Quel bonheur de débuter l’année avec ce 2e film, d’époque qui sent la sueur et le stupre, dans une reconstitution historique minutieuse et convaincante du XVIIe siècle italien. Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage ou le Caravage, était un fieffé coquin. Non content d’être à l’origine d’une œuvre puissante et novatrice qui a révolutionné la peinture par son caractère naturaliste, parfois brutal, et l’emploi appuyé de la technique du clair-obscur allant jusqu’au ténébrisme, il aimait les duels et les bagarres. Le film en rend compte dans un déroulé dense et décousu, parfait pour se perdre dans les ruelles crasses et trépidantes de Naples ou de Rome.
Un film d’époque sans facilités
L’ambiance est la première chose qui détonne dans Caravaggio. Orgies, assassinats, querelles, blessures sanglantes et purulentes, le film insiste sur l’importance de l’instant et de l’immédiateté. Les miséreux abondent, la nourriture manque, les riches festoient, les pauvres vivent dans la rue, l’estomac vide. Les cheveux sont gras, les visages sont remplis de crasse, les vêtements sont sales, une ambiance permanente de cour de miracle tranche avec les intérieurs luxueux des puissants, hommes d’églises, familles de possédants. Au milieu de de tourbillon se tient Caravaggio, peintre obstiné, voire buté, qui tient à représenter la réalité la plus crue avec l’usage de prostitués pour figurer les saintes ou de loqueteux pour interpréter les saints. Les interdits de l’église ne le freinent pas dans sa quête de perfection artistique. Les scènes semblables à des tableaux se multiplient, toujours visuellement somptueuses et parfaitement mises en scène, participant d’autant à la découverte du personnage qu’à l’approfondissement de son œuvre. Le ton visuel des scènes, perpétuellement nimbées de clair-obscur, renvoie inexorablement à ce procédé pictural utilisé avec talent par le maitre italien. L’ambiance musicale se veut à cheval entre les temps anciens et aujourd’hui, creusant d’autant l’atmosphère souvent apocalyptique. L’art est roi dans ce film qui prend le temps d’analyser l’homme et son œuvre, avec un habité Ricardo Scamarcio dans le rôle titre au côté d‘Isabelle Huppert et Louis Garrel qui rappellent le temps où les acteurs français jouaient souvent dans des excellents films italiens, comme Jean-Louis Trintignant dans Le Conformiste ou Lino Ventura dans Cadavres exquis. Louis Garrel figure l’envoyé de l’inquisition chargé de vérifier la validité théologique de l’œuvre du Caravage, il le fait de manière convaincante, s’échinant à manipuler ses interlocuteurs pour mieux les confondre, du grand art. Isabelle interprète une protectrice, mi admiratrice mi groupie, avec toujours le même art de la retenue. Des scènes ne sont pas sans rappeler des films ou des tableaux connus, tissant un lien cinématographique qui fait plaisir. Certaines scènes rappellent le Caligula de Tinto Brass avec Malcolm McDowell en 1980 ou des tableaux de Velazquez dont l’étude d’après le portrait du pape Innocent X. La densité est là, l’analyse des troubles intérieurs de l’artiste aussi, les costumes et les décors sont particulièrement bien travaillés, on cherche la faille dans cette œuvre totale et passionnante.
Les spectateurs opaques à l’analyse picturale ou aux films d’époque trouveront le temps long. Les autres profiteront à plein d’une reconstitution somptueuse où la mise en scène concourt à un tableau dense et représentatif de ce que fut la vie de génie aux temps anciens.
Synopsis: Italie 1609. Accusé de meurtre, Le Caravage a fui Rome et s’est réfugié à Naples. Soutenu par la puissante famille Colonna, Le Caravage tente d’obtenir la grâce de l’Église pour revenir à Rome. Le Pape décide alors de faire mener par un inquisiteur, l’Ombre, une enquête sur le peintre dont l’art est jugé subversif et contraire à la morale de l’Église.