Afin de comprendre les liens entre Doctor Sleep et Shining, il est intéressant de débrouiller le contexte délicat qui entoure le chef d’oeuvre littéraire de Stephen King paru en 1977 et sa mythique, cultissime, extraordinaire adaptation au cinéma par Stanley Kubrick en 1980.
Il est de notoriété publique que Stephen King a détesté et renié le film de Kubrick, qui prenait bien des libertés, au point d’en modifier le coeur même de l’histoire et de proposer une fin totalement différente. Le personnage principal du livre était bien l’Overlook Hotel, qui possédait Jack Torrance au point de le rendre fou malgré l’intense lutte du bonhomme pour sa santé mentale, et non Jack Torrance lui-même. Kubrick, quant à lui, présentait d’emblée le père de famille comme un personnage inquiétant et pas très sain d’esprit, dont la bataille pour ne pas perdre pied était de bien courte durée. D’ailleurs, Stephen King haïssait tellement le film de Kubrick qu’il a créé une mini-série, plutôt bien accueillie à l’époque bien que réalisée et interprétée sans le moindre éclat.
Le monde reste partagé entre les fans inconditionnels de l’oeuvre de Stephen King et ceux de l’adaptation libre de Stanley Kubrick. A titre personnel, j’adore le roman mais je préfère le film de Kubrick, qui a su s’approprier une œuvre complexe pour la transcender et en faire l’un des meilleurs films d’horreur (ou l’un des meilleurs films, tout court) de l’histoire du cinéma.
En 2013, Stephen King sort donc Doctor Sleep, la suite de Shining, l’enfant lumière. Danny, le fils de Jack Torrance, est maintenant adulte et fait face aux mêmes démons que son père, luttant notamment contre l’alcoolisme. Il va être confronté à une bande de tristes sires, simili-vampires kidnappant et tuant des enfants porteurs du don (le Shining) afin de se nourrir de leur pouvoir présenté sous forme de vapeur dont l’inhalation est régénératrice et prolonge l’existence.
Stephen King était-il habité par le désir de se réapproprier son oeuvre ? De mettre fin à plus de trente ans de débats oscillant entre amour et haine ? Toujours est-il que ce roman est loin d’être l’un des meilleurs de son auteur, restant sympathique et divertissant mais manquant de panache, de tension et de cohérence, si loin des plus grands romans d’horreur du maître.
En cette fin d’année 2019, l’adaptation cinématographique de Doctor Sleep est réalisée par le jeune et talentueux Mike Flanagan, à qui l’on doit notamment l’excellente série The Haunting of Hill House. Le bilan est en demi-teinte.
Une tentative de réconciliation qui se perd en route…
L’adaptation au cinéma de Doctor Sleep pose d’emblée un problème qu’il n’arrivera jamais à résoudre. Le film se veut une adaptation fidèle du roman, tout en cherchant sans cesse à rendre hommage au chef d’œuvre de Kubrick. Naviguant sans cesse entre adaptation presque scolaire d’un roman moyen et références appuyés à Kubrick jusqu’à en reprendre le thème musical principal, voulant sans cesse réconcilier les amateurs du Shining de King et ceux de Kubrick, Doctor Sleep peine à trouver son chemin et manque cruellement d’identité.
… Au point de dégoûter durablement les amateurs de Stanley Kubrick et Jack Nicholson
Doctor Sleep livre quelques scènes absolument impardonnables où apparaissent Jack et Wendy Torrance, interprétés par de piètres sosies de Jack Nicholson et Shelley Duvall. Flashbacks ou rencontres fantasmées avec son père, qui devient un instant le barman de l’Overlook Hotel au cours d’une scène interminable tant elle est gênante et pathétique, ces apparitions sont tout simplement minables, en plus d’être inutiles et d’alourdir le récit. C’est un NON catégorique, et le principal écueil de Doctor Sleep.
L’autre faille est inhérente à l’oeuvre originale, citée plus haut : une troupe d’antagonistes assez peu effrayants et sans personnalité, menés par une sorcière sans âge, des personnages bien peu charismatiques au sein de la ribambelle de grands méchants de l’oeuvre de Stephen King.
Une réalisation solide et des acteurs convaincants
Malgré ces défauts importants, Mike Flanagan livre un film d’horreur plus que correct, notamment dans la dernière demi-heure du film se déroulant à l’Overlook Hotel, maîtrisée de bout en bout. Si certains seront écoeurés par un fan-service un peu trop évident, il est difficile de bouder son plaisir de retrouver le mythique hôtel quarante ans plus tard. Le film dans son ensemble, bien que manquant parfois d’énergie, reste un agréable divertissement.
Comme d’habitude, Ewan McGregor est impeccable et livre une prestation sans faute, épaulé par des seconds rôles solides, notamment la jeune Kyliegh Curran et la surprenante Rebecca Ferguson, qui arrive à rendre inquiétant et ambigu un personnage pourtant mal écrit et un peu caricatural.
Un bilan mitigé
En résumé : un film correct, bien réalisé et interprété, qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se réfère à son ainé cinématographique, malheureusement amputé par un manque évident de cohérence et une bande de bad guys qui ne restera pas dans les mémoires. Les fans ultimes du film de Kubrick auront bien du mal à effacer de leur rétine traumatisée le très pénible retour à l’écran de Jack Torrance à travers un grotesque ersatz de Jack Nicholson.