Venu cette année au BRIFF en tant que membre du jury de la compétition internationale, Stéphan Castang a eu la sympathie de nous accorder un moment pour parler de son rapport aux festivals et de la réception positive de son premier long-métrage, « Vincent doit mourir ».
Comment avez-vous vécu cette expérience du BRIFF ?
Formidablement bien ! Déjà, j’aime beaucoup Bruxelles. Ensuite, cette équipe est une équipe que j’affectionne particulièrement parce que c’est la même qui s’occupe du Brussels Short Film Festival où j’ai eu l’occasion de venir avec des courts-métrages mais également dans le jury lors de l’édition 2022. Donc quand Céline (Masset) et Pascal (Hologne) m’ont proposé d’être jury pour cette édition du BRIFF, j’ai répondu présent avec un immense plaisir !
Justement, quelle est votre réaction face à la sélection de cette année ?
Très belle programmation ! Ce qui est bien aussi, c’est que ce n’est pas une programmation qui écrase par le nombre parce que c’est une sélection de huit films. Souvent, dans une sélection, il peut y avoir un film qui nous accroche moins, une sorte de mouton noir, et là, pas du tout. Tous les films étaient de très haute tenue, ça se répondait. Il y avait des choses très plaisantes à découvrir ces films venant de continents et d’univers différents.
C’est assez drôle car le prix est revenu au « Roman de Jim », avec Karim Leklou, l’acteur principal de « Vincent doit mourir ». Qu’est-ce qui vous a plus marqué dans le film ?
J’étais très emmerdé car Karim est un ami. J’avais hâte de découvrir le film et je ne voulais pas me laisser influencer par l’admiration et l’amitié que j’ai pour le travail de Karim. Je trouve que c’est un film formidable car il prend déjà le temps de développer sa proposition. C’est-à-dire que pendant 20, 25 minutes, on ne sait pas si on l’aime ou pas car il avance un peu comme ça, le temps de poser les codes de sa narration, les codes du mélo (car on est quand même dans un mélo). Il prend ce temps-là alors que certains films qui démarrent très très bien nous laissent déçus par la fin, parfois les multiples fins. Là, au contraire, on a quelque chose qui prend le temps de se déployer, où il faut aussi qu’on aille un peu en tant que spectateur avant d’être embarqué. C’est un film très très beau sur la douceur et vu notre époque de cons, c’est très important des films qui mettent en avant des gestes simples, de la douceur, de la bienveillance entre nous. C’est plutôt salutaire.
Quel est votre rapport aux festivals de cinéma en général ?
J’aime beaucoup les festivals pour plusieurs raisons. Déjà, parce que je me dis que si je fais beaucoup ce genre de trucs, c’est-à-dire pendant longtemps comédien au théâtre et maintenant cinéaste, au-delà de choses que j’ai envie de raconter, c’est l’envie de rencontrer des gens, notamment des gens vers qui je n’irais pas forcément. Un festival est propice pour ça mais aussi pour rencontrer des collègues. Quand vous êtes jury en plus, vous êtes obligé de partager avec des gens. Je ne connaissais personne du jury* et on a partagé une certaine intimité car c’est intime finalement de donner son point de vue car c’est aussi son regard. C’est une chose que j’aime beaucoup. C’est un lieu propice aussi pour boire des coups, ce que j’aime beaucoup aussi (rires). On passe par des choses festives, des choses de réflexions, des engueulades car on peut dans le même temps s’engueuler sur quelque chose de l’ordre de l’esthétique du cinéma ou des choses politiques ou encore triviales sur le foot. Ça fait du bien aussi de partager ce temps-là pendant une semaine. Ça fait aussi une pause et dans un temps comme le nôtre où on a beaucoup de choses préoccupantes, être dans cette bulle, dans cette parenthèse que fonde un festival, comme une forme de résistance à la connerie ambiante, c’est très salutaire.
Vu que du temps a passé depuis sa sortie, comment percevez-vous la réception générale de « Vincent doit mourir » ?
Je serais bien ingrat de dire que ça s’est mal passé. Je ne m’attendais pas à une telle réception, notamment critique, comme ça. On a fait quand même beaucoup de festivals très variés, que ce soit de genre. Pour revenir à votre question précédente, un film comme « Vincent doit mourir » a besoin de festivals pour pouvoir exister. En plus, on a démarré à la semaine de la critique à Cannes. J’étais très surpris, comme de l’accueil favorable. Après, on a pu aller dans autant de festivals dits « de genre » que généraux comme le BFI à Londres ou Busan. C’était dingue de voir l’accueil réservé au film et puis les retours presses. Sur le public, ça a été un peu plus timide, ce qui est logique vu que ce sont des films qui font peur, notamment dans le rapport à la violence. Le public n’avait pas forcément envie qu’on lui parle de la violence de façon aussi frontale. De finir le parcours du film avec une certaine ovation aux César, je ne m’y attendais pas vraiment, comme ce Magritte du Meilleur film étranger en coproduction. J’en ai été ravi pour l’équipe, j’en reviens à la nécessité des rencontres et de travailler en troupe. J’étais ravi. Je travaille d’arrache-pied à un nouveau bazar maintenant !
Quel est justement ce nouveau bazar ?
Je ne veux pas en dire trop car ça a le temps de changer 15000 fois mais on devrait être encore dans le mélange des genres. Il devrait y avoir encore de l’humour. J’espère bien qu’il y aura de nouveau Karim dans l’aventure mais pas seulement ! Ça parlera des flics, ce qui, ma foi, me semble d’actualité !
J’ai hâte de voir ça !
J’ai hâte de le faire ! (rires)
Vous parliez du rapport cinéma de genre de « Vincent doit mourir », quelle est votre perception des éventuels appréhensions sur le cinéma de genre français ?
Je vais vous avouer que je m’en fous du genre. Je n’ai pas envie d’être quelqu’un qui défend ou se sent investi d’appartenir à un mouvement autour de ça, je ne crois pas beaucoup en ces choses-là. Je crois qu’on est de plus en plus en France à s’intéresser à ça. Moi, j’aime raconter des histoires. Après, elles passent par le genre, c’est comme ça, mais elles pourraient ne pas y passer. Je ne veux pas faire que des films de cet acabit. Je crois que c’est une manière aussi de sortir d’un certain réalisme, de traiter autrement le réel et de rendre compte d’une cinéphilie propre à notre génération où on a pu découvrir de façon désordonnée, désorganisée, autant les films de Carpenter que de Bresson et ne pas mettre de hiérarchie entre les objets « purs » et des objets « impurs ». Je pense que nos cinémas se sont nourris de cette matière-là. L’appréhension du public a toujours eu lieu : on a des personnes qui n’aiment pas le cinéma d’horreur et ne veulent pas avoir peur, c’est comme ça. Après, il y a une autre chose. On a une catégorie qui nous disqualifie, de manière typiquement française, celle des gens critiques, blogueurs et spectateurs, des ayatollahs du genre qui vont dire ce qui est du genre et ce qui ne l’est pas. J’aime toujours les gens qui ont des certitudes, je les envie quelque part. Ils vont disqualifier votre film en disant « ça, c’est un film de genre à la française ». Je ne sais pas ce que ça veut dire mais, venant d’eux, je sens que ce n’est pas un compliment. Je vois bien que tout le monde y a eu un peu droit, que ce soit Just (Philippot) ou Thomas Cailley ou le réalisateur de « Gueules noires » (Mathieu Turi). Tous les films dits « de genre » qui sont sortis cette année, on a tous eu droit dans tel journal ou tel journal à des remarques du style « ce film-là était bien mais celui-là est un film de genre à la française ». Ça disqualifie, ce que je trouve idiot, mais je pense aussi qu’avoir des réalisateurs et réalisatrices de plus en plus nombreux qui s’aventurent dans la science-fiction, etc. aide et qu’ils arrêteront de disqualifier leur boulot avec cette épithète « à la française ».
« Vincent doit mourir » étant un premier long-métrage, quelle a été la leçon essentielle apprise durant le tournage ?
(réfléchit) Ça m’a plutôt conforté, ce n’est pas du tout prétentieux ce que je dis là, dans des choses qui étaient plutôt intuitives. Déjà, de s’en foutre un peu. Je ne sais pas comment dire ça mais, quand vous êtes trop impliqué, ça vous gêne la vue. Il faut être à la fois très déterminé et détaché. C’est un paradoxe mais je crois qu’il y a un côté chez moi qui s’en fout un peu. Je vais être bosseur, appliqué, mais en même temps, il y a comme une voix au fond de moi qui me dit « si je me fais chier, je me tire et ils se démerdent ». Ça, je sens que ça me met dans un bon état donc ça va être une chose que je vais continuer. L’autre chose, ça je pense que ça me vient du théâtre, c’est la confiance absolue dans le collectif, la troupe, le fait qu’il y a certains connards qui donnent le cap (et j’assume ce rôle du connard) mais aussi qu’on soit dans une chose plus transversale que pyramidale avec un cinéaste démiurge. Je ne crois pas en ces conneries-là. Il est temps de faire des films de gauche, pas qui se disent de gauche mais qui le font de cette façon-là.
Enfin, y a-t-il une question que vous auriez voulu qu’on vous pose ou à laquelle vous aimeriez répondre ?
(réfléchit) Comment ça va ? (rires) Et vous, comment allez-vous ?
Très bien, surtout après pareille interview ! (rires)
Merci à Jean-François Pluijgers et à l’équipe du BRIFF pour cet entretien
*Le jury était également composé d’Anne Coesens, Michel Leclerc et Fabrizio Rongione.