Je vois les films français arriver de loin, accompagnés de leur réputation de complaisance et de paresse dans la mise en scène, sans oublier les jeux d’acteur presque jamais vraiment renouvelés et le peu d’ambition de l’intrigue. Je ne multiplierai pas les exemples, je m’astreins tout de même à quelques visionnages annuels en espérant des surprises inédites, le plus souvent en pure perte. Mais tout espoir n’est pas vain, la preuve en est avec ce Fête de Famille a priori très classique mais aux quelques moments de grâce qui illuminent le film de Cédric Kahn. Explications.
Un casting sans imagination mais pas sans atouts
Dès la bande annonce, le ton est donné avec l’apparition de l’inoxydable Catherine Deneuve. Sans vouloir diminuer le mérite de son immense carrière, elle sert de plus en plus souvent de caution populaire aux films où elle apparait, ne se mettant guère plus en danger ni ne proposant d’interprétation inoubliable. Depuis ses prestations incroyables dans Répulsion ou Belle de jour, elle gère avec raison son nom et sa réputation. En mère de famille célébrant ici son anniversaire entourée de ses enfants, brus et petits-fils, elle joue avec subtilité l’incompréhension face aux comportements excédés ou outranciers de sa tribu, et il y a de quoi forcer le respect des plus crédules. Car le film enchaine les scènes déstabilisantes avec des enfants déboussolés. L’argent, le poids de l’histoire familiale ou les pathologies psychiatriques sont évoqués sans presque de temps morts, accompagnant les déchainements de bile énervés, sans pourtant jamais lasser. Car le spectateur s’attendait certes à un regroupement familial en terrain légèrement miné, mais vraiment s’en s’attendre à un tel déferlement de décibels. Emmanuelle Bercot est la fille prodigue, de retour au bercail dans de troubles circonstances, sans que le spectateur ne sache vraiment si elle est complètement atteinte ou juste victime du contexte anxiogène. Ses prises de bec sont de véritables moments de bravoures, de futures scènes cultes au niveau de Gena Rowlands dans Une femme sous influence ou Mia Farrow dans Rosemary’s Baby. Le film donne des pistes de réflexion sur son comportement si particulier, sans qu’aucune explication ne parvienne à éclairer complètement ses fulgurances outrées. Le Famille je te hais côtoie des raisons plus cachées, l’évidence apparente ne suffit pas à débloquer toutes les serrures, et c’est à mettre au crédit du réalisateur. Vincent Macaigne a quant à lui le mérite de faire du Macaigne avec talent avec sa voix trainante et son air perpétuellement désabusé. Cédric Kahn interprète le fils sage et sérieux qui pourtant ne sort pas indemne du drame ambiant.
De l’audace à récompenser
Loin du train-train trop habituellement attaché au cinéma français, le film s’engage dans des sentiers qui font sourire ou réfléchir. Le jeu des apparences s’effondre sous le poids des récriminations trop longtemps enfouies ou des révélations, sans compter les rancœurs et les malentendus jamais vraiment éclaircis. Le film est un film familial que l’on peut rapprocher des dézingages caractérisés que sont Festen ou Un été à Osage County. Et la déclinaison française fonctionne très bien, avec une alternance de scènes intimistes, collectives ou même franchement potaches. L’équilibre entre les personnages, pourtant instable, donne une grande partie de son sel au film, sans oublier les petits jeunes qui apportent une innocence rafraichissante. La famille est un thème hautement cinématographique, où les caractères donnent une large mesure aux opinions trop longtemps cachées, aux équilibres trop instables et aux révélations qui font mal.
Cédric Kahn réussit son coup et sous des atours a priori très classiques, le film réussit à surprendre. C’est donc une très bonne surprise, et pas seulement par la grâce d’une Emmanuelle Bercot déjà impeccable dans Mon Roi. Elle confirme sa capacité à sortir des clous et ça fait un bien fou au cinéma français.