Critique : L’exercice du montage cinématographique a beau paraître d’une facilité déconcertante pour le grand public, il s’agit néanmoins d’une tâche aussi difficile qu’indispensable, notamment par la variété des images qui peuvent être tournées et changer de sens par une coupe ou un raccord. Cela se révèle encore plus fragile quand il s’agit du cinéma documentaire, par sa façon d’approcher le réel et de chercher à le capter au mieux par le biais d’un regard dont la matérialité influe invariablement le sujet. Voilà pourquoi l’ouvrage de Luc Forveille s’avère si important, que l’on soit spécialiste ou non du septième art.

En effet, ce monteur de renom prend le temps de revenir sur les enjeux de son rôle dans les films documentaires, le tout avec un ensemble d’exemples et d’expériences personnelles qui permettent de mieux se rapprocher d’un sujet qui pourrait être distant pour le public profane. On assiste ici à une masterclass écrite dont la manière de concentrer son propre regard permet d’autant mieux de développer les responsabilités de ce rôle avec un aspect apprentissage qui adoucit dans sa forme la technique de son fond. Il y a une grande richesse dans ce qui est proposé et la façon d’aborder des points théoriques à priori abscons se fait avec une plus grande facilité tant le style de Luc Forveille permet de toucher n’importe quelle audience.

Plus fort encore, l’ouvrage trouve une résonnance dans l’importance de l’image du réel, permettant de déconstruire plusieurs à priori cinématographiques tout en rappelant des choses essentielles. Ainsi, l’importance du montage se voit valorisée, rappelée dans ce qu’il permet de redéfinir les images captées, et de rapprocher finalement un réel avec une intelligence émotionnelle nécessaire à la tâche. La façon dont l’auteur raconte et se raconte contribue dès lors à la grande réussite de son livre.

En effet, « Dans la salle de montage – Logiques du documentaire » se révèle aussi didactique que personnel, permettant de mettre en lumière un rôle souvent diminué mais pourtant majeur dans le développement artistique. En approchant les bases d’un montage documentaire et en dressant le portrait d’un cinéma majeur dans son questionnement du réel, Luc Forveille propose un livre indispensable qui devrait être lu par toute personne aimant ne serait-ce qu’un peu le cinéma, documentaire ou non, par sa pertinence et sa façon d’inscrire des réflexions filmiques passionnantes.

Résumé : « J’ai passé de longues heures dans des salles de montage de films documentaires. C’est là qu’est né et qu’a mûri ce projet d’écriture, il y a plus de dix ans maintenant.

L’idée générale de ce livre est de comprendre et d’analyser les enjeux théoriques qui se posent au moment du montage d’un film documentaire. Il se situe à l’intersection de deux visées : celle du praticien qui entend donner une perspective plus large et plus abstraite à ses “manières de faire” et celle du théoricien qui cherche une application plus pragmatique à ses “formes de pensée”. Une sorte d’exercice d’équilibre entre pratique et théorie qui nous plonge au cœur des questions qui se soulèvent dans la salle de montage d’un film documentaire et des réponses qui leur sont apportées. Un livre où se croisent des films que j’ai montés – ceux de Claire Simon, d’Alexander Abaturov, de Mehran Tamadon ou de Stefano Savona – et des grands classiques du documentaire – Shoah de Claude Lanzmann, Zoo de Frederik Wiseman, Nous d’Artavazd Pelechian ou Les Maîtres fous de Jean Rouch. »