Le cinéma coréen est décidemment à la fête. Après la Palme d’Or attribuée à Parasite, voilà qu’il nous offre le thriller parfait pour la saison avec trois personnages ambigus et complémentaires. Car le Gangster, le Flic et l’Assassin sont trois profils pétris de violence. Le réalisateur Lee Won-Tae ne baisse que rarement le rythme pour un film épileptique à la tension saisissante. Et comme l’action se double d’une réflexion ardue sur la frontière entre le bien et le mal, le spectateur ressort de la salle avec la banane.
Les spectateurs collés au siège
Le début du film flirte (volontairement?) avec la caricature. Le flic est une tête brulée qui ne respecte rien, ni les gangsters ni sa hiérarchie, il semble tout droit sorti du cinéma américain le plus ringard. Le gangster est une boule de muscle qui ne recule devant aucune extrémité pour se faire respecter. L’assassin est un serial killer froid et sans sentiments. Les premières minutes brossent des portraits caricaturaux qui font craindre un opus sans vraie originalité. Et c’est bien là tout l’art du réalisateur. Car le film passe vite outre la facilité pour multiplier les surprises. Le film n’est qu’une suite de péripéties véritablement originales et imprévisibles. Car le bon et le méchant doivent s’allier pour retrouver la brute mais ils ne respectent leur accord collaboratif qu’à hauteur de leurs avantages respectifs, se tirant constamment dans les pattes dans un ouragan jouissif de dommages collatéraux et de déflagrations incontrôlables. C’est justement cette absence de contrôle sur les évènements qui fait tout le charme vénéneux du film. En jouant chacun leur carte, le gangster et le flic font déraper leur recherche commune et le spectateur prend un pied insensé devant les moyens déployés pour attraper l’ordure tandis que d’autres intrigues s’y ajoutent tout du long. Car l’Assassin est aussi une panacée pour ceux qui veulent s’en servir comme appât ou bouc émissaire pour leurs intérêts propres. Alors la conséquence principale est une surabondance jouissive de scènes perverses avec des personnages laissant libre cours à leur violence intérieure.
Un exutoire pour des violences intérieures
Le réalisateur se sert de ses acteurs pour montrer différents niveaux de violence. Nécessaire pour le gangster afin de défendre son territoire contre les tentatives d’agression extérieures, elle est un outil pour le flic dans l’exercice de sa mission de maintien de l’ordre et une jouissance pour l’assassin qui ne s’en sert que pour son plaisir sadique personnel. Le réalisateur utilise des procédés certes classiques mais efficaces pour la faire ressentir de manière épidermique au spectateur. Nuit noire, pluie qui mouille, musique qui sabre les tympans, le film fait déferler un tableau noir de la société coréenne, entre collusions entre justice et pègre, impuissance de services de police clairsemés face à un implacable tueur solitaire, victimes choisies au hasard sans motif de vengeance, vies vidées de sens au-delà des fonctions sociales de base. Car le Gangster offre des plaisirs interdits à une population en manque de profondeur, d’où l’acceptation tacite des autorités, ce que le Flic n’accepte pas, lui si dévoué au respect de la justice. L’Assassin vit en dehors de ce système, n’acceptant aucune autorité ni loi, refusant les contingences sociales, d’où la difficulté à l’attraper.
Les acteurs sont formidables dans la mise en scène décomplexée du réalisateur. Le film est un pur moment d’action où les neurones sont mis à rude épreuve tandis que les yeux se réjouissent du spectacle visuel. Je suis 100% pour ce type de cinéma d’action intelligent et retors. A 100 000 lieues de Fast & Furious, en somme.