Passant des cases de la bande dessinée à l’écran de cinéma avec son premier long-métrage, « Belle enfant », Jim nous propose une histoire entre quête de soi, sororité salvatrice et rapports avec une famille partagée sous le ciel italien. Le jardin de l’hôtel Manos Premier et son côté solaire convenaient donc parfaitement à un entretien avec lui.
Vous êtes surtout connu pour votre carrière de dessinateur. Comment vous êtes-vous orienté vers le cinéma ?
Je fais des courts-métrages depuis que j’ai 18 ans. Ça a toujours été une passion et le but… En fait, je suis en retard. Je voulais faire des films plus tôt mais c’est très compliqué et j’ai été un peu happé par la bande dessinée qui est une façon de raconter des histoires un peu plus simple, qui implique moins de gens avec moins de budget. Et puis à un moment, vers 40 ans, je me suis réveillé en me disant « Bon sang, je veux faire des films ! ». J’ai cherché des producteurs et j’ai trouvé mon chemin au bout d’un moment pour faire ce premier long-métrage qui s’appelle « Belle enfant ».
D’où est venue l’envie de cette histoire ?
C’est venu de l’envie de filmer l’Italie, de faire un premier film qui ne soit pas en appartement parisien et offrir une vraie expérience, un vrai voyage de cinéma. C’est venu aussi de ma rencontre avec l’actrice Marine Bohin, j’ai écrit en pensant à elle sur un personnage un peu énergique, rentre-dedans. Il y avait une énergie folle dans cette actrice qui m’a servi de guide pour l’écriture. La particularité du film est qu’on a tourné très vite, très tôt. 3 mois après l’écriture, on a commencé à tourner les séquences. Le but était justement d’y aller à l’énergie, ne pas laisser reposer le projet. Je ne voulais pas qu’il y ait une déperdition. Souvent, les projets peuvent s’éteindre un petit peu quand il y a plein d’intervenants et que tout le monde met son nez. Je voulais au contraire garder le cap.
N’y avait-il pas une appréhension dans ce passage au format long ?
Il y en a toujours ! C’est totalement différent avec la BD qui est un métier solitaire. C’est assez méditatif car on enchaîne des journées qui sont les mêmes et on ne se bat qu’avec soi-même. Là, on enchaîne avec des journées assez différentes et on côtoie énormément de gens. C’est deux mondes totalement différents. Il y a toujours un sentiment d’imposteur, d’illégitimité qu’il faut dépasser. Il faut se faire croire à soi-même qu’on peut y arriver et c’est la meilleure façon d’y arriver au final.
Comment avez-vous cherché à trouver ces décors, qui appuient votre ambiance ?
En fait, ma fille a fait un an d’Erasmus à Gênes au moment où j’écrivais ce projet de film et elle me montrait plein de décors. Sans m’en rendre compte, je faisais du repérage. Je me disais que ce serait super bien de filmer ici ou là. Du coup, j’écrivais et j’incluais les éléments dans le scénario. Je les visualisais d’autant mieux que c’étaient des décors que je connaissais. Après, il a fallu trouver cette grande villa où on a tourné une bonne partie du film et là, on a fait des recherches et visité pour trouver le bon endroit. Donc une partie des décors est venue à moi et toute une partie qu’il a fallu trouver comme sur un film normal.
En parlant de la villa, on a un côté chaleureux d’apparence tout en ressentant une certaine froideur, les brisures entre cette mère et ses filles. Comment faire résonner ces thématiques, par ce biais ainsi qu’à l’écriture ?
Je pense qu’il y a un côté « beauté du passé » dans cette maison, ce qui rejoint ce dont la mère dit d’elle-même, qu’elle préférait le temps d’avant et qu’elle vit dans un monde qui n’est plus vraiment le monde d’aujourd’hui. Cette maison faisait sans doute écho à ça. En réalité, quand on écrit, qu’on a envie de filmer, on se laisse porter par un sentiment très premier et pas du tout cérébral, juste la beauté. Je pense que c’est après coup que je peux justifier de manière intelligente. Mais il y avait un vrai plaisir à filmer ces belles façades et l’espace autour de cette maison comme la rotonde qui donne sur la hauteur de la mer.
Peut-être pour revenir aux personnages, quel a été le travail pour avoir cette sororité palpable ?
Ça aurait peut-être pu fonctionner si les actrices ne s’entendaient pas entre elles mais elles s’entendaient bien ! Il y avait donc quelque chose de très limpide dans leurs rapports, dans leur plaisir de travailler ensemble et du coup dans le plaisir de répéter des séquences ensemble en proposant des petites choses. Il y a le personnage de Cheyenne qui appelle constamment notre héroïne « grenouille », c’est un ajout qu’elle a fait. Il y a plein de petites choses comme ça qui viennent s’ajouter et glissent de la vraie vie dans les personnages et le tournage. Mon travail, c’était à la fois d’être garant du scénario et d’attraper tous les petits moments de vie qui pouvaient ajouter du vrai dans le film.
Le personnage de Baptiste Lecaplain amène aussi une pure énergie de comédie à cette dynamique…
Je voulais un film féminin et je ne voulais pas que les garçons soient encombrés d’une certaine masculinité. Les hommes sont aussi, dans le film, plutôt féminins. Je voulais un personnage assez léger, un peu pataud au départ dans ses relations aux femmes. De la même façon que le personnage féminin, Émilie, ne devait pas directement être aimée par les spectateurs et qu’on la découvre plutôt au fur et à mesure, je voulais que lui on ne l’aime pas forcément au tout début. J’aimais bien qu’il soit balourd et ne sachant pas comment s’y prendre avant que la fille ne l’amène à lui faire comprendre qu’il agit mal et qu’il faut qu’il arrête d’être insistant avec son ex qu’il n’arrive pas à quitter. Son cheminement va être comment on apprend à rompre pour avancer dans la vie. C’est vraiment l’histoire de deux personnages qui se réparent, se soignent l’un l’autre en se rencontrant. C’était ce qui me guidait à l’écriture. Mais je dirais que c’était le travail en profondeur. Le travail premier, c’était de rendre les séquences le plus agréables possible, le plus fun en ajoutant un niveau de légèreté qui fasse un film dynamique, déconnant, avec un esprit un peu road movie où on s’embarque avec les personnages. En fait, tout le travail, c’était de faire un film où on aime les personnages et qu’on puisse être bien avec eux. D’ailleurs, je trouve que le film est peut-être un petit peu trop long à la fin mais je n’ai pas eu envie de couper. Enfin, on a coupé des choses mais je me suis dit que le film avait sa bonne forme parce que lorsqu’on est bien avec eux, on n’a plus envie de les couper. C’est quelque chose dont je me rends compte aussi dans les projections avec le public. Je sens un degré d’amour pour les personnages. C’est quelque chose de très joli qu’on ne mesure pas de la même façon en bande dessinée car, dans une salle, on attrape les réactions au vol du public alors qu’en BD, on a les réactions une fois que le livre est refermé, des retours plus réfléchis.
Le jeu de Marine Bohin est très spontané. Comment était votre relation de travail sur le film ?
J’avais un mot que je ressortais tout le temps et qui est devenu une blague entre nous, c’était d’être intense. Je voulais que le personnage le soit tout le temps, qu’elle nous accroche. On avait ça comme repère. Après, j’aimais bien l’idée de creuser le personnage. Il y a un jeu avec les comédies romantiques mais je ne voulais pas qu’elle se montre séduisante. Elle a une féminité un peu différente, elle se renifle sous les bras, on la voit baver, … Il y a plein de choses qui sont des anti-accroches de séduction et je trouvais ça joli de travailler un personnage qui a tous ces petits éléments un peu repoussoirs, avec un côté un peu revêche, mais que le public va apprécier.
Merci à Maud Nicolas de Distri 7 pour cet entretien.