Le réalisateur français Gaspar Noé est un habitué des expérimentations visuelles. En 6 films, il ne s’est jamais répété, recherchant inlassablement la complexité et le challenge en abrogeant les repères cinématographiques habituels. Après un Seul contre tous conçu comme un long plan séquence avec cette voix off pesante, un Irréversible à rebours, un Love charnel, un Climax tourné à l’envers, un Enter the Void tourné du dessus, il innove encore avec son split screen et ces effets stroboscopiques qui touchent au mystique. En 51 minutes, il envoute et fascine, jusqu’à la nausée finale. Toujours une expérience unique, un film de Noé.
Un trip mystique visuel
Lux Aeterna est conçu comme un film dans le film. Béatrice Dalle interprète son propre rôle en réalisatrice tourmentée en plein syndrome de persécution. Elle croit que son producteur veut lui voler son film, un autre réalisateur s’insinue à sa place sur le plateau, tout le personnel complote dans son dos et les critiques fusent continuellement. L’usage très seventies du split screen permet de confronter sa perception forcément limitée de la réalité avec l’envers du décor du film proche de l’enfer mystique de Dante. Surtout que la d’abord débonnaire Charlotte Gainsbourg tombe lentement mais sûrement dans le même syndrome paranoïaque quand sa fille lui apprend par téléphone une mystérieuse agression que la nounou d’origine étrangère n’arrive pas à lui expliquer. Les 40 premières minutes ressemblent à un plateau lentement renversé sur un sol en béton, les personnages semblent d’abord perdre leur équilibre précaire, s’accrocher à leurs minces certitudes, se retenir péniblement de plonger pour enfin chuter sans fin comme dans un puit sans fond. L’arrière plan musical très classique contribue à faire monter la pression d’un tournage de plus en plus incontrôlable où des journalistes réussissent à s’engouffrer sur le plateau, des parasites tourmentent l’actrice, les assistants n’obéissent pas à réalisatrice et le chaos prend peu à peu forme pour se finir dans un tunnel de 10 minutes où des perturbations électriques finissent d’achever le spectateur. La scène clé du film doit voir Charlotte Gainsbourg brulée sur un bûcher à la manière des sorcières du moyen-âge, Gaspar Noé insère d’ailleurs des citations et des extraits de films en N&B pour faire comprendre le sentiment de la suppliciée alors qu’elle tombe inexorablement dans les flammes. Un large panneau électrique posé derrière les rondin de bois où doivent être attachées les actrices figure l’irrémédiable montée du feu le long du corps, mais un orage environnant dérègle la machinerie électronique avec pour résultat d’incontrôlables effets stroboscopiques accompagnés d’un son industriel strident ressemblant à une machine outil qui perfore les tympans. Pour avoir regardé autour de moi, l’inconfort était total dans la salle, certains hésitaient à quitter les lieux, la crise d’épilepsie collective n’était pas loin. Le but recherché devait être de figurer la souffrance d’une simple femme jetée dans le brasier pour des motifs futiles, tel que l’absence de lobe d’oreille ou des rumeurs villageoises gratuites, ah le bon temps du moyen-âge et son obscurantisme forcené…
Le film laisse au final le sentiment unique d’avoir ingéré une drogue à ses dépens tant le voyage filmique fait traverser les eaux agitées de la création pour aboutir dans un terrain miné. La durée de 51 minutes peut paraitre de prime abord ridicule, elle se justifie finalement car faire durer le plaisir plus longtemps aurait été tout simplement sadique. Le moment de cinéma était bien suffisant, on en garde un souvenir éternel, il ne faut cependant pas abuser des bonnes choses, et c’est tant mieux.
Synopsis: Charlotte Gainsbourg accepte de jouer une sorcière jetée au bûcher dans le premier film réalisé par Beatrice Dalle. Or l’organisation anarchique, les problèmes techniques et les dérapages psychotiques plongent peu à peu le tournage dans un chaos de pure lumière.