Pour ma maman, que j’aime. Duset dâram*.
Pour ma grand-mère, Rouyieh, alias « Mamaï ».
À la mémoire de mon grand-père, Ezzat.
La beauté de l’animation
Persepolis est un film aux images enchanteresses, assez fidèles au trait de dessin de Marjane Satrapi et du roman graphique dont le film est tiré. Le noir et blanc illustre l’idée du souvenir, dans la mesure où les quelques passages montrant Marjane Satrapi elle-même adulte à l’aéroport d’Orly sont en couleur. Tout au long du film, nous sommes dans la tête de Marjane, qui se remémore l’ensemble de sa vie. En fait, c’est même au-delà du noir et blanc, il n’y a pas de couleur. Cette absence de couleur traduit en outre l’austérité et le caractère terne du passé de Marjane en Iran et le trouble socio-politique post-Révolution du pays.
On sent une poésie visuelle dans certains passages, notamment ceux des interactions entre Marjane et Dieu et celui des émeutes dans les rues de Téhéran pendant la Révolution de 1979 (Les silhouettes des émeutiers, les masques à oxygène noir et blanc des policiers), à l’aspect hérité de l’expressionnisme allemand.
Le trait simple, limite cartoon, des dessins contraste avec le ton et l’atmosphère du récit, qui rend la poésie du film quelque peu macabre:
Un ton en dents de scie
Il est très difficile de savoir sur quel pied danser avec Persepolis. C’est un gigantesque ascenseur émotionnel.
Certaines scènes sont très drôles, comme la scène de la puberté de Marjane ou celle dans laquelle Marjane joue la comédie avec deux Pasdaran (Ces femmes voilées ultra aigries voilées et en abaya noirs qui emmerdent les femmes qui sont « mal habillées » (selon leurs critères de @#!*%) et qui montrent leurs cheveux sous leurs voiles) pour ne pas se faire emmener chez les Gardiens de la Révolution.
Les autres scènes sont soit extrêmement dures soit très amères. La scène assez courte dans laquelle Madame Nasrin, la femme de ménage des Satrapi, discute avec la mère de Marjane et déplore l’endoctrinement de son fils de 14 ans par les Gardiens de la Révolution avec notamment la petite clef en plastoc qui soi-disant garantit l’accès au Paradis, nous fait ressentir l’amertume et la perte de la foi d’une croyante, mais surtout d’une mère.
Dans un autre style mais qui donne le même sentiment d’amertume, je dénote aussi la scène dans laquelle Marjane encore petite joue les révolutionnaires avec ses copains et s’arme de clous dans le but de torturer Ramin, un enfant dont le père travaillait pour les services secrets du Shah et traque les communistes. On voit l’impact des idéaux révolutionnaires sur les enfants, dont l’innocence est parasitée et atrophiée par les troubles politiques.
J’ai eu un coup de blues (pas très loin des larmes) lorsque Marjane rend visite en prison à son oncle Anouche (François Jerosme).
L’extrême dureté de l’Iran des années 80
Persepolis n’épargne rien. Pour un film d’animation aux allures presque cartoon, sans être trash ou violent, c’est un film cruel.
Les Gardiens de la Révolution sont redoutables. Ils passent leur temps à dire aux femmes de mettre « correctement » leur voile (la meilleure façon de mettre cette horreur, c’est de l’enlever et de la mettre au feu) en les appelant « Ma sœur », mais s’ils font face à de la résistance, place à la pire vulgarité et à la pire misogynie possibles.
Plus tard dans le film, Marjane rentre de l’école avec un avertissement pour avoir recadré sa prof de religion. Sa mère, dont l’inquiétude est à son paroxysme, rappelle les méthodes cruelles des Gardiens de la Révolution (« Tu sais ce qu’ils font aux jeunes filles quand ils les arrêtent ?! Tu sais ce qui est arrivé à Niloufar?! Tu sais ce qu’ils lui ont fait?! Tu sais que selon la loi, on n’a pas le droit de tuer une vierge?! Alors on la marie avec un Gardien de la Révolution et il la dépucèle avant de l’exécuter! Tu comprends ce que ça veut dire? TU COMPRENDS?!!)
Sur le plan de la violence, plus c’est suggéré, plus c’est impactant, je ne cesserai jamais de le répéter.
Le court passage dans lequel Marjane, encore gamine, voit le bras d’un cadavre dans les ruines d’un immeuble bombardé est tellement impactant!
Les quelques séquences qui montrent les émeutes pendant la révolution et les tanks sur le champ de bataille pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak appuient l’austérité et la violence de l’époque.
Même chose pour les courtes images qui ponctuent les répliques des Satrapi évoquant leurs amis assassinés ou exécutés par le gouvernement iranien ou bien en fuite. Certaines images montrent des cadavres.
On ne voit pas ça dans tous les films d’animation, n’est-ce pas?
Aparté : la vie de ma mère, une histoire proche
L’une des dernières fois que j’ai regardé Persepolis, c’était avec ma mère. Jamais je ne l’avais vue être autant touchée par un film. Eh oui, ma mère est d’origine iranienne et s’est enfuie d’Iran, au lendemain de l’ascension de l’ayatollah Khomeini, pendant sa petite enfance.
À l’aube de la Révolution, mes tantes et mon oncle ont été envoyés en France pour la suite de leur scolarité. À l’instar de Marjane Satrapi, ils étaient dans une école française en Iran, et toutes les écoles et lycées français ont été fermées en 1979. Mon grand-père est parti les rejoindre par la suite, mais a renoncé à retourner en Iran lorsqu’il y a eu un arrêt de mort à son encontre. Ma grand-mère, quant à elle, a été emprisonnée trois mois, et seules les pièces essentielles de la maison familiale étaient accessibles pour maman (Une chambre, un bureau, une salle de bain, les WC, la cuisine), mais tous les objets de valeur qui s’y trouvaient ont été préservés des Gardiens de la Révolution par un stratagème de ma grand-mère, Dieu la préserve.
Un jour, maman et ma grand-mère sont parties dans le Nord du pays avec un groupe de passeurs. Elles ont traversé la frontière et sont entrés au Pakistan. Finalement, maman et ma grand-mère sont allés jusqu’à Karachi, où elles ont rejoint une cousine qui faisait ses études là-bas. Plus tard, elles ont fini, avec le titre de réfugiées, par rejoindre le reste de la famille en France.
Sacrée histoire, non ?
Conclusion
Chaque fois que je regarde ce film, j’ai mal à ma Perse. Un si beau pays avec une culture millénaire passionnante malheureusement parasité par une théocratie tyrannique et oppressive avec des coutumes aux antipodes de la dignité humaine.
En vérité je vous le dis, Persepolis est un grand film d’animation peu accessible mais avec des thématiques qui parleront à ceux qui ont connu ou dont les familles ont connu les événements de sa diégèse.
Si je devais donner un seul bémol: Il n’y a pas la moindre réplique en persan.
Synopsis
Marjane (Chiara Mastroianni), jeune fille à Téhéran, voit avec sa famille (Catherine Deneuve, Simon Abkarian et Danielle Darrieux) sa vie changer du jour au lendemain lorsque le Shah d’Iran Mohammed Reza Pahlavi est renversé, au profit de l’ayatollah Khomeini. Depuis la révolution de 1979, les proches de sa famille sont emprisonnés, assassinés ou en fuite. Marjane grandit tant bien que mal avec la répression du nouveau régime, la guerre entre l’Iran et l’Irak, l’islamisation du pays, le port du voile et les interdictions bravées.
PS: Je dédie également cette chronique à Marjane Satrapi et aux Iraniens, notamment les Bahá’ís persécutés depuis trop longtemps et les femmes qui se battent sans relâche contre le voile.
Zan, Zendegi, Azadi! Et Joyeux Naw-Rûz!
* »Je t’aime » en persan (NDLR)