Habituée à l’exercice de l’interview de l’autre côté du micro, Marine Bohin se retrouve catapultée dans le rôle principal de « Belle enfant ». De quoi avoir envie de l’interroger sur sa manière de vivre ces rencontres journalistiques avec un regard différent…

Qu’est-ce que ça fait d’être interviewée plutôt qu’interviewer ?

(Rires) Pour être tout à fait honnête, ce n’est pas simple du tout. C’est-à-dire que je suis pourtant quelqu’un à l’aise à l’oral, je suis assez à l’aise avec les gens de façon générale mais là, c’est vrai que le fait que j’aie ce premier rôle, je ressens une certaine pression. Du coup, quand je suis interviewée, j’ai l’impression d’avoir plein d’injonctions qui me viennent dans la tête et en même temps que je réponds, je me dis que je ne dois pas oublier de citer mes collègues dans le film, que je dois être concise et synthétique dans mes réponses. Je dois être en même temps cool et que mes réponses ne doivent pas être trop lisses car on sait quand on interviewe quelqu’un que ce n’est pas intéressant d’avoir des réponses préfabriquées. Je pense à tout ça, qu’il faille que j’articule bien. C’est très compliqué d’être interviewée et je ne m’attendais pas à ce que ce soit autant le cas. Après, ça va, je tombe sur des gens cools ! (rires)

C’est donc plus difficile qu’interviewer ?

Je ne sais pas, je dirais que ça dépend du moment, de ce qu’on représente aussi. Moi là, j’ai l’impression d’avoir la promo du film sur les épaules. Je ne dis pas du tout ça avec prétention mais c’est vrai que, comme je suis beaucoup plus disponible, je suis beaucoup interviewée et mise en avant. C’est ça aussi : je crois que je me mets la pression toute seule.

Pour revenir au film lui-même, comment es-tu arrivée dessus ?

En gros, je vis sur Paris mais je vivais à un moment sur Montpellier. J’ai terminé mes études de cinéma là-bas, avec un master en Théorie du cinéma. J’ai toujours joué, je joue depuis que j’ai 13 ans et j’ait fait partie de pas mal de troupes de théâtre quand j’étais en master de cinéma. Ça me prenait même une bonne partie de ma vie. J’estime néanmoins être autodidacte car je n’ai pas eu de vraie formation considérée comme sérieuse. Je n’ai pas fait d’école ou de conservatoire, j’ai appris sur le tas. À Montpellier, j’ai fait beaucoup de cinéma mais de façon un peu underground, alternative, avec des gens qui ne sortaient pas nécessairement d’écoles et qui voulaient être chef op, réals, ingés sons, comédiens, et on se retrouvait finalement à faire tous nos projets ensemble de façon autofinancée, très à l’arrache, avec pas d’argent mais beaucoup d’idées et de passions. C’est comme ça que j’ai commencé finalement à faire du cinéma. Après, au fur et à mesure, j’ai réussi à faire des petites interventions dans des séries TV, dans des clips et des courts-métrages. C’est vrai que Jim m’a connue comme ça car le milieu audiovisuel de Montpellier est un petit milieu. Donc, ce n’était pas surprenant que Jim repère mon nom et quand il m’a proposé « Belle enfant », le fait que je venais de ce ciné « à l’arrache », je pense qu’il s’est dit que je n’allais pas avoir peur qu’il n’ait pas encore de budget et de prod car j’étais suffisamment passionnée en venant de ce cinéma très collectif pour avoir peur de partir sur ce projet. Je lui ai dit en effet que ce n’était pas grave qu’on commence à tourner sans avoir d’argent. Au final, par la suite, on a fini par trouver une prod et tout mais les débuts étaient assez fous.

Il y a aussi une pression d’avoir un premier rôle malgré l’expérience…

Oui, après je suis quelqu’un qui doute énormément. Je pense que ce qui m’a beaucoup aidée, c’est le fait que les autres comédiens, quand même bien plus aguerris que moi parce qu’il y a Marisa Berenson, Baptiste Lecaplain ou encore les deux autres filles jouant les sœurs, ne se sont pas comportés avec moi comme si j’étais la nouvelle venue qui n’avait pas sa place. Ça aurait été vraiment dur si c’était le cas mais ça ne l’est vraiment pas. Ils ont été hyper soutenants et très solidaires, ils ne m’ont pas traitée comme s’ils avaient des choses à m’apprendre, tout en m’apprenant plein de choses. C’est ça qui fait que je n’étais pas tétanisée : on m’a fait me sentir à ma place, de Jim à l’équipe technique. C’est une chose aussi dont je me suis rendu compte en ayant un premier rôle : c’est qu’on est choyés. C’est-à-dire que je connaissais les petites prods ou les grosses prods avec un tout petit rôle. Je me suis dit ici qu’être une comédienne, c’est d’avoir toute une équipe entière dirigée pour te faire jouer le mieux possible. Tout le monde est là dans le but de mettre en valeur ton jeu. C’est un luxe. C’est ça aussi qui m’a permis de me mettre à l’aise.

Comment décrirais-tu le travail de Jim comme réalisateur ?

Je pense que le fait qu’il soit seul scénariste depuis le début du film faisait qu’il avait un peu les pleins pouvoirs. Je pense aussi que le film était conforme à sa vision et ça se sentait qu’il était heureux et épanoui sur le tournage. Par exemple, il me voulait alors que ce n’était pas simple d’imposer une comédienne pas du tout connue comme moi. Il était tellement heureux quand on était sur le tournage au vu de tous les obstacles qu’on a eus que c’était un réal heureux. Je n’ai pas eu de mauvaise expérience en tant que comédienne mais, en revanche, j’ai connu de très bonnes personnes qui étaient extrêmement stressées et qui étaient tellement tendues vers leurs objectifs et des obligations de timing que ça les changeait. Dans tous les cas, un tournage est un lieu de stress intense et avec Jim, ce n’était pas le cas. Il était hyper stressé mais on ne le sentait pas. Je trouve que c’est quelqu’un de doux et très souriant, c’était pareil ici. Il me faisait énormément confiance et était très humble tout en suivant sa ligne directrice. Il était très respectueux. C’est un truc que j’aime à dire : il y a une très courte scène de sexe mais même une courte scène de sexe reste très longue à tourner, trop longue. Ressenti : 10 ans ! J’ai beaucoup aimé sa façon de gérer les choses, de manière très respectueuse. Il me demandait tout le temps comment je me sentais tout en demandant en amont ce que je voulais ou non. Il m’a demandé mon avis sur le montage final, ce que ne font pas tous les réals.

Il m’a parlé de la demande d’intensité du jeu…

(rires) Il faut savoir en effet que c’est devenu une blague car on lui demandait comment jouer la scène et il disait « sois intense ! » (rires). En même temps, je suis comme ça de base, c’est pour ça qu’il m’a choisie, c’est quelque chose que j’ai de base avec le personnage d’Émilie. C’est fatiguant d’être intense car c’est un personnage, au moment du film, traversé par une grande colère avec un côté très adolescent, qui laisse sortir cette colère sans la partager de façon calme. Ça fait un personnage très truculent, très explosif que j’ai beaucoup aimé jouer mais c’est très fatigant. On pense à tort que jouer la colère est très libérateur, voire jouissif. C’est hyper fatigant car c’est une émotion négative et on refait la prise plusieurs fois en nous demandant d’avoir cette même intensité tout en devant être dans la maîtrise. Il y a des moments où j’ai perdu la maîtrise dans des scènes de colère, où j’ai notamment blessé Baptiste Lecaplain (rires). Je devais le pousser et c’est là qu’on voit l’importance des cascadeurs même dans des petites scènes comme ça car je l’ai poussé mais je me suis laissé emporter et j’ai agrippé ses tétons. Ça a été très douloureux pour lui mais il n’en a rien montré. Il y a aussi une fois où j’ai fait un trou dans un siège de voiture. Je devais taper avec mon téléphone et je l’ai troué ! Comme quoi, la colère, il faut canaliser cette intensité et c’est très difficile à gérer.

Pour une question plus classique, comment as-tu vécu les thématiques du film ?

J’ai cette grande chance de ne pas avoir de famille dysfonctionnelle. Aucune famille n’est parfaite mais j’ai la chance qu’il y ait une grande entente au sein de la mienne avec de l’amour et beaucoup de compréhension. Donc l’histoire que je joue n’est pas du tout la mienne, ce qui n’était pas le cas des autres comédiens qui trouvaient des points communs avec leurs vies. J’avais plus des traits communs avec la personnalité du personnage. Pour les thématiques, je crois avoir pris conscience de ce que ça représentait en le jouant, de l’universalité du propos en étant dedans, en parlant à mes partenaires de jeu et en voyant l’écho que cela créait en eux. Je pense que, de toute façon, un des thèmes centraux (car on parle de famille, de maladie et de mort), c’est l’incapacité à communiquer qu’on a parfois avec les gens qu’on aime, que ce soit en couple, entre amis ou en famille. C’est quelque chose que je connais par contre. Il y a un point qui a trouvé un grand écho en moi, c’est ce sentiment d’injustice avec la maladie et l’éventualité de la mort. Au moment où on a fait le film, j’avais une amie très jeune qui est morte d’un cancer du sein et c’est à ça que je me suis référée. C’était mon point d’ancrage dans le réel pour jouer. On se nourrit toujours du réel, on ne peut pas toujours inventer et on doit se lier à notre réel ou à celui des autres. Ma colère venait peut-être de là, de la maladie que je connaissais par procuration par le biais de cette jeune amie. Je crois que le film a fait du bien en ce sens-là d’être tourné. Ça m’a permis de traverser le deuil.

Merci à Maud Nicolas de Distri 7 pour cet entretien.