L’idéal soviétique comptait de nombreux admirateurs au cœur même de l’URSS.
Andreï Konchalovsky confronte ces idéaux avec la réalité dans un film au noir et blanc qui fait redécouvrir l’époque poststalinienne avec un réalisme glaçant. Les bureaucrates soviétiques en prennent pour leur grade en montrant la répression féroce d’une grève diligentée par les ouvriers mécontents d’une usine ferroviaire.
Sous les idéaux, le prix du sang
Le fonctionnement bureaucratique soviétique est montré dans toute sa caricature dans un film qui monte petit à petit en intensité jusqu’à la répression meurtrière. Sont-ce l’armée ou le KGB qui ouvrent le feu contre la foule jusqu’à occasionner des dizaines de victimes? La mise en scène sans empathie du réalisateur suit une apparatchik dévouée au cœur de la ville de province pour remettre en cause les certitudes. Si l’idéal communiste demande des sacrifices, Lioudmila (excellente
Yuliya Vysotskaya) n’est certainement pas prête à sacrifier sa fille. La reconstitution historique de cette époque où le parti était au dessus de tout débute dans l’aveuglement général. Les opposants au système ne sont que des traitres dont il faut se débarrasser. L’époque de Khrouchtchev en 1962 reprend les fondamentaux staliniens, répression continuelle et absence totale de pitié, le goulag sibérien est la sentence immédiate quand ce n’est pas la mort. Le format 1.33 et le noir et blanc, outre qu’ils rappellent l’imagerie des années 1960, permet surtout de restituer l’absence d’imagination des dignitaires de l’époque. Engoncés dans un fonctionnement complètement règlementé, les apparatchiks se contentaient de suivre les instructions, pour ne pas prêter le flanc à l’omniprésent KGB caché dans l’ombre et perpétuer ainsi le fonctionnement aveugle du parti. Les statues de Lénine sont partout, personne ne sort du cadre, les jours se déroulent sans anicroches et la grève de Novocherkassk les 1er et 2 juin 1962 parait complètement incongrue dans ce contexte, comme si le peuple n’avait tout simplement pas le droit de se révolter contre l’ordre immuables des choses. La répression a été soigneusement effacée par les dirigeants de l’URSS, corps enterrés à la va-vite dans d’autres tombes, traces de sang nettoyées au jet d’eau et quand ce n’était pas suffisant, bitume enlevé et remplacé. Lioudmila, la dirigeante locale zélée qui regrette la déstalinisation porte un regard unique sur les évènements. Sa fille contestataire, son père nostalgique de l’époque des tsars, la hausse des prix constatée au magasin d’alimentation, elle subit des forces contraires qu’elle tente de contenir, mais ne peut plus du tout quand sa fille disparait au moment de la répression. La remise en cause est totale, le système n’avait que faire des doutes, les siens n’ont pas plus d’importance que les autres.
Chers Camarades est une plongée angoissante dans un monde soviétique qui vivait en vase clos, loin de notre époque internet où la liberté est promue de tous côtés. En cela, le film laisse à réfléchir sur ce monde cloisonné.
Synopsis: Une ville de province dans le sud de l’URSS en 1962. Lioudmila est une fonctionnaire farouchement dévouée au Parti Communiste. Sa fille décide de participer à la grève d’une usine locale et les événements prennent une tournure tragique. Les autorités dissimulent la violence de la répression. Lioudmila se lance alors dans une quête éperdue à la recherche de sa fille disparue.