Une longue genèse
Gangs of New York a été un projet de longue date pour Martin Scorsese. Bien que le film soit sorti en 2002 dans les salles américaines et en 2003 dans les salles françaises, le réalisateur italo-américain avait ce projet en tête depuis les années 70. Pour le casting, il voulait John Belushi et Dan Aykroyd, alias les Blues Brothers, dans les rôles respectivement de Billy Le Boucher et Amsterdam Vallon, cependant le décès de Belushi et la production de SOS Fantômes ont poussé Scorsese à mettre son projet au placard.
Il tentera de le relancer dans les années 90 avec Willem Dafoe, Mel Gibson et Sarah Michelle Gellar, en vain.
Bill le Boucher, aussi charismatique que terrifiant
Ça aurait pu être John Belushi, ça aurait pu être Willem Dafoe, c’est finalement Daniel Day-Lewis qui incarne l’antagoniste, un énorme psychopathe!
Attention à ne pas le confondre avec Billy Butcher, le personnage de Karl Urban dans l’excellente série satirique The Boys!
Bill le Boucher est redoutable, il mérite d’être rangé dans le même panier que Tommy DeVito et Nicky Santoro (Joe Pesci dans Les Affranchis et Casino)! Bien qu’ayant le sens de l’honneur au combat, il est sans pitié avec les Irlandais, au point de se comporter avec Amsterdam Vallon comme Scar avec Simba dans Le Roi Lion. Il le prend d’abord sous son aile et devient son mentor, avant de découvrir qu’il est le fils de son ennemi juré, le Prêtre Vallon, et de le passer à tabac et de l’excommunier des Natifs.
Qui a dit que c’était fini? Le Boucher poignarde Monk (Brendan Gleeson) dans le dos et le tue alors qu’ils devaient parlementer et qu’un vote devait avoir lieu! Quel sac! C’est ça qui est génial! Daniel Day-Lewis est toujours brillant dans ses films (Au Nom du Père, Le Dernier des Mohicans, There Will Be Blood, Phantom Thread…), et Bill le Boucher est sans doute son meilleur rôle avec celui de Gerry Conlon dans Au nom du Père!
La violence au cœur du récit
J’en ai déjà parlé dans ma critique de Killers of the Flower Moon, la violence est très présente chez Martin Scorsese (sauf Hugo Cabret, bien sûr). Sa manière de mettre en scène la violence est terre-à-terre, réaliste et simple, le plus souvent en un plan, c’est de cette façon que Scorsese la rend percutante. En revanche, dans Gangs of New York, il a un peu triché.
Dans les deux grosses scènes de baston du film, la bataille au début opposant le Prêtre Vallon et Billy Le Boucher et la bataille finale opposant Amsterdam Vallon au Boucher et aux soldats de l’Union, les combats et la violence sont esthétisés. Le montage est frénétique et très haché, il y a énormément de ralentis (majoritairement saccadés), des gros plans et des angles néerlandais, ce qui est en tous points à l’opposé du style de Martin Scorsese.
Ça ne veut pas dire que ces scènes sont mauvaises, au contraire, elles sont dantesques, bien chorégraphiées, badass et donc très agréables à regarder ; en outre, la première scène est rythmée par la chanson Signal to Noise de Peter Gabriel.
La guerre des gangs, le revers du communautarisme
Aux États-Unis, peu importe la ville, tout le monde vit dans sa propre communauté (les Amérindiens, les Afro-américains, les latinos, les Coréens, les Iraniens, les Italiens…), ça ne date pas d’hier, en particulier à New York, et ce rien qu’à Manhattan: la ville a été fondée par des Hollandais (New York s’appelait New Amsterdam, avant que les Britanniques n’aient la mise sur tout le pays), les Irlandais ont Hell’s Kitchen, les Italiens ont le Little Italy, les asiatiques ont Chinatown, les Afro-américains ont Harlem.
C’est un aspect de la vie aux États-Unis qui est très cher à Martin Scorsese, lui-même ayant grandi dans le Little Italy, et les Italiens et les Irlandais étaient mal vus par les Américains.
La vie inter-communautaire (et par extension le multiculturalisme), c’est un fait, n’a jamais rimé avec l’harmonie. Déjà entre les années 50 et 70, les Irlandais et les Italiens se faisaient la guerre à New York. À Los Angeles, même chose pour les noirs et les latinos. Dans le ghetto, leurs gangs se canardent. La série The Shield le montre bien, par le biais des gangs des One-Niners (pour les noirs) et des Byz-Lats (pour les latinos).
On se souvient également des tristement célèbres émeutes raciales de Los Angeles de 1992, une guérilla particulièrement violente à l’origine d’une cinquantaine de morts et de quelques milliers de blessés.
Dans le cas de Gangs of New York, ce sont les « Natifs Américains » (pas les Amérindiens, hein, mais les Américains d’origine anglaise, probablement les descendants des indépendantistes qui ont libéré les États-Unis du joug de l’Angleterre) qui détestent et méprisent les immigrés irlandais.
D’ailleurs, le quartier new-yorkais des Five Points, qui était le lieu d’asile des Irlandais à l’époque et le lieu au centre du film, était un ghetto à la limite de la décharge à ciel ouvert, les crimes et les maladies y foisonnaient.
Une guerre civile emboîtée dans la Guerre Civile
Lorsque la Guerre Civile a éclaté aux États-Unis, opposant les États du Sud (les Confédérés) aux États du Nord (les Unionistes), la division de la population américaine s’est étendue jusqu’aux new-yorkais. Les Natifs étaient en faveur des Confédérés, alors que les Irlandais penchaient plutôt pour l’Union.
Conclusion
Sous ses airs de film d’action, de guerre et de vengeance, Gangs of New York est un grand cours d’histoire sur l’Amérique et un édifiant traité social sur le communautarisme, signé le Maître Martin Scorsese!
Synopsis
En 1846, le prêtre Vallon (Liam Neeson), chef du gang irlandais des Lapins Morts, est tué au cours d’une sanglante bataille en pleine rue par William Cutting, dit Billy le Boucher (Daniel Day-Lewis), chef du gang des Natifs Américains. Seize ans plus tard, Amsterdam Vallon (Leonardo DiCaprio), fils du prêtre, sort de la maison de redressement où il avait été interné et retourne en ville, déterminé à se venger du Boucher.