mais bizarre quand même! Et même Vivaldi était quelqu’un de particulier. Ensuite, ça devient une institution: ça s’enseigne, c’est codifié, et ça devient très apprêté, très soigné, très appliqué… Alors je ne dis pas que ce n’était pas appliqué à l’époque, mais on perd un peu ce côté « rock and roll« . Et pour le jazz, c’est pareil: si tu prends Charlie Parker, ou Django Reinhardt, ou Joe Pass, tu as affaire à des gens qui étaient « rock and roll » dans leur attitude, c’est-à-dire des gens habités par leur truc, avec des excès… Ce n’était pas toujours forcément très cérébral -même s’il y avait bien sûr une part cérébrale – mais ce n’était pas ça l’essentiel. Et aujourd’hui le jazz est devenu très institutionnalisé: les mecs arrivent avec les scores, ils déchiffrent les trucs, ils analysent toutes les grilles… Et je trouve qu’on perd un côté.
Eh bien j’ai l’impression que le hard rock, le rock et le metal deviennent comme ça. C’est-à-dire que maintenant, les gens ont tout décortiqué, tout appris, tout bossé, les sons, les machins, les solos à la note près… Et on rentre dans un truc qui est très codifié, avec des solos qui sont écrits, et il y a moins de création. Dans le jazz par exemple, on joue beaucoup de standards, donc des choses qui ont été faites avant. Dans le classique aussi. Et dans le rock, si tu regardes internet, tu t’aperçois que c’est beaucoup de covers de choses qui ont été faites avant: des groupes de covers, des guitaristes qui font des reprises de Dream Theater, de Malmsteen, de Satriani, de qui tu veux… On rentre un peu dans le même schéma.
De manière générale j’ai l’impression que la musique part comme elle doit partir, puis qu’elle est toujours rattrapée par une espèce de codification, d’enseignement, d’analyse… Et qu’elle finit par être jouée par des interprètes de plus en plus rigoureux, de plus en plus talentueux, mais qui ne sont que des interprètes. Ça, ça fait partie des choses que je regrette: quand je regarde sur internet, je vois 80% de gens qui font des covers ou des impros. Je vois peu de création. Il y en a, mais c’est minoritaire. Et même quand il y en a, ce n’est pas ça qui intéresse les gens, c’est-à-dire que ce n’est pas avec ça que tu fais des vues. Donc j’ai l’impression qu’internet, avec ce besoin d’être visible, d’avoir des vues ou de toucher le plus de gens possible avec un format court, fausse la création. Par exemple: si tu fais un super morceau, que tu mets six mois à le concevoir et à l’écrire, et que tu le fous sur internet, tu auras trois vues et demi; alors que si tu as douze ans et que tu fais un cover de X ou Y à deux-cent mille à la noire (rire), ça cartonne! Ou si tu es une fille par exemple. Attention, quand je dis ça, ce n’est absolument pas pour aller sur le terrain de la misogynie: on parle souvent des filles qui n’ont pas la reconnaissance qu’elles méritent dans leur travail, qui ne sont pas payées pareil que les hommes ou qui n’accèdent pas aux mêmes postes, ce qui est totalement vrai et je suis contre ça; mais sur internet, on se retrouve aussi avec des vidéos de filles qui ne jouent pas forcément bien – je ne vise personne en particulier – et qui font beaucoup de vues, alors que si c’était un mec chauve de cinquante ans, ça n’intéresserait personne! Donc on a parfois un truc qui est faussé dans l’autre sens. J’ai l’impression qu’on rentre dans le truc de l’image, de l’immédiateté, et qu’on perd un peu la créativité, la création et la profondeur de l’art.
Et sur le monde de la musique en général? Avec la puissance de YouTube mais aussi de toutes les plateformes de streaming, est-ce que tu penses qu’il est encore possible de faire de la musique de qualité et qui se vend?
Je ne sais pas… Vendre de la musique, ça a toujours été un concept bizarre, mais là ça devient vraiment très très bizarre. Si je prends un jeune guitariste de vingt ou vingt-cinq ans qui veut faire de la musique instrumentale, globalement à part faire une chaîne YouTube, des tutos, se montrer un peu… Dans le meilleur des cas il fera quelques concerts, mais le plus souvent ça va s’arrêter là. Quelques cours, quelques masterclass, quelques démos… C’est un peu le créneau dans lequel ce type de musique a fini, même si c’est un peu triste à dire. Et je ne peux pas en vouloir aux gens qui font ça, parce que quelque part c’est un peu tout ce qu’on leur propose…
C’est une période compliquée à ce niveau-là. Je pense qu’internet a apporté des choses, mais en a aussi détruit pas mal d’autres. Et je crois que c’est difficile pour un guitariste de défendre une création en ce moment. La preuve: je vois des guitaristes de talent, mais je n’en vois pas qui ont l’impact qu’ont eu un Joe Satriani, Vai, Malmsteen ou Van Halen… Je n’en vois pas arriver. Il y a des gens qui ont du talent, mais ils restent dans le monde d’internet et n’ont pas l’impact discographique qu’ont eu ces gens-là. Et même pour moi, c’est un peu pareil: l’impact que j’ai eu, modestement, dans mon petit domaine en France – ou dans certains pays d’Europe – je ne vois pas de guitaristes français actuels qui l’ont. Pourtant ils ont du talent et pourraient totalement le faire, mais c’est simplement la période qui a changé.
Changeons complètement de sujet: le nouvel album! Je suis obligé de poser la question, je fais partie des gens qui l’attendent avec impatience! Est-ce qu’il avance bien?
Oui, alors je ne donne plus de date maintenant (rire)! C’est vrai que j’ai parfois fait l’erreur de dire qu’on y était presque, et puis trois ans plus tard on en était toujours au même stade et je n’avais pas rajouté une note… Mais je peux te faire un bilan de santé du malade!
Alors globalement: moi j’ai fini mes guitares; les batteries sont faites depuis très longtemps – extrêmement longtemps – par Dirk Brunenberg; Patrice Guers a fait les basses depuis très, très, très longtemps aussi. Il reste les claviers, mais Manu Martin a beaucoup de boulot en ce moment, il ne pourra pas les faire avant janvier; et je ne peux pas vraiment l’accuser du retard, vue la mauvaise foi que j’ai parfois mise pour avancer (rire)! Donc on va dire que la partie électrique de l’album est quasiment finie: il reste les claviers de Manu, ensuite on doit faire une mise à plat d’un titre ou deux pour savoir si une maison de disque est intéressée ou pas. J’ai enregistré les guitares chez moi et on les a ré-ampées: c’est un procédé un peu spécifique, tu renvois les guitares dans des amplis et tu « réenregistres » sans avoir à rejouer; on a fait ça chez un pote à moi, et on doit voir avec ces mises à plat si le son global – avec les sons de synthé définitifs, les batteries etc. – nous paraît bien. Si ce n’est pas le cas, je « réenregistrerai » les guitares mais je n’ai pas besoin de jouer, c’est vraiment un truc qui prend deux jours. Donc voilà, dans le pire des cas j’aurai ça à refaire. Après il faut trouver quelqu’un pour mixer: et donc qui va payer le mix, est-ce que c’est moi, est-ce que c’est une maison de disque? Je n’ai pas les réponses à ça…
Et parallèlement à ça, j’avais fait un teaser pour un album acoustique avec Manu Martin il y a quelques temps. Ça n’avait pas donné ce qu’on voulait, mais ce teaser a quand même eu un impact chez des gens. On l’a réécouté avec Manu, et finalement on va faire un album acoustique. On est sur une idée de medley acoustique qui va durer entre vingt et trente minutes, avec des parties composées, des anciens morceaux que j’ai faits mais qui seront complètement retravaillés, avec des parties en moins et des parties ajoutées, des changements harmoniques, des parties raccourcies, etc. Un peu comme dans Amphibia, c’est-à-dire avec des transitions acoustiques. On a déjà bien avancé, on a écrit 20 minutes à peu près. Je dois encore écrire une intro, un peu planante acoustique. Et aussi un final. Donc j’ai encore un petit peu de boulot mais disons que ça avance!
On peut espérer une sortie en 2022. Après, ça va dépendre de la durée globale: est-ce qu’on va mettre le tout sur un seul album, est-ce qu’on fera deux albums distincts? En tous cas ce sera un package uni, avec les deux ensemble, pour environ une heure trente de musique.
Donc un album et demi en gros, un album électrique et un EP acoustique?
Voilà, c’est ça!
Et est-ce que tu pourrais nous révéler une petite info exclusive, pour nous aider à patienter, sur le style de l’album? Comme ton style évolue à chaque fois, quelle sera la petite particularité ou la petite nouveauté de celui-ci?
Alors l’air de rien, mon jeu a changé… Depuis trois ou quatre ans il est légèrement différent, les gens qui me voient sur scène et qui connaissent mon jeu notent des changements: dans l’attaque, dans la dynamique, dans les vibrés, le type de phrases… Evidemment, ça va se ressentir.
La partie électrique est assez progressive. Mais pas prog-metal à la Dream Theater – quand je dis ça, je n’ai rien contre Dream Theater, loin de là. Mais en gros, un peu moins « technique » qu’An Ephemeral World – au sens « flagrant » du terme. Une espèce de prog un peu atmosphérique. C’est difficile de décrire. Il y a des choses que je n’ai jamais faites: des rythmiques en arpège en son clair, des parties un peu planantes, des parties un peu symphoniques… Mais pas néoclassique. Des pièces assez longues dans l’ensemble, un peu comme dans Amphibia ou Thetys, des morceaux à tiroirs. Il y a peu de morceaux avec un couplet, un refrain, en gros un format chanson – il y en a un qui est comme ça mais c’est à peu près tout. Le reste, ce sont plutôt des morceaux à tiroirs.
On en a terminé avec la partie musique! Mais sur Culturaddict, on parle d’abord de cinéma! Alors une question toute bête, est-ce que Patrick Rondat aime bien le cinéma?
Oui, évidemment! Un peu comme la musique, ça a commencé par plein de choses différentes… J’ai commencé à aller au cinéma à la fin des années soixante-dix, donc ça allait d’Alien au Monty Pythons, en passant par Orange Mécanique et les Stanley Kubrick. J’adore vraiment les Monty Pythons, je trouve que ça manque un peu de nos jours ce genre d’humour… Et puis la saga Star Wars, qui a aussi démarré quand j’étais jeune, à l’époque de Van Halen. Donc ça aussi, ça a eu un impact! Et puis il y a eu la période Retour vers le Futur, les années quatre-vingt, ce côté un peu « sympa ». Comme Indiana Jones aussi, il y avait un côté aventure mais sympa, pas de stress… Après il y a eu Tim Burton que j’adorais et que j’adore toujours, notamment pour la musique d’Elfman – pour faire un retour sur la musique.
Star Wars, après les deux trilogies, j’ai commencé à lâcher un peu. J’ai un peu plus de mal… En fait, j’ai trouvé dommage qu’il vende son œuvre. Alors je peux comprendre qu’il puisse se dire que comme ça, ça va perdurer; mais j’ai peur que ça finisse par être un peu dissout dans la quantité. Je me dis que quand il y aura quarante épisodes, est-ce qu’on se rappellera que c’est parti d’une trilogie? C’est dommage, parce qu’il y a peu de gens dans le cinéma qui arrivent avec une trilogie comme ça, qui est une espèce de monument – comme l’est aussi Le Seigneur des Anneaux, par les bouquins mais aussi par les films – et où tu te dis « merde, c’est une chance d’avoir fait ça! » Et le fait de l’avoir vendu, ça va le banaliser et c’est presque dommage…
Je suis parfaitement d’accord, ça va le « diluer » puis le banaliser…
Oui, parce qu’il y a déjà neuf épisodes, après c’est un épisode sur un des mecs, puis après c’est Solo, puis après c’est machin… Donc tu ne sais plus trop où tu es, les plus jeunes ne sauront même plus d’où c’est parti! En plus, on n’en a pas parlé, mais ça fait partie des choses qui me dérangent: la dématérialisation de la société fait qu’on ne va rien laisser sur rien. Je suis peut-être pessimiste, mais on ne laissera pas de trace, ou très peu. Nos arrière-grands-parents laissaient des photos de mariage, la facture du repas de noces… Je pense à ça parce que ma compagne a encore des affaires de ses arrière-grands-parents et elle a retrouvé des factures qui datent de 1920, etc. Et je me dis: « Nous qu’est-ce qu’on a, à part des tickets de carte bleue qu’on met dans la poche, et qui de toute façon même si tu veux les garder ne se gardent pas? » Tu mets tes photos sur l’ordinateur, et trois crashs de disque dur plus tard il ne reste rien… Il y a celles que tu as imprimées, mais généralement avec l’imprimante ça se garde mal. Tu en fais tirer quelques-unes, mais pas tout… Globalement, notre vie est dans un téléphone, et en plus ces téléphones-là ont une durée de vie très courte. Pour la musique, tu vas laisser quoi à tes gosses, des playlists? Moi j’ai encore deux ou trois-cents vinyles, et j’ai mon fils de vingt-six ans qui les écoute. Ça, ça reste! Il y a encore des vinyles de années 20, 30 qui s’écoutent encore. Même le CD reste! Mais avec la dématérialisation de tout…
Un truc tout bête: combien on paie d’impôts par exemple. Bon, ça on s’en passerait (rire) – même si c’est pour la bonne cause – mais ça ne reste même pas! C’est en ligne, les gens ne sauront même pas, mes arrière-petits-enfants ne pourront même pas se dire « Tiens, combien il payait d’impôts, le vieux? ». Ils ne le sauront pas, il ne restera rien de tout ça. Ou combien je paie de téléphone? Tout est en ligne, il ne restera rien! Et donc c’est tout un pan de mémoire de la société qui est en train de disparaître. Et moi, ça me rend dingue! Je me dis que les gens sont complètement fous!
Juste-là, sur ma gauche, j’ai tous mes vinyles et tous mes CD, si ça peut te rassurer (rire)! Notamment mes CD de Patrick Rondat, ou de Satriani!
Oui, ça me rassure (rire)! Non mais c’est vrai qu’en plus, on n’est pas conscient de notre propre mémoire. L’autre jour par exemple, mon fils me sort un vinyle et me dit « Tiens, tu connais ça? » et moi je réponds « Ah oui tiens, c’est vrai que j’avais acheté ça! » Et puis quand je reprends l’objet, ma mémoire revient: j’ai acheté ça à tel endroit, c’est mon pote Vincent qui m’avait fait découvrir, c’est un album de Gino Vannelli, un album de fusion/variété… – super album d’ailleurs, Brother to Brother… Et donc quand j’ai le support, la mémoire revient! Mais si tu n’as pas le support… jamais je n’aurais pu rebondir en disant « mais tu as pensé à écouter tel autre truc? » On ne se rappelle pas de tout! Et souvent, le fait que ça existe sous forme de papier, ou sous forme d’album, ça maintient ta mémoire et ça permet à tes enfants ou tes petits-enfants de fouiller dans ta mémoire – chose que tu ne feras pas avec un téléphone ou un ordinateur. Donc tu laisses un accès à ta mémoire pour ta descendance.
C’est un truc que je trouve dramatique, vraiment. Je trouve les politiciens complètement cons de vouloir à tout prix être dans la tendance: « c’est moderne, c’est tendance »… J’ai envie de leur mettre des baffes quand j’entends ça! Je comprends qu’on ait besoin d’un ordinateur, je ne suis pas passéiste: j’ai un ordinateur, là on se parle avec Skype et c’est très bien, j’ai un téléphone et c’est bien! Mais de tout dématérialiser, je trouve que c’est un manque de vision long terme, et c’est tout un type de mémoire familiale qui va disparaître. Les mômes qui ont quinze-seize ans aujourd’hui, ils ne laisseront rien à leurs gosses, à part deux-trois photos sur Snapchat. Qui ne vont même pas rester d’ailleurs…
Ben oui, ou des photos Facebook…
Oui mais ça, ça peut faire faillite demain! C’est comme Myspace: qui va aller voir Myspace aujourd’hui (rire), ou Skyblog? Donc certainement qu’un jour, Facebook finira ou sera obsolète, ou plus intéressant pour les plus jeunes qui iront ailleurs – sur Instagram ou autre…
C’est déjà le cas!
Voilà, c’est déjà le cas, ce sont les plus vieux maintenant qui vont sur Facebook! Et donc tout ce qu’il y a dessus, un jour ce sera fini…
Bon, je ne sais pas si on peut continuer de parler de cinéma après ça (rire)!
Si si, j’essaie d’y aller! J’y suis moins allé récemment, mais je vais au cinéma assez régulièrement oui!
Quel est le dernier film que tu es allé voir en salle? Même si dernièrement c’était compliqué…
Alors là, ça fait longtemps… Honnêtement, je suis embêté pour te répondre. Je n’y suis pas retourné depuis qu’on a été déconfinés. Je sais que ce n’est pas bien, parce que c’est vrai qu’il faudrait soutenir ce truc-là… Je suis retourné au restaurant, j’ai été voir des concerts mais je ne suis pas allé au cinéma. Donc il faudrait que je me rappelle ce que j’ai été voir avant… Et là comme ça, dans l’instant, je ne pourrais pas te dire… [NDLR: après l’interview, il précisera par message qu’il s’agissait de La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro]
Ce sont souvent les films d’enfance ou d’adolescence qui gardent une importance particulière tout au long de notre vie, comme pour la musique d’ailleurs. Quels étaient tes films d’enfance? Un ou deux films comme ça, qui te marquent depuis très longtemps?
Il y a Le Magicien d’Oz, que j’ai vu à la télé et qui m’avait marqué. J’avais été voir Mary Poppins aussi, avec une copine d’enfance (rire). Et puis les Disney… J’ai surtout souvenir des films qui sont passés à la télé, notamment le dimanche soir, avec beaucoup de westerns. J’ai des vraies images de ça, une vraie culture western. D’ailleurs ça fait un peu con, mais j’aimais bien l’émission d’Eddy Mitchell, La Dernière Séance. J’adorais ça, le fait qu’il présente les films, et puis le côté salle de ciné avec les popcorns. Il y avait un côté madeleine de Proust!
Tu disais l’enfance, j’ai l’impression que l’adolescence surtout est vraiment importante… J’ai l’impression que les 16-17-18-19-20 ans sont marquants, et que ce que tu as aimé à cette-période-là, il n’y a rien qui te refait cet effet-là. Moi j’ai eu une période films d’horreur, parce que c’était l’époque: les Vendredi 13, L’Exorciste, les premiers Aliens… Mais aussi les Monty Pythons… Quelques Belmondo aussi, je ne suis pas un fan ultime mais là encore c’est toute une période.
Est-ce qu’il y a un film en lien avec la musique que tu adores? Par exemple un biopic musical – c’est très à la mode en ce moment – ou un film sur la guitare, ou autre?
Non, le seul qui serait lié à la musique c’est Phantom of the Paradise! Il m’a beaucoup marqué et c’est un film terrible.
Ah bah c’est un chef-d’œuvre, et pas seulement pour la musique!
Oui, aussi bien pour l’image que pour la musique, pour l’idée même, le côté presque mythologique… C’est vraiment un film qui m’a marqué, donc si je devais choisir un film musical je prendrais celui-là!
Une bande originale préférée, ou un compositeur de musique de film que tu aimes bien?
Alors là, c’est difficile… Bon, Danny Elfman, j’adore. Il y en a tellement… Herrmann aussi, qui faisait les musiques pour Hitchcock. J’adore Hitchcock, on n’a pas parlé de ça mais La Mort aux Trousse, pour moi c’est un autre chef-d’œuvre dans un autre domaine. Aussi bien pour la bande musicale que le film en lui-même, j’adore. John Williams, bien sûr…
Si demain on te demande l’autorisation de mettre un de tes morceaux dans un film, est- que tu dis oui? Ou surtout pas?
Ca dépend quel film (rire)!
Disons un film qui te plaît bien sur le papier!
Oui bien sûr, avec plaisir! J’adorerais. J’adorerais même retravailler des morceaux pour ça. D’ailleurs Manu Martin, mon clavier, a écrit des musiques de films pour le coup. Et réorchestrer des morceaux, ça me plairait. Parce que dans la musique de film, l’instrument doit être un peu moins en vue: par exemple, je trouve hyper ringard un solo de guitare dans la musique d’un film! C’est super daté, ça fait… 84 (rire)! Ou mauvais film érotique à deux balles, avec le solo de gratte… Je trouve ça horrible! Mais par contre, reprendre des parties orchestrales de mes morceaux, enlever la guitare, peut-être mélanger certains thèmes avec des cordes, tout réorchestrer, ça m’intéresserait oui, vraiment!
Et si on vient faire appel à toi pour composer une bande originale? Quitte à ne pas mettre de guitare d’ailleurs, ou très peu?
J’aimerais bien… Justement, ce n’est pas le premier truc auquel je penserais, de mettre de la guitare. Comme je disais, il y a un côté daté et qui n’est pas forcément heureux. Mais oui, j’aimerais bien! Le cinéma, c’est un beau support… Par exemple Danny Elfman, quand tu prends le premier Batman de Burton, la musique est terrible!
Le deuxième, j’aime encore plus…
Voilà, encore plus! Et si tu prends Star Wars, la musique est quand même terrible aussi, les thèmes sont terribles… Et ce que je disais sur Retour vers le Futur, c’est vrai aussi: il y a un côté plus enjoué et sympa, mais la musique est super aussi. Avec Huey Lewis and the News!
Et pour terminer, on peut trouver un lien assez amusant entre Patrick Rondat et le cinéma: sur internet, on peut lire – je ne sais pas du tout si c’est vrai – que On the Edge serait l’album préféré… d’Harrison Ford! Et aussi de Hugh Grant! Est-ce que c’est une connerie totale? Tu es au courant de ça?
Tu sais, je vois sur quel site tu as trouvé ça! Et il y a Travolta aussi, ou Tom Hanks… Bon, évidemment j’ai essayé de savoir! Moi je n’ai jamais mis de conneries comme ça, et je n’ai jamais trouvé quelqu’un qui l’ait fait. Comme je ne voyais pas qui aurait voulu faire ça, j’ai contacté des gens que je connais – qui sont très fans de moi – pour essayer de savoir s’ils n’avaient pas fait ça pour essayer de m’aider, un peu naïvement… Finalement, je n’ai trouvé personne qui aurait fait ça. Mais je n’ai pas non plus trouvé la preuve que c’était vrai… Je n’ai pas fait plus d’enquête que ça, donc si un jour tu trouves une solution, ça m’intéresserait (rire)! Mais je n’en sais pas plus que toi…
Oui, c’est très compliqué de trouver la source, ou l’interview d’où ça pourrait provenir… Il faudrait creuser!
Personnellement je n’ai pas trouvé la source, et je n’ai pas trouvé qui a pu faire ça. Ni comment on pourrait ajouter ce genre de choses sur ce site, parce que ce n’est pas comme Wikipédia, je ne crois pas que tu puisses ajouter n’importe quoi dessus. Donc je ne sais pas… Honnêtement, je n’ai pas la réponse!
Un petit mot pour conclure? Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter par exemple?
Oh, bah que ça continue! Moi maintenant, je suis en fin de carrière. Enfin, quand je dis ça… Je ne suis pas mort, hein (rire)! Mais je veux dire que la partie importante a été faite. Maintenant, je veux surtout profiter de la vie: faire de la musique, profiter de mes proches… Profiter de ce qui est hors musique aussi: aller au restaurant avec mes proches, profiter de mes enfants, de ma compagne, faire des balades… De faire de la musique, de créer encore des choses, de faire des concerts… Les gens me demandent souvent si j’ai un projet ou quelque chose en particulier, mais je veux juste que ça continue comme ça: quelques voyages, quelques concerts, quelques belles sorties, et profiter du temps qui me reste, tout simplement.
Et puis que le monde devienne un peu moins barjot qu’il ne l’est (rire). Parce qu’il y a tellement de violence, tellement d’incohérences, de contraintes, de réglementations… Pour notre bien-être, on est en train de mettre tellement de règles dans tous les domaines que je me demande comment va être le monde de demain… On nous parle tout le temps de « liberté », mais j’ai l’impression qu’on va vers un monde avec de moins en moins de libertés…
Eh bien voilà, je te remercie infiniment Patrick!
Merci pour ton invitation, et merci pour ces questions! Il y avait des choses qui changeaient un peu, donc c’est cool!