Critique : « Un nouvel essai sur Alien ? Mais est-ce nécessaire ? » pourraient crier certaines personnes au vu de la littérature foisonnante consacrée à la licence ainsi qu’à l’opus originel réalisé par Ridley Scott. Il faut dire que le potentiel analytique de la franchise a de quoi passionner tant chaque épisode, qu’on aime ou non, dégage une richesse thématique et visuelle qui pousse à réfléchir encore et encore sur les rouages de titres aussi singuliers que denses derrière leur apparence de « simples » divertissements horrifiques.
L’angle choisi par Christophe Meurée dans notre ouvrage du jour se distingue en se concentrant uniquement sur Ellen Ripley, aussi fortement rattachée à Alien que le xénomorphe lui-même. Évidemment, ce point de départ s’inscrit logiquement dans la collection « La fabrique des héros » proposée par la maison d’édition « Les impressions nouvelles », mais cette façon de se recentrer sur une héroïne pareille méritait au moins la curiosité de se plonger une nouvelle fois dans les entrailles des films. On s’attendait à beaucoup et on n’a clairement pas été déçu tant « Ellen Ripley : survivre à l’Alien, survivre à l’avenir » densifie encore la lecture des opus d’Alien par sa manière d’interroger un protagoniste pas si évident que ça.
En un peu plus de 100 pages, Christophe Meurée réussit à décortiquer de manière précise et claire la protagoniste incarnée par Sigourney Weaver. Il faut dire que les points d’approfondissement ne manquent pas, notamment concernant l’approche féministe du personnage qui se perd un peu dans la maternité induite dans l’« Aliens » de James Cameron. En multipliant les approches, l’auteur parvient à défricher une figure aussi culte, bien aidé par son grand nombre de sources et de citations, ainsi que l’écriture même autour d’Ellen Ripley au fur et à mesure de ses apparitions dans la licence.
Il est ainsi même ironique que l’auteur close son livre sur la difficulté de saisir ce qui fait de Ripley un personnage aussi intéressant tant lui-même accumule les pistes réflexives avec une simplicité admirable. « Ellen Ripley : survivre à l’Alien, survivre à l’avenir » n’est ainsi pas qu’un simple exercice théorique mais un essai passionnant à la hauteur de l’héroïne qu’on essaie de capter symboliquement et intellectuellement.
Résumé : « Dans l’espace, personne ne vous entend crier », annonçait la phrase d’accroche de l’affiche française d’Alien en 1979. Pourtant, la voix de Ripley, « last survivor of the Nostromo », continue de résonner à travers l’espace et le temps, de films en comics, de jeux vidéo en évocations romanesques, théâtrales ou philosophiques. Si le xénomorphe est souvent considéré comme le personnage principal du film, c’est Ellen Ripley qui en est l’héroïne : ce duo indissociable de l’alien et de la femme qui le met en échec à chaque nouvelle rencontre a profondément marqué la science-fiction de son empreinte.
Né dans l’imagination de Dan O’Bannon et Ronald Shusett, le personnage de Ripley n’était pas destiné à être de sexe féminin. Pourtant, c’est bien à Sigourney Weaver, jeune comédienne issue du théâtre, que Ridley Scott confie le rôle principal du film qui lancera leurs carrières respectives. Ripley apparaît dans quatre longs-métrages signés par des réalisateurs de talent : Alien (Ridley Scott), Aliens (James Cameron), Alien3 (David Fincher) et Alien Resurrection (Jean-Pierre Jeunet). Si réalisateurs et scénaristes sont tous de sexe masculin, il n’empêche qu’ils ont tous participé à la création de l’un des modèles d’héroïne parmi les plus puissants de la fiction contemporaine : une femme qui se révèle forte dans l’épreuve, capable de surclasser n’importe quel homme, tout en assumant pleinement sa vulnérabilité.
Le lieutenant Ellen Ripley lutte non seulement contre une espèce extraterrestre parasitaire mais aussi contre un empire technologico-financier avide de profit et prêt à tous les sacrifices (surtout ceux d’autres êtres humains) pour s’approprier la pure puissance de l’alien. Éternelle survivante, Ripley se voit condamnée à une errance sans fin (jamais elle ne retourne sur la Terre, sinon en la survolant, à la fin du quatrième opus, alors qu’elle n’est déjà plus tout à fait humaine, produit d’un clonage qui a mêlé l’ADN humain et l’ADN du xénomorphe). Si elle est femme, mère, profondément humaine, elle tend irrémédiablement vers la monstruosité inhumaine que lui assigne ce rôle d’éternelle survivante, capable de prédire le futur immédiat (les dangers de l’action ou de l’inaction) comme le lointain (les dérives de l’humanité). Héroïne, Ripley l’est en ceci qu’elle représente ce qui, de l’avenir d’une humanité dévoyée, est voué à survivre.