Peut-être que le mot éblouissement est un peu fort. Mais le sentiment final enthousiaste se place au-dessus de toutes ces longueurs relativement incompréhensibles qui parsèment le film jusqu’aux 20 dernières minutes. Quand tout s’illumine, il ne reste que le ravissement final. Un peu comme le Phoenix de
Christian Petzold avec la lumineuse Nina Hoss sorti en 2014. Ah, le cinéma allemand…
Une femme écorchée vive
Lara Jenkins est une femme rendue longtemps antipathique. Dès la scène de début, elle semble au bout du rouleau, semblant ne jamais s’entendre avec personne, ni ses amis, ni son ex-mari, ni ses anciens collègues, ni sa famille. Un lourd fardeau la coupe de ses semblables et le film à la BO très pianistique révèle peu à peu les fêlures jamais complètement cicatrisées. Le montage du film est somme toute classique, le rythme est lent, les fulgurances sont rares jusqu’au concert final de Viktor Jenkins, son fils. Et les rancœurs cachées se font jour. Le piano est à la fois un ami et un ennemi, il ne se laisse pas dompter facilement et la lutte n’est jamais gagnée d’avance. Des airs de Chopin (surtout l’étude opus 10 n°12), Bach ou Beethoven imprègnent le film d’une profondeur abyssale pour figurer les émotions extrêmes ressenties par l’héroïne, interrogeant sur les sacrifices consenties ou subis tout au long de sa vie. Le film se ressent comme une prise de conscience des tourments engendrés par la lutte entre les espoirs, les déceptions et le temps qui passe irrémédiablement. L’héroïne boit, fume et vit les turpitudes de sa journée d’anniversaire des 60 ans avec une fatalité extrême. Le spectateur croit vivre un naufrage, il assiste surtout à un retournement existentiel total. L’héroïne s’est imposé le poids d’un talent insuffisant pour briller quand elle se rend compte que ce talent imprègne tout son être, elle peut enfin le ressentir et sa vie change du tout au tout. L’actrice Corinna Harfouch est une véritable star en Allemagne et comme elle est extrêmement talentueuse, ça ne gâche rien.
Ce Lara Jenkins est officiellement un des grands films de ce début d’année 2020. Langueur, profondeur, les sentiments s’enchainent et si le spectateur est un peu laissé en dehors, il peut ressentir des sentiments très forts. Et ça, au cinéma, ça ne se refuse pas.