Introduction
Dans quelle dimension les effets spéciaux servent-ils un film et son propos? C’est la question que je me suis posée après une discussion intéressante avec mon père sur Dracula de Francis Ford Coppola et sur Tim Burton qui m’a également évoqué le Camera Obscura sur les films maudits et la chronique sur Beowulf du Fossoyeur de Films. Cette question m’a taraudé pendant un certain temps. Depuis les premiers artifices du cinéma créés par Georges Méliès, les effets spéciaux ont évolué et pris des formes diverses, du stop-motion aux images de synthèse.
Préambule: Historique des effets spéciaux
Les débuts de l’artifice au cinéma
Lorsque Georges Méliès réalise Le Voyage dans la Lune, premier film de science-fiction de l’histoire du cinéma, il marque un tournant monumental dans le genre cinématographique. Je vous recommande chaudement d’ailleurs le très beau film de Martin Scorsese Hugo Cabret, avec Ben Kingsley dans le rôle de Georges Méliès.
La naissance des premiers artifices du septième art est mise en scène dans le film. Méliès exerçait le métier d’illusionniste avant de découvrir le cinématographe. C’est alors qu’il s’est demandé si prestidigitation et cinéma pouvaient faire bon ménage. Selon la légende, Méliès aurait eu une idée nouvelle d’artifice grâce à un incident de prise de vues: alors qu’il filmait un omnibus, la manivelle de sa machine se bloque. Le temps de réussir à la redémarrer, quelques instants se sont écoulés. En regardant le résultat sur la pellicule, Méliès s’aperçoit que l’omnibus s’est changé en corbillard. Après, est-ce que c’était une anecdote véritable ou une affabulation, personne ne le sait, toujours est-il que Méliès a fait de ce trucage sa marque de fabrique, et c’est avec Le Voyage dans la Lune en 1902 qu’il se retrouve propulsé sur le devant de la scène et que sa notoriété monte en flèche.
Le stop-motion, record de longévité
Deux-trois décennies après les innovations cinématographiques de Georges Méliès avec son trucage (c’est normal, selon vous, si ça me fait penser au film Jack et la Mécanique du Cœur de Mathias Malzieu et à la chanson « Un Homme sans Trucage » de Dionysos?), un nouveau procédé d’artifice cinématographique fait son entrée dans le septième art: l’animation en volume ou « stop-motion ». Les exemples les plus parlants d’utilisation du stop-motion au cinéma sont évidemment le King Kong de 1933, les films de Ray Harryhausen et d’Ishirō Honda, certains films de Tim Burton, les films de Henry Selick et de Wes Anderson (vous devez probablement tous avoir en tête L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Jason et les Argonautes, Godzilla, Les Noces Funèbres ou L’Île aux Chiens). Ce procédé d’animation a régné sur le cinéma pendant de nombreuses décennies, je dirais même qu’il s’agit de celui qui a perduré le plus longtemps parmi tous les effets spéciaux de l’histoire du cinéma jusqu’à aujourd’hui.
L’ère moderne: les animatronics et les images de synthèse
Vers la fin des années 80, voire presque le début des années 90, les nouvelles technologies s’emparent du cinéma: entrent donc d’abord les animatronics qui serviront pour les dinosaures de la trilogie Jurassic Park de 1993 à 2001, les Oompas-Loompas de Charlie et la Chocolaterie de Tim Burton en 2005 et pour les robots boxeurs de Real Steel de Shawn Levy en 2011, puis entrent les fameuses images de synthèse (les CGI, ou Computer-Generated Images), qui sont en ce moment à leur apogée avec de nombreux blockbusters.
Maintenant que je vous ai bien fatigués ou donné la migraine avec le récapitulatif historique, il est temps maintenant de se pencher sur la question qui me titille: lesquels, pourquoi et à quelles fins?
C’est une question assez complexe à laquelle il n’est pas facile de répondre, vous m’accorderez. Mais on s’en fout, je vais essayer d’y répondre!
Les effets spéciaux comme vecteurs du propos d’un film
À l’époque de Méliès
Alors qu’il s’agissait à la base d’une curiosité née de la fusion du passé de prestidigitateur de Georges Méliès et de la passion de ce dernier pour le cinématographe, les effets spéciaux ont pris une place importante dans le cinéma en général et ont contribué à servir le propos d’un film ou au moins à avoir une certaine utilité dans un film.
Lorsqu’il fait Le Voyage Dans la Lune en 1902 dans son studio de tournage pour une durée d’un quart d’heure (contre une minute pour les films des Lumière) et se sert de son trucage fétiche, George Méliès prend ses distances avec la vision des frères Lumière (vision qui ne se limitait qu’à montrer des images en mouvement) et oriente les spectateurs du cinématographe vers la fiction plutôt que de simples prises de vues dans le style de l’Arrivée d’un Train en Gare de la Ciotat des Lumière.
Le film en lui-même, par son scénario, est une incitation à s’éloigner du monde réel pour aller dans la lune, c’est-à-dire rêver. Les artifices de Méliès ont été d’une certaine aide à la mise en scène, leur fantaisie renforce l’onirisme du film, sans pour autant trahir la capacité d’immersion des spectateurs dans l’œuvre (je me souviens qu’au parc Walt Disney Studios à Disneyland Paris, l’attraction Armageddon débutait avec une petite présentation de Georges Méliès et de l’évolution des effets spéciaux)
1-Les pionniers des FX
Deux exemples parlants pour moi sont ceux de Terminator 2 et Jurassic Park:
Nous sommes au début des années 90, les images de synthèse, en plein stade expérimental chez Pixar, ne sont encore qu’à leurs balbutiements dans le cinéma:
A)Terminator 2
Pour rappel, pour les deux du fond qui sont en train de pioncer depuis trente ans, « Terminator 2: Le Jugement Dernier » est un film de science-fiction réalisé par James Cameron et sorti en 1991. Après les événements du premier film, après l’échec du T-800 (Arnold Schwarzenegger), l’intelligence artificielle malveillante du futur Skynet envoie le T-1000 (Robert Patrick), un Terminator plus avancé fait de métal liquide et polymorphe, dans le passé, mais cette fois-ci pour tuer non pas Sarah Connor (Linda Hamilton) avant la naissance de John Connor, mais John Connor lui-même encore enfant (Edward Furlong). Entretemps, John Connor du futur envoie un T-800 reprogrammé (Arnold Schwarzenegger) dans le passé pour protéger John Connor.
Le T-800 dans le premier film Terminator était animé en stop-motion. C’était en 1984. En 1991, Cameron décide d’avoir recours aux images de synthèse pour animer le T-1000. Aujourd’hui, ça a vieilli, mais pour l’époque, c’est un véritable tour de magie! C’était du jamais-vu, avant. Ces effets spéciaux encore jeunes en ont impressionné plus d’un il y a trente ans. Encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’émerveillent devant ce T-1000 en gardant en tête le fait que c’était il y a trente ans.
Mais en fait, pourquoi James Cameron s’est-il tourné vers les images de synthèse pour Terminator 2? Pourquoi ne s’en est-il pas tenu au stop-motion? Pourquoi a-t-il choisi un procédé d’animation encore expérimental plutôt qu’un procédé qui existe depuis des décennies et qui a déjà fait ses preuves?
Les années 90 ont été une décennie de transition pour les effets spéciaux au cinéma. Les films commencent à s’affranchir du stop-motion et des effets spéciaux traditionnels pour se tourner de plus en plus vers le numérique (notamment en 1995, lorsque sort Toy Story, le tout premier long-métrage d’animation en images de synthèse, une véritable innovation, ou en 1996, lorsque Tim Burton fait fi du stop-motion et choisit le numérique avec un grain et une esthétique cartoonesques pour ses martiens tueurs loufoques dans Mars Attacks).
Si Cameron a choisi le numérique pour animer le T-1000, c’est tout d’abord par curiosité et fascination, et comme il fait partie des premiers à faire ce choix, il a comme une envie de se positionner parmi les pionniers de l’animation en images de synthèse au cinéma, d’être l’initiateur d’une nouvelle génération d’artisans du numérique (et il en fera bien partie, aux côtés de Steven Spielberg, Robert Zemeckis et Peter Jackson). Dans la diégèse de Terminator, Sarah Connor se débarrasse du T-800 venu pour la tuer, mais croyant s’être complètement débarrassée du danger, elle ne fait que s’accorder un sursis, et huit ans plus tard, les ennuis reviennent avec l’arrivée du T-1000.
Le numérique symbolise dans le film un nouveau défi pour le public qui est mis à la place de John et Sarah Connor. Le stop-motion, c’est pour eux du déjà-vu, ils ont vu le T-800 se faire écraser et détruire. Dans le cas du T-1000 quasiment invincible et omnipotent, le public se retrouve face à une menace plus inquiétante, une menace qu’ils n’ont jamais connue. Le numérique symbolise l’avancée technologique de Skynet et la volonté d’impressionner la race humaine.
B) Jurassic Park
–Jurassic Park est un film de science-fiction réalisé par Steven Spielberg, adapté d’un roman de Michael Crichton (à qui on doit aussi Westworld, entre autres), et sorti en 1993. Le film raconte l’histoire des Pr. Alan Grant (Sam Neill), Ellie Sattler (Laura Dern) et Ian Malcolm (Jeff Goldblum), trois éminents scientifiques invités par l’excentrique John Hammond (Richard Attenborough) sur une île, Isla Nublar, pour assister à son nouveau prodige scientifique: reconstituer des dinosaures entiers grâce à leurs ADN retrouvés dans des moustiques fossilisés et leur donner vie, comme du clonage. Seulement voilà, les dinosaures font des siennes et sèment la pagaille dans l’île.
Les dinosaures au cinéma, ça ne s’est pas beaucoup fait. À la fin des années 80, le réalisateur néerlandais Paul Verhoeven (Total Recall, Basic Instinct) veut faire un film de dinosaures en stop-motion. Bonne idée, n’est-ce pas? Le projet n’avancera jamais. En parallèle, le projet Jurassic Park entre en production. Les dinosaures d’abord pensés en stop-motion sont animés à la place avec des robots animatronics et un peu de numérique pour agrémenter, telle est la vision de Steven Spielberg. À sa sortie, Jurassic Park cartonne dans le monde entier et le film est aujourd’hui cultissime. Quant aux effets spéciaux du film, ils décollent la rétine. En mélangeant numérique et robotique, Spielberg marque à son tour un tournant au cinéma.
Reposons-nous la question: pourquoi des images de synthèse et pas du stop-motion? Pourquoi des animatronics avec le numérique?
Steven Spielberg a la même ambition que James Cameron en choisissant le numérique et les animatronics, qui sont des procédés d’animation expérimentaux pour l’époque (les animatronics n’étaient même pas pensés pour le cinéma, Spielberg a eu l’idée après avoir été impressionné par un King King robotisé grandeur nature dans le parc d’attractions Universal Studios d’Orlando). Grand bien lui fasse, Jurassic Park repousse les limites fixées par Terminator 2 et s’impose en pionnier du cinéma moderne et des effets spéciaux. Dans la diégèse du film, John Hammond se sert d’une nouvelle technologie expérimentale pour faire revivre les dinosaures à partir d’ADN. Steven Spielberg se sert d’artifices expérimentaux pour animer des dinosaures.
Il y a un autre but, but qui fait écho à celui de James Cameron avec le T-1000: Steven Spielberg veut impressionner son public en offrant des dinosaures grandeur nature pour la plupart et les plus réalistes possibles, et ce grâce aux animatronics et au numérique. Des dinosaures en stop-motion, ça l’aurait fait, mais il manquerait cette sensation de réalisme et de « normalité », de même que s’ils étaient uniquement en images de synthèse, il y aurait cette « propreté », mais il manquerait ce grain palpable, ce sentiment de réel qui peut faciliter l’immersion dans le film. Les animatronics sont un parfait compromis: il y a cette sensation de réel et de palpable, tout en ajoutant un certain photoréalisme et une texture propre. Les dinosaures dans Jurassic Park sont exactement ça: ils sont réels et bien vivants, et en même temps ils sont partiellement le produit d’une technologie. John Hammond veut repousser les limites de la science, Steven Spielberg veut repousser les limites des artifices du cinéma.
Aujourd’hui, les images de synthèse sont pratiquement les uniques effets spéciaux utilisés au cinéma, elles sont omniprésentes, de bonne ou de piètre qualité, qu’importe, et c’est normal, elles permettent au cinéma de rester dans l’air du temps, du moment qu’elles sont d’une qualité qui frôle la perfection (par exemple, certains blockbusters comme Iron Man ou Transformers n’auront sûrement aucun mal à passer l’épreuve du temps pour les décennies à venir, alors que d’autres comme Die Another Day ou Blade, bien qu’étant de bons films, ont des effets spéciaux et une esthétique bien trop datés). Une qualité impeccable d’effets spéciaux permet à un film de survivre au passage du temps (par exemple, les effets spéciaux de Jurassic Park sont tellement réussis que le film est intemporel, même chose pour Matrix et Pacific Rim dont les effets spéciaux sont encore impressionnants).
2- Les réticents aux images de synthèse
Si les images de synthèse sont les effets spéciaux les plus en vogue depuis les années 90, certains réalisateurs ont choisi de ne pas ou de très peu s’en encombrer pour leurs films, et les trois cas de figures qui nous intéressent ici sont Interstellar de Christopher Nolan, Mad Max: Fury Road de George Miller et Dracula de Francis Ford Coppola:
Interstellar
–Interstellar est un film d’anticipation réalisé par Christopher Nolan et sorti en 2014. Dans un futur très proche, le blé et les céréales se sont épuisés aux États-Unis, les tempêtes de sable et de poussière se multiplient, il ne reste que le maïs, également proche de disparaître. Cooper (Matthew McConaughey), ex-pilote reconverti dans la plantation de maïs, est recruté par une organisation secrète scientifique et envoyé avec une équipe dans l’espace chercher des planètes vivables pour les humains dans l’éventualité probable où la Terre ne le serait plus.
Au début des années 2000, le projet était développé par Steven Spielberg, et la production s’éternisait, avant de finalement atterrir dans les mains de Christopher Nolan et de devenir le chef-d’œuvre qu’il est. La mise en scène de Nolan d’une telle grandeur et d’une telle profondeur qu’elle en devient presque vertigineuse, la partition musicale exceptionnelle de Hans Zimmer misant sur l’orgue, tout brille dans ce film, mais un point n’est presque jamais évoqué lorsque l’on aborde un film de Christopher Nolan, vous vous en doutez: les effets spéciaux. Le film se déroule dans l’espace, avec un trou de ver, des paradoxes spatio-temporels et un trou noir à la clef, il va de soi que des images de synthèse ont été de mise pour accompagner, mais où, dans quelle mesure et à quelle quantité?
Le cinéma de Christopher Nolan est réputé pour son « réalisme » et son très très faible recours au numérique. Le cas d’Interstellar est très spécial: Nolan a toujours situé ses scénarios sur Terre et dans le monde réel (à l’exception d’Inception qui se passe dans les rêves), c’est la première fois qu’il plante un décor « extra-terrestre », un défi bien audacieux que celui-ci pour un réalisateur qui ne recourt jamais aux fonds verts et qui a très peu recours au numérique, défi audacieux mais qu’il a réussi haut la main! Pour les plans dans l’espace, la navette a été construite grandeur nature et l’espace était projeté sur des écrans, et certains phénomènes spatiaux ont été créés numériquement.
Deux scènes, en revanche, ont été plus complexes à faire: la planète aquatique et le trou noir. Pour la planète aquatique, la scène a été filmée en milieu naturel, le vaisseau tenait sur l’eau en étant accroché à une grue retirée en post-production et l’énorme cascade montagneuse a été ajoutée en post-production (quand même, on ne peut pas faire énormément de miracles sans ajouts numériques).
Pour le trou noir, un décor gigantesque a été construit sur trois étages et Matthew McConaughey était suspendu en l’air par des câbles. Il est clair que le numérique a été nécessaire, mais avec suffisamment de parcimonie pour ne pas se retrouver avec des images de synthèse envahissantes qui trahiraient la vision de Christopher Nolan.
Un cinéma « réaliste », mais qui a recours au numérique, c’est assez paradoxal, me direz-vous. Mais ne faut-il pas un peu d’artifice pour renforcer le réel (ou du moins l’illusion du réel)? Nolan a eu volontairement recours au numérique pour Interstellar parce qu’avec Cooper, on n’est plus sur Terre, l’espace regorge de phénomènes, mettre en scène un phénomène spatial nécessite un artifice, parce qu’on n’est plus dans le même monde.
Mad Max: Fury Road
-« Mad Max: Fury Road » est un film d’anticipation post-apocalyptique réalisé par George Miller, sorti en 2015 et faisant suite aux trois premiers opus.
Après avoir été capturé et s’être fait désosser son fidèle Interceptor (sa voiture depuis le premier film) par des pillards à la solde du redoutable dictateur Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne), Max Rockatansky (Tom Hardy, et c’est bien dommage, j’aurais préféré voir un Mel Gibson vieilli mais encore plus endurci et entendre Jacques Frantz), arrive à prendre la fuite et à s’allier avec l’Imperator Furiosa (Charlize Theron dans son seul bon rôle) et les concubines d’Immortan Joe pour renverser le tyran.
Ce quatrième opus de Mad Max est un des meilleurs de la saga, si ce n’est le meilleur (ça se joue au coude-à-coude avec Mad Max 2), je suis encore impressionné du fait qu’il a remporté six Oscars (et il a été nominé à l’Oscar du meilleur film, du meilleur réalisateur et des meilleurs effets spéciaux, c’est énorme!)
Les effets spéciaux, les véhicules, les décors… on va pas se mentir, le film est visuellement somptueux et super bien foutu! Vous allez être surpris, mais quasiment tout ce qu’il y a dans le film………………… est réel!
Ce n’est pas une blague!
Les véhicules sont de vrais véhicules traficotés (j’ai d’ailleurs une préférence pour le dragster d’Immortan Joe, construit à partir de la carrosserie d’une Cadillac Eldorado de 1959, exactement le même modèle que la voiture des Ghostbusters), Tom Hardy était vraiment attaché à une voiture, le guitariste sur le gros camion transportant une scène rock était vraiment sur cette scène portative, suspendu par des câbles, et il jouait vraiment du metal avec une vraie guitare cracheuse de feu de 120kg (remarquez, Rammstein a déjà fait le coup de la guitare cracheuse de feu en concert, alors je ne vois pas pourquoi un film ne le ferait pas), tous les véhicules roulaient ensemble dans le désert en Namibie, les carambolages, les voitures qui explosent, quasiment rien de truqué (à mon avis, des mannequins étaient dans les voitures lors des explosions). Tout ce qui est numérique dans le film se limite à l’énorme tempête de sable et deux-trois décors. Quel était le but de George Miller en rendant son film le plus réel possible?
Lorsque l’on parle de films d’anticipation, les premiers exemples qui nous viennent à l’esprit sont des films futuristes comme Blade Runner, THX 1138, Soleil Vert ou Chappie, et pour ce genre de films, le recours au stop-motion, aux fonds verts, aux décors peints et aux images de synthèse est nécessaire voire indispensable pour ne pas donner un air de film amateur qui n’a pas un rond et pour maintenir la capacité d’immersion du spectateur.
Les films d’anticipation post-apocalyptiques, en revanche, c’est autre chose. Les films post-apocalyptiques dépeignent des sociétés qui ont régressé et qui peinent à survivre dans la jungle qu’elles ont créée. En l’occurrence, Mad Max, se déroulant dans le désert, dépeint une société retournée à la sauvagerie (revenue également à la loi du plus fort) et ravagée par la pénurie des ressources (enfin, c’est à partir du 2, le 1er montre la société en train de basculer), au point que l’on tue pour récupérer de l’essence pour sa voiture (en siphonnant le réservoir d’autres voitures) et que les plus forts asservissent les plus faibles avec de l’eau et de la nourriture.
Par conséquent, est-il nécessaire de recourir à beaucoup de numérique ou à de nombreux effets spéciaux pour un film d’anticipation post-apocalyptique aujourd’hui? Avec Mad Max: Fury Road, George Miller nous confirme que non! Contrairement à un Blade Runner montrant un futur assez terre-à-terre mais légèrement fantasmé et ayant donc recours à certains artifices renforçant la fiction, Mad Max montre un futur plus désabusé où les avancées technologiques n’ont pas pu se faire car la civilisation s’est désagrégée et est redevenue primitive, de ce fait le surplus de numérique est superflux et pourrait desservir la vision de George Miller (je ne dis pas qu’il ne faut pas du tout en mettre, loin de là, mais qu’il faut être le plus parcimonieux possible).
Plutôt que de mettre du numérique à profusion pour les scènes intenses (je parle des courses-poursuites), Miller a mis en scène de vraies voitures retapées qui explosent et pètent de partout pour de vrai. Son but est de montrer le caractère réaliste d’un monde post-apocalyptique démesuré, comme une mise en garde pour l’humanité contre le retour à la sauvagerie. Si les courses-poursuites avaient été filmées en studio avec des fonds verts ou bleus et agrémentées de nombreux ajouts numériques, le film perdrait de sa saveur et la vision de George Miller serait corrompue, on y croirait moins et l’intérêt serait moindre.
Dracula
–Dracula est un film d’horreur réalisé par Francis Ford Coppola et sorti en 1992. Jonathan Harker, jeune clerc de notaire londonien en 1897, est dépêché en Transylvanie pour rencontrer le mystérieux comte Dracula, récent acquéreur de domaines à Londres, et lui faire signer des actes de propriété. Une fois sur place, le comte lui fait une impression inquiétante et jette son dévolu sur Mina, la fiancée de Harker, au point qu’il décide de se faire expédier à Londres pour la voir.
Alors que nous sommes au début des années 90, les images de synthèse prennent leur essor, seulement voilà Francis Ford Coppola refuse d’y recourir et préfère utiliser les trucages des débuts du cinéma, et pour ce faire il demande à son fils Roman de se renseigner sur les effets spéciaux développés par Georges Méliès (n’hésitez pas à retourner au début pour relire le paragraphe sur Méliès si besoin). Une démarche audacieuse et inattendue, mais logique!
Le film se déroule en 1897, le cinéma vient de faire son entrée dans la société occidentale, Coppola veut maintenir une certaine cohérence entre l’intrigue et l’esthétique du film. Parmi les meilleurs trucages du film, on a la démarche et la gestuelle de Dracula: Gary Oldman jouait à l’envers, et les prises de vues étaient passées en sens inverse, ce qui donne cette impression de gestuelle dérangeante peu humaine et anormale, comme s’il était animé en stop-motion (le même procédé est utilisé pour filmer des zombies). Quant à l’ombre de Dracula presque autonome, l’effet a été obtenu par des jeux de caméra.
Le meilleur exemple de trucage typique des débuts du cinéma est celui dans la scène où Jonathan Harker est dans le train en direction de la Transylvanie: deux yeux sont rivés sur Harker, ceux de Dracula, comme le prédateur guettant sa proie de loin. Ce plan est le résultat de la superposition de trois plans distincts: Harker assis dans le train, la projection d’un œil sur le décor des Carpathes et Gary Oldman maquillé de telle sorte qu’on ne puisse distinguer que ses yeux. Tous les trucages ont été faits bien sûr pendant le tournage.
Outre le choix des effets spéciaux, une scène du film montre Mina et Dracula (sous l’apparence qu’il avait avant de se changer en vampire) allant voir le cinématographe à Londres. Dracula est un film qui parle de cinéma autant que de vampire, Dracula est fasciné par le cinématographe de la même façon que Mina, Jonathan Harker et les spectateurs sont fascinés par Dracula. Avec cette scène et avec le parti pris de Coppola sur les effets spéciaux, Dracula est un parfait hommage au cinéma des débuts, environ 95 ans après son arrivée.
3- Les friands d’images de synthèse
À l’inverse, certains producteurs et réalisateurs ont choisi de mettre le numérique presque au même plan que les acteurs, c’est pourquoi je vais aborder les cas de Peter Jackson, Zack Snyder et Kevin Feige:
Kevin Feige, le grand manitou des super-héros au cinéma
–Kevin Feige est un producteur américain, connu pour être entre autres le patron des studios Marvel à partir d’Iron Man. Après avoir été producteur associé, co-producteur et producteur exécutif d’une majorité des films Marvel de 2000 à 2008, notamment la trilogie X-Men, la trilogie Spider-Man de Sam Raimi, Daredevil, Hulk de Ang Lee et The Punisher, il prend les commandes de Marvel Studios en 2008, en produisant Iron Man et L’Incroyable Hulk.
Avec Iron Man et l’appui de Jon Favreau, Kevin Feige devient un pionnier des blockbusters en créant le premier grand univers cinématographique de l’histoire du cinéma avec une trentaine de films déjà sortis (et plusieurs films en production), et je ne parle même pas des séries (Les Agents du SHIELD, Wandavision, Moon Knight).
En plus d’avoir contribué à sauver Marvel de la faillite à la fin des années 90, il a également contribué au renouveau des super-héros au cinéma à la même époque (on va pas se mentir, les années 90 ont été une période difficile pour les super-héros, notamment chez DC: après le succès de Batman Le Défi de Tim Burton, la chance tourne pour Batman lorsque Joel Schumacher le reprend en main avec le discutable Batman Forever en 1995 et l’infâme Batman & Robin en 1997, Superman « mort » en 1987 avec Superman IV voit sa résurrection foutue avec l’annulation de Superman Lives de Tim Burton en 1997…)
Penchons-nous sur les films du Marvel Cinematic Universe.
Le MCU
Les films du MCU sont reconnaissables par leurs personnages et leur univers, mais c’est vraiment à partir d’Avengers que le MCU commence vraiment à prendre la forme qu’on lui connaît (on en sait un peu plus sur le Tesseract et sur le SHIELD, Loki prend de l’ampleur, les super-héros déjà introduits dans les précédents films font équipe pour la première fois…), on sait où l’univers nous emmène, on se dirige vers de la science-fiction et du space opera avec du fantastique, autant dire que des effets spéciaux seront nécessaires pour accompagner les films. Outre certains plans extérieurs se déroulant dans les villes, les films Marvel sont tournés en studio avec des fonds verts et bleus et avec des incrustations numériques en post-production. Les fonds verts et bleus permettent de modéliser des décors avec lesquels on peut faire à peu près ce qu’on veut (une rue pétée pendant un combat entre super-héros et super-vilain, le ciel, un endroit imaginaire…), autant dire que ça a bien servi (Morag et Xandar dans Les Gardiens de la Galaxie, la base des Avengers dans Avengers: Endgame, l’aéroport de Berlin dans Captain America: Civil War, l’héliporteur du SHIELD dans Avengers…). Pour représenter les créatures non-humaines, des capteurs de mouvements ont été de mise (Edward Norton et Mark Ruffalo pour Hulk, Tim Roth pour l’Abomination, Terry Notary pour Groot et Sean Gunn pour Rocket, Josh Brolin pour Thanos…).
Les Marvel sont bien tombés, leur technique d’animation de prédilection et les fonds verts se sont suffisamment bien développés pour permettre d’offrir des images de synthèse de très bonne qualité (les meilleurs exemple selon moi sont d’abord Avengers, les incrustations numériques sont au poil et le grain des images de synthèse fait qu’il y a une facilité d’immersion, et ensuite Doctor Strange, les pouvoirs de la dimension noire et la déformation Inception-esque de New York sont à couper le souffle).
Cependant, de nombreux films Marvel se font dépasser par le numérique qui semble beaucoup trop beau, au point que l’immersion n’est plus possible (c’est notamment le cas pour Thor: Ragnarok, déjà que je trouve le film insupportable, les fonds verts se font ressentir, et Fenrir, le chien du Ragnarök, donne légèrement l’impression d’être factice, et c’est également le cas pour Black Panther, qui ne facilite pas la tâche en termes d’immersion, déjà l’humour est superflux, mais certaines images de synthèses sont trop propres, notamment les rhinocéros de la tribu de la porte, et certains décors sentent vraiment le fond vert ou bleu en studio, je pense au moment où T’Challa réapparaît devant Killmonger devant la savane, on voit beaucoup trop que le décor est incrusté. Ce sentiment de gêne face à des images de synthèse qui donnent l’impression d’être en carton s’appelle « uncanny valley ».
Toutefois, il faut admettre une chose: visuellement, même si ce n’est pas forcément bien exécuté, il y a une véritable volonté de respect de l’esthétique des comics. On a un bon équilibre, parfoit imparfait, entre esthétique comics et photo-réalisme visuel.
Voyons ce qu’on en dit avec Zacky, l’ex-homme providentiel de DC:
Zack Snyder, l’amoureux des comics
–Zack Snyder est un réalisateur américain. Après avoir démarré sa carrière avec L’Armée des Morts, un remake de Zombie de George A. Romero, Snyder verra sa carrière propulsée avec la sortie des films 300 (adapté d’une bande dessinée de Frank Miller) et Watchmen (adapté d’une bande dessinée d’Alan Moore et Dave Gibbons).
Suite aux films au succès mitigé Le Royaume de Ga’Hoole et Sucker Punch, il lance le DC Extended Universe en réalisant Man of Steel en 2013, Batman V Superman: L’Aube de la Justice en 2016 et Justice League en 2021 (celui de 2017 n’existe pas). Vous l’aurez compris, Zack Snyder est un grand fan de comics, et pour ce qui est de l’esthétique visuelle de ses films, il fait en sorte que son film ressemble le plus possible aux comics qu’il adapte, et 300 en est le meilleur exemple.
Sorti en 2006, 300 raconte l’audacieuse stratégie du roi spartiate Léonidas pour faire face au roi perse Xerxès qui consiste à vaincre son armée en les acculant et en les faisant tomber d’une falaise, le tout avec une armée composée de seulement 300 soldats spartiates contre 10 000 perses.
Tourné intégralement en studio avec des fonds verts et bleus et des incrustations numériques, le film était à l’époque un choc visuel considérable par son esthétique et sa mise en scène, en revanche, aujourd’hui, les effets spéciaux ont mal vieilli, certains décors font très mal aux yeux avec des couleurs criardes, les incrustations numériques sont très voire trop flagrantes, ce qui rend l’immersion très difficile pour un spectateur qui découvre le film seulement aujourd’hui, esthétique comics ou pas.
Quant à Watchmen, Sucker Punch, Man Of Steel et Batman V Superman, ils m’ont fait le même effet que 300, Black Panther et Thor: Ragnarok, le sentiment d’uncanny valley.
En revanche, les effets spéciaux de Justice League sont bien meilleurs, les incrustations numériques se fondent parfaitement dans le film, le grain offre une sensation de réel qui facilite l’immersion, on est sur de la qualité Marvel (c’est franchement honorable)! Si 300 fait trop plaquage de la BD sur écran, en revanche ses films chez DC trouvent un bon équilibre, mais parfois imparfait, entre esthétique comics et photo-réalisme visuel.
Et en plus, à l’instar de Kevin Feige, Zack Snyder essaie d’être le plus respectueux possible des comics (contrairement à Todd Philips qui a dénaturé l’univers de Batman avec Joker, mais c’est une autre histoire).
Peter Jackson, un précurseur et un pionnier
–Peter Jackson est un réalisateur, scénariste et producteur néo-zélandais. Après avoir réalisé trois petits films (un film d’animation avec des marionnettes dans le style du Muppet Show intitulé Les Feebles et les comédies horrifiques Braindead et Bad Taste) et le drame Créatures Célestes (avec une jeune Kate Winslet dans son tout premier rôle principal), Jackson fait son entrée sur le circuit hollywoodien avec la comédie horrifique Fantômes Contre Fantômes (produite par Robert Zemeckis) et la mythique trilogie du Seigneur des Anneaux.
Cette trilogie, entre autres, a été un autre grand tournant dans le cinéma hollywoodien, il s’agit des tous premiers films à recourir à la capture de mouvement, procédé d’animation numérique consistant à modéliser un personnage en images de synthèse à partir d’un acteur servant de modèle vêtu d’un justaucorps avec des capteurs dessus et des capteurs sur le visage, et dans Le Seigneur des Anneaux, le meilleur exemple est le perfide Gollum, hobbit profondément corrompu par L’Anneau Unique.
Gollum est un personnage en images de synthèse interprété par Andy Serkis, et pas seulement sa voix, Serkis bougeait vraiment accroupi comme une espèce d’animal, les émotions et les mouvements buccaux et oculaires de Gollum étaient ceux d’Andy Serkis. Il me semble que John Rhys-Davies, interprète de Gimli, portait aussi ces capteurs de mouvements pour jouer l’Ent Silvebarbe, l’arbre parlant bienveillant qui sauve Merry et Pippin d’un Orque zélé de Saroumane.
Si les capteurs de mouvements servaient déjà pas mal dans Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson les réutilisera pour la Terre du Milieu dans la trilogie Le Hobbit de 2012 à 2014, pour filmer à nouveau Gollum (toujours sous les traits d’Andy Serkis) dans le premier volet, mais aussi pour filmer l’orque du Mordor Azog Le Profanateur et surtout pour filmer le dragon Smaug Le Doré, interprété par Benedict Cumberbatch (interprète de Sherlock Holmes dans la version télévisuelle modernisée de Steven Moffat et de Doctor Strange chez Marvel). Peter Jackson filme Cumberbatch interprétant Smaug avec les gestuelles d’un dragon de la même façon qu’il filme Andy Serkis interprétant Gollum.
Entre les deux trilogies de la Terre du Milieu, Jackson a filmé à nouveau Andy Serkis avec des capteurs de mouvements en 2005, et cette fois-ci, ce n’est pas pour La Terre du Milieu, mais pour son remake du King Kong de 1933, avec Naomi Watts, Adrien Brody, Jack Black, et bien sûr Serkis dans le rôle-titre (Andy Serkis aime bien les capteurs de mouvements, visiblement!)
Peter Jackson a réussi à s’imposer en pionnier des effets spéciaux numériques, et ce notamment grâce aux capteurs de mouvements dans Le Seigneur des Anneaux, et c’est un peu grâce à lui que James Cameron a pu mener à bien la production d’Avatar (Cameron développait ce projet depuis le milieu, voire le début des années 90, c’est dire à quel point il était en avance sur son temps, mais un peu trop, parce qu’en 1995, les effets spéciaux étaient encore très jeunes, il étaient encore trop prématurés et pas encore assez performants pour un projet de film comme Avatar).
3-Les capteurs de mouvement
Aujourd’hui, les capteurs de mouvements sont très en vogue, et par conséquent très utilisés dans les blockbusters, dans une moindre mesure (par exemple, lorsqu’un personnage âgé joué par un acteur âgé doit avoir un visage jeune dans un flashback, il est doté de petits capteurs sur le visage pour faciliter le travail des artisans des images de synthèse derrière leurs ordinateurs en post-production) ou de façon importante (dans certains films, pour interpréter les créatures surnaturelles par exemples, les acteurs portent les survêts prévus à cet effet).
Par exemple, au début du film Marvel Ant-Man, apparaît déjà Michael Douglas dans le rôle de Hank Pym, mais sachant que la scène d’ouverture du film se déroule non pas dans le présent mais en 1989, Michael Douglas a été rajeuni numériquement, il avait des petits capteurs sous forme de petits points blancs à certains endroits du visage. Même chose pour Samuel L. Jackson jouant Nick Fury dans l’intégralité du film Captain Marvel. Le film se passant en 1995, Jackson a été rajeuni numériquement par le même procédé.
Le rajeunissement numérique sans capteurs (c’est un peu pourave)
En revanche, en 2019, Martin Scorsese a refusé de recourir aux capteurs de mouvements pour rajeunir Robert De Niro et Joe Pesci dans son dernier film, The Irishman. Plutôt que d’utiliser des capteurs sur le visage, les techniciens ont utilisé un procédé numérique qui devait s’avérer révolutionnaire pour rajeunir De Niro et Pesci, mais ça marche très moyen, voire pas très bien (le fameux uncanny valley). Mais retournons aux capteurs de mouvements. Si on se sert des capteurs de mouvements pour rajeunir des visages, on peut s’en servir pour montrer des personnages entiers.
Les capteurs de mouvement chez Marvel et DC
J’ai parlé des exemples de Gollum et Smaug dans Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit, mais dans les adaptations de comics, les capteurs de mouvements servent aussi à représenter des personnages non-humains, notamment Groot dans Les Gardiens de la Galaxie (oui, je cite beaucoup de films Marvel) qui n’est autre que le cascadeur Terry Notary dans une combi verte avec des petites bouboules blanches, ou encore Steppenwolf dans Justice League, qui est en fait Ciarán Hinds en justaucorps à capteurs et avec des petits points sur la figure. Les capteurs de mouvements ont même servi pour certains films d’animation, et vous savez probablement desquels je veux parler:
Robert Zemeckis, l’ultime pionnier
–Le Pôle Express est un film d’animation de Robert Zemeckis, sorti en 2004 et adapté d’un livre de Chris Van Allsburg (auteur de Jumanji et Zathura). Un jeune garçon (Daryl Sabara/Josh Hutcherson) qui n’a pas de nom et qui doute de l’existence du Père Noël embarque le soir de Noël à bord d’un train appelé Le Pôle Express, train à destination du patelin du Père Noël, le Pôle Nord, sous la surveillance du chef de train (Tom Hanks), et se liera d’amitié avec une jeune fille (qui n’a pas de nom non plus) et avec Billy, petit garçon qui a manqué de louper le train.
Sorti en 2004, ce film est le premier film d’animation utilisant exclusivement les capteurs de mouvements de l’histoire du cinéma et il est le premier d’une trilogie de films d’animation avec cette technologie réalisés par Zemeckis, puisque s’en suivront La Légende de Beowulf en 2007 (pas du tout pour les enfants, regardez la chronique du Fossoyeur sur le film: https://youtu.be/_dTnfpmDAqg) et:
–Le Drôle de Noël de Scrooge est un film d’animation réalisé par Robert Zemeckis, sorti en 2009 et adapté du « Conte de Noël » de Charles Dickens. Ebenezer Scrooge (Jim Carrey), notaire londonien aigri et radin, dirige son cabinet seul avec son clerc Bob Cratchit (Gary Oldman). Répugné par la fête de Noël et les dons d’argent, Scrooge reçoit chez lui le soir de Noël le fantôme de son défunt associé Jacob Marley (Gary Oldman aussi) qui lui annonce qu’il recevra la visite de trois esprits (Jim Carrey aussi) dans le but de changer la personnalité putride d’Ebenezer.
Troisième film de la trilogie d’animation de Robert Zemeckis en capteurs de mouvements (succédant au Pôle Express et à Beowulf), ce film, distribué par Disney, bien que l’ayant joué grand public, a traumatisé une grosse partie du public avec son ambiance cauchemardesque et sa « bizarrerie glauque inattendue » (comme l’a dit le Fossoyeur). C’est un film d’épouvante déguisé en film de Noël! À l’instar d’un James Cameron, d’un Steven Spielberg et d’un Peter Jackson révolutionnant les effets spéciaux dans le cinéma en prises de vues réelles, Robert Zemeckis s’impose à son tour en pionnier des effets spéciaux numériques, et son travail dans sa trilogie fera énormément évoluer les images de synthèse en capteurs de mouvements au cinéma! « Sans Zemeckis, pas de Thanos qui tienne la route. » Et là revient notre question: Pourquoi? Pourquoi des capteurs de mouvements et pas de simples images de synthèse à l’instar d’un Pixar ou d’un Dreamworks?
Les capteurs de mouvement comme outils onirique
Penchons-nous sur le point commun entre le Pôle Express et le Drôle de Noël de Scrooge (Je n’ai pas abordé le cas de Beowulf, parce que je ne savais pas quoi faire de lui dans ce cas-ci, il est dans le fond différent du Pôle Express et de Scrooge). Si vous avez vu les deux films, vous devez connaître leur point commun: les rêves! Ce sont deux films oniriques! L’intrigue se passe en une nuit (et pour les deux, c’est la nuit de Noël), les protagonistes se lèvent de leur lit en faisant face à quelque chose d’inattendu et peu rationnel (un train et un chemin de fer en plein milieu de la rue dans Le Pôle Express, le fantôme des Noëls passés dans Le Drôle de Noël de Scrooge), les personnages sont joués par les mêmes acteurs (Tom Hanks joue à la fois le chef du train, le vagabond, le Père Noël et le père du garçon dans Le Pôle Express, Jim Carrey joue à la fois Ebenezer Scrooge et les trois fantômes de Noël et Gary Oldman joue à la fois Jacob Marley, Bob Cratchit et le petit Tim dans Le Drôle de Noël de Scrooge).
Que peut symboliser l’animation par capteurs de mouvements dans le film? Un film d’animation (en dessin animé, en stop-motion ou en images de synthèse, qu’importe) met en scène des personnages imaginaires (Jack Skellington, Buzz L’Éclair, Shrek) dans un univers pour la plupart imaginaire ou un fantasme de notre monde (Radiator Springs, Metroville, Monstropolis…).
L’animation symbolise l’onirisme et le caractère imaginaire de ces films, destinés à nous faire rêver et nous évader du monde réel. Dans un film en prises de vues réelles, le réalisateur dirige des acteurs sur un plateau, et les acteurs jouant dans un film, que ce soit un film réaliste comme un film de Martin Scorsese ou de Clint Eastwood ou un blockbuster comme un Marvel ou un film Transformers, symbolisent le réel dans le film. Avec les capteurs de mouvements dans Le Pôle Express et dans Scrooge, Robert Zemeckis abolit carrément la frontière qui sépare le réel de l’imaginaire, les personnages de ces films sont les derniers semblants de réel trouvables dans les rêves.
J’ai fait abstraction de Beowulf précédemment parce que l’animation dans le film n’a pas la même signification que pour ses deux frères de Noël. Alors que Le Pôle Express et Scrooge sont des contes oniriques, Beowulf est un conte fantastique.
Spielberg et Tintin, une autre histoire
–Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne est un film d’animation réalisé par Steven Spielberg, produit par lui-même et par Peter Jackson, sorti en 2011 et adapté de la bande dessinée éponyme d’Hergé. Tintin (Jamie Bell), reporter pour le Petit Vingtième, découvre dans une brocante au centre de Bruxelles la maquette d’un navire du XVIIème siècle nommé La Licorne. Après l’avoir acheté, Tintin est approché d’abord par l’américain Barnabé Dawes (Joe Starr), qui prédit à Tintin un futur danger, et par un dandy mystérieux du nom de Sakharine (Daniel Craig), propriétaire du château de Moulinsart. Après avoir découvert une deuxième maquette de La Licorne, identique en tout point à la sienne, à Moulinsart, Tintin se fait capturer par les sous-fifres de Sakharine Allan (Daniel Mays) et Tom (Mackenzie Crook) et fait la connaissance du capitaine Haddock (Andy Serkis).
Ayant acquis les droits de Tintin en 1984, Steven Spielberg a mis des années et des années à pouvoir concrétiser son projet de film sur le reporter belge. Il se trouve aussi que Le Secret de la Licorne est sa toute première expérience dans le cinéma d’animation en tant que réalisateur, cinéma d’animation en capteurs de mouvement, qui plus est (il a déjà produit avec Robert Zemeckis le film d’animation de Gil Kenan Monster House en 2006, animé aussi en capteurs de mouvement).
Contrairement aux films d’animation de Robert Zemeckis, il ne s’agit pas d’un conte onirique ou fantastique, Tintin est un univers purement réaliste, c’est à la fois un polar et de l’aventure (on parle quand même d’un reporter qui enquête sur des affaires policières et qui part aux quatre coins du monde), n’espérez pas y trouver des magiciens, des démons ou l’Arche d’Alliance, de même que ce n’est pas de la science-fiction. Mais alors pourquoi avoir fait de Tintin un film d’animation, en capteurs de mouvements, qui plus est?
Un film Tintin en prises de vues réelles, ça s’est déjà fait, deux fois (bientôt trois, avec le projet d’adaptation des Bijoux de la Castafiore par Patrice Leconte), avec Le Mystère de la Toison d’Or en 1961 et Les Oranges Bleues en 1964. C’était pas mal, mais ça n’a pas marqué des masses.
Adapter une bande dessinée en film: plusieurs choix possibles
Adapter une bande dessinée en film en dehors des films d’animation du style Disney ou Pixar, pas une mince affaire, plusieurs options sont possibles:
-la technique Marvel/Zack Snyder, à savoir prises de vues réelles avec de vrais acteurs, des fonds verts et du numérique pour garder l’esthétique visuelle de la BD, ou du moins une esthétique la plus fidèle possible à celle de la BD.
-la technique Christopher Nolan, à savoir prises de vues réelles avec de vrais acteurs et des décors naturels correspondant le plus possible à ceux de la BD afin de respecter son esthétique, avec tout de même un peu de numérique pour agrémenter.
-la technique Joker, à savoir faire abstraction de l’esprit de la BD, jusqu’à même piétiner la BD et s’en éloigner complètement comme un enfoiré qui ne lit pas de BD.
-la technique Robert Zemeckis, à savoir animation en capteurs de mouvements en studio afin de respecter l’esthétique de la BD au point de fusionner avec.
Steven Spielberg choisira la technique Zemeckis, et ce avec l’appui de Peter Jackson, qui a déjà fait ses preuves avec les capteurs de mouvements (Golluuuuuum et King Kooooooong!), et ce n’est à mon avis pas pour rien si Andy Serkis joue dans le film, il adore les capteurs de mouvements (Le Seigneur des Anneaux, Le Hobbit, King Kong, Tintin, les épisodes 7 et 8 de Star Wars… attends, ça existe?!), c’est à se demander s’il ne porte pas le justaucorps et les petits points sur la figure chez lui!
Résultat: Le Secret de la Licorne est visuellement beau, même plus beau que la trilogie de Zemeckis, le grain est plus réaliste et les images de synthèse sont surtout plus abouties qu’un Beowulf ou un Scrooge dont les images sont souvent de la qualité des graphismes d’un jeu vidéo sur PlayStation 3 (et pour un film, c’est moche).
Quant aux personnages, si Tintin a plutôt le jeu d’un robot, en revanche Haddock est parfait, quand il est vénère, ça se voit, quand il est bourré, ça se voit, Andy Serkis a un jeu expressif, ça marche du feu de Dieu, on n’a pas affaire à un zombie.
Merci qui? Merci Avatar!
Les capteurs retransmettent bien son jeu, et c’est bien normal, Le Secret de la Licorne bénéficie d’un certain avantage, vu qu’il est sorti après la trilogie de Robert Zemeckis, la technologie des capteurs de mouvements a réussi à évoluer grâce à la trilogie de Zemeckis qui a servi de prototype et également Avatar de James Cameron qui a mis la barre très très haut en utilisant les capteurs de mouvements pour les Na’vis (et un peu grâce à Peter Jackson avec le Seigneur des Anneaux et King Kong), et les Na’vis sont bluffants, de même que les décors inspirés à la fois de la jungle tropicale et des fonds marins (James Cameron adore les fonds sous-marins).
D’ailleurs, les images de synthèse représentant la faune et la flore dans Avatar représentent bien dans une certaine mesure la fuite de la réalité, parce que Jake Sully, même s’il ne va pas sur une autre planète (il est sur Pandora tout le long du film), change de corps et se retrouve à un endroit différent (quand il est humain, il ne sort jamais de la base militaire morose où il est affecté, et dans son corps Na’vi, il se retrouve dans la jungle colorée, exotique et pittoresque de Pandora).
Bien avant les capteurs de mouvement, un e technique d’animation similaire avait déjà fait son entrée dans le cinéma:
4-L’animation en rotoscopie
L’animation en rotoscopie est une technique d’animation presque aussi ancienne que le cinéma lui-même, puisqu’il sera breveté sous son nom en 1915. Cette technique consiste à dessiner des contours, des décors ou quoi que ce soit à partir de prises de vues réelles. L’exemple de plus parlant de film d’animation en rotoscopie est l’adaptation pas géniale du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien par Ralph Bakshi sortie en 1978. L’animation y est très inégale: certaines scènes disposent d’une esthétique réussie où les dessins prennent le pas sur les prises de vues réelles, tandis qu’énormément d’autres scènes ont des graphismes bâclés, surtout les scènes des chevauchées des Nazgûls et celle de la bataille du Gouffre de Helm, on dirait que c’est fait à l’arrache.
L’animation en rotoscopie n’est pas une technique d’animation extrêmement courante au cinéma, contrairement aux images de synthèse, d’autant plus qu’elle est historiquement rudimentaire, cependant un réalisateur plus ou moins connu en a fait une de ses spécialités pour la remettre au goût du jour:
Richard Linklater
Richard Linklater est un réalisateur américain à la filmographie éclectique. Il est connu principalement pour ses films dits « grand public », à savoir la trilogie Before Sunrise avec Ethan Hawke et Julie Delpy et la comédie culte School of Rock avec Jack Black, mais il a signé deux films particuliers, deux films d’animation, Waking Life (avec Hawke et Delpy) et A Scanner Darkly (avec du gros casting). Il se trouve justement que ces deux films sont animés en rotoscopie. N’ayant pas vu Waking Life et ne connaissant strictement rien au film, je me pencherai uniquement sur A Scanner Darkly.
A Scanner Darkly
A Scanner Darkly est un film d’anticipation animé en rotoscopie sorti en 2007. Bob Practor/Fred (Keanu Reeves) est un policier de la brigade des stupéfiants infiltré dans le milieu des toxicomanes qui mène une double vie, et la majorité du temps, il cohabite avec deux toxicos, Barris (Robert Downey, Jr) et Luckman (Woody Harrelson), et son amie Donna (Winona Ryder). Tous sauf Donna sont accros à la Substance M (ou D dans la VO), une drogue qui leur fait oublier leur identité et qui les rend complètement passifs.
A Scanner Darkly est un film d’anticipation, donc de science-fiction, et par conséquent sont acceptés voire recommandés les effets spéciaux. Cependant, contrairement à des films I, Robot, Blade Runner, Akira ou Le Cinquième Élément, A Scanner Darkly dépeint une vision terre-à-terre du futur, de plus que le film se situe dans un avenir proche, à l’instar d’Interstellar de Christopher Nolan, et hors des grandes villes, donc pas de grands buildings en verre, pas de routes aériennes, pas de monorail, le film se déroule dans une banlieue et met en scène des personnages toxicomanes. Quant à l’intrigue, elle tourne autour d’une drogue dure. Il va de soi que de l’animation traditionnelle en dessin animé ou en images de synthèse serait hors-sujet, alors pourquoi Richard Linklater a-t-il eu recours à la rotoscopie et pas une autre technique comme des capteurs de mouvement?
La rotoscopie: une parfaite représentation de la science-fiction
Il y a une raison toute simple: l’animation en rotoscopie dans A Scanner Darkly est en cohérence et en cohésion avec le thème du film, à savoir la substance M, car l’animation en rotoscopie telle qu’employée dans le film (grâce au logiciel Rotoshop, qui a dépoussiéré et rénové la technique) donne une impression bizarre, nous avons affaire à un mélange entre prises de vue réelles et dessin animé (pas des incrustations de dessin animé dans des prises de vues réelles, rien à voir avec Mary Poppins, Qui veut la peau de Roger Rabbit ou Cool World), le grain de l’image donne un effet hallucinogène, comme si le spectateur était sous l’emprise d’une drogue, comme s’il était aliéné par le film, et c’est là que se révèle le génie de Richard Linklater! La substance M mine l’identité de ses consommateurs et les aliène, et la rotoscopie en est le vecteur pour le spectateur qui est mis à la place des personnages du film accros à cette drogue! La rotoscopie est une technique d’animation qui a la même longévité que le cinéma, certes, mais elle est tellement marginale et excentrique que c’est dans A Scanner Darkly que son utilisation est pertinente et prend tout son sens!
Images de synthèse, stop-motion, animatronics, rotoscopie, les effets spéciaux ont pris plusieurs formes différentes, et maintenant, il est temps de répondre à notre question:
Conclusion
À quelles fins servent les effets spéciaux d’un film? Quel est leur but, leur utilité?
Ils sont nés de la magie, ils sont là pour nous aider à nous évader de la réalité, à fuir la morosité de notre monde pour la fantaisie, ils sont là pour nous aider à faire le plus beau des tours de magie du cinéma:
Rêver.