Chaque week-end, des milliers de personnes vivant près de Paris se posent la même question: où sortir samedi? Si le problème a toujours existé pour les amoureux de musique électronique, la question est la même mais l’origine diffère. Il existait une époque où Paris n’attirait plus personne, où seuls quelques clubs y ont résisté, bien souvent grâce à leur légitimité historique. En 2019, le problème est tout autre, les événements se sont multipliés, tous plus alléchants les uns que les autres, chacun proposant son propre concept.
Aujourd’hui, et depuis quelques années, la capitale française vit un nouvel âge d’or dans la musique électronique, faisant écho à cette génération qui a su créer un mouvement à partir de rien, à proposer quelque chose d’inédit, en se démarquant par la fameuse « french touch ». 20 ans plus tard, une nouvelle jeunesse bien déterminée reprend le flambeau et fait partir un incendie. Pourquoi? Comment? Nous sommes allé demander aux membres du collectif Elipse, organisateurs de soirées parisiennes.
■ Le vendredi 18 octobre, vous organisez Elipse: Riot, une grande soirée mettant la techno à l’honneur. Pourquoi ce nom?
Tout d’abord Elipse. Nous sommes un collectif qui a dès le départ souhaité mettre l’accent sur l’expérience, celle qui est vécu par le public lors de nos événements. Notre but est qu’entre le moment où quelqu’un vient chez nous, et celui où il part, la personne a vécu une ellipse. On souhaite que nos soirées soient un réel moment hors du temps, que l’on ne se rappelle plus vraiment ce qu’il y avait avant ou après, juste un souvenir inoubliable.
Pour Riot, on a voulu remettre au goût du jour les pionniers de la musique électronique, lorsqu’elle était uniquement contestataire. Je pense notamment à des artistes comme D.AV.E The Drummer et Da Hool qui ont participé à la démocratisation du genre. Leurs univers musical tout comme leur démarche se rapproche aussi de ce qu’on écoute.
■ Ces artistes sont rarement présents sur la capitale française. Est-ce difficile de les réunir?
On a la chance que ces personnes tournent encore, ils veulent jouer. Les contacter n’est pas si difficile, même lorsqu’on monte en gamme, si l’organisation leur convient, ils viendront. Ces artistes sont des vieux de la vieille, puis Paris est une ville dans laquelle ils ne se produisent pas beaucoup. Ils peuvent ramener des dizaines de milliers de personnes à l’étranger mais ne pas être des têtes d’affiche en France. C’est une de nos volontés de démocratiser leur style musical à travers nos soirées.
■ Combien de personnes sont nécessaires pour organiser une soirée comme la votre?
A l’origine du projet, nous sommes 3 membres fondateurs. En élargissant à ceux qui s’occupent de la communication et du bar par exemple, on est une dizaine. Avec le staff présent à la soirée, nous serons une trentaine pour un public d’environ 1500 personnes.
■ Ramener des artistes pointus réduit nécessairement le nombre de personnes attendues. Mais d’un autre côté, cela montre bien que la techno n’est pas que du son, il y a une réflexion derrière. Cela contribue-il à détruire un préjugé diffusé par les médias traditionnels qui montrent généralement seulement les effets négatifs de ces soirées?
Il est vrai que booker un artiste plus pointu est un choix interne, tout le monde ne connaîtra pas le nom sur l’affiche. Il faut une connaissance du mouvement techno pour se rappeler de leur nom, alors que paradoxalement, devant le fait accompli, c’est un style qui parlera à la majorité du public techno. Meet her at the love parade est un tube international, mais on se rappelle de la mélodie, pas du nom «Da hool».
En revanche, on n’a pas vocation à ramener un public de connaisseurs, on souhaite partager la musique que nous aimons. Certes, il y aura des experts du genre mais on espère faire découvrir et le genre et la réflexion derrière la techno des origines à d’autres, à des personnes curieuses.
■ Actuellement, à Paris, on peut voir fermer de plus en plus de clubs (Dehors Brut, NF-34…) et s’annuler au dernier moment un grand nombres d’événements. Mais en même temps, la scène n’a jamais autant rayonné à l’international depuis l’âge d’or de la french touch. Comment expliquer cette scène parisienne (et française) aussi paradoxale?
La techno est un genre musical encore jeune. Tout comme le rock et je jazz, la musique passe par des contestations politiques et sociales pour devenir légitime. Aujourd’hui, il y a un public qui préfère le club qui est différent de celui qui participe aux warehouses.
C’est dommage de constater toutes ces fermetures administratives, ce qui est loin d’être la solution. En fermant un lieu qui diffuse de la musique, on n’empêchera jamais quelqu’un de consommer de la drogue. Si on accompagnait les clubs plutôt que de les opprimer, les résultats seraient sans doute meilleurs. Mettre en place plus de sécurité, une équipe médicale et une campagne de prévention auraient certainement eu un meilleur effet qu’une simple fermeture.
Pour les warehouses, par nature, un hangar n’est pas légal. C’est une question de sécurité. Lorsqu’on organise un événement, on cherche le bonheur du public, cela passe évidemment par des conditions de sécurité totales, on ne peut pas se permettre de mettre en danger les personnes qui nous font confiance.
■ Paris est aujourd’hui une destination de choix dans le paysage électronique. Comment la penser dans le futur? Une suprématie des warehouses sur les clubs?
Le futur de cette scène passera sûrement par une diversification et un mélange des styles.
Pour la question des warehouses, en soit, ce mot ne désigne qu’un lieu. On peut imaginer une warehouse de jazz ou de rap comme cela commence à arriver en France. L’esprit warehouse restera, ces événements deviennent un état d’esprit célébrant la liberté.
Pour la question de l’ascension parisienne, il y a évidemment un phénomène, une effervescence parisienne. Je pense notamment aux producteurs qui sont vraiment doués et surtout, écoutés! MSKD qui sera présent à notre soirée est tout jeune, pourtant ses tracks sont reprises par des Amélie Lens, des Anetha au festival de Dour!
■ Pourquoi le mot warehouse attire autant de nos jours?
C’est par rapport à la sensation ressentie une fois à l’intérieur. Le goût de liberté est total. Tant qu’on respecte l’autre, tout est possible. Cela ramène donc un public plus diversifié qu’ailleurs, on ne juge pas l’âge, la couleur de peau, l’orientation sexuelle dans ces lieux, les gens qui viennent font le chemin dans le but de savourer un instant.
Cette sensation de liberté, on la ressent aussi dans le lieu en lui-même. Une warehouse est en extérieur, la scène se trouve dans un bâtiment qui, généralement, a une grande hauteur sous plafond. L’espace de la soirée fait plus facilement 2500 m² contrairement à un club qui est en intérieur et ou la piste est pleine à craquer. On peut plus facilement imaginer faire parti d’un tout, vivre une expérience hors du temps.
■ Donc un retour à la sensation de liberté cherchée dans les années 90?
Notre liberté est plus large, on a moins de répression policière quand même.
■ Quelle est l’ambiance entre les collectifs, les relations avec les clubs?
Même du côté professionnel, il y a généralement une bonne entente. Dans les relations club-warehouse, tout se passe bien, il y a même des collaborations entre les deux, les premiers invitant les seconds. Si ces relations sont si bonnes, c’est aussi parce que le public qui va en warehouse n’est plus vraiment un public qui va en club. Paris est une ville suffisamment grande pour posséder un public large qui va à ces événements.
Entre warehouses, l’entente est superbe aussi, on essaie de proposer un nouveau pan de la culture électronique sur Paris. On essaie donc de ne jamais organiser plusieurs soirées le même jour, les informations circulent entre les collectifs, pour se partager les lieux par exemple.
■ Quel est donc le public des club en 2019? Celui des warehouses?
Le public se détermine de plus en plus par le genre musical. Mais le club attire plutôt des personnes qui veulent une sorte de sécurité (physique, de la tenue de la soirée, de l’endroit de l’événement). La warehouse attire plutôt un public qui recherche une expérience, une plus grande manifestation de la liberté. L’événement est devenu quelque chose de complètement nouveau. Ce n’est pas un Dj-set ou un jeu de lumière travaillé, c’est quelque chose qui te submerge dès que tu arrives, c’est un tout qui sollicite plusieurs sens.
Que l’on préfère le club ou la warehouse, il semblerait que la musique électronique se savoure à toute les sauces. Le problème de départ -car on ne sait toujours pas où sortir le samedi soir- reste entier, l’offre d’événements n’a jamais été aussi forte en France comme peut le montrer l’étude de marché Shotgun. La seule solution envisageable serait peut être d’arrêter de sortir le samedi, surtout si vous êtes encore fatigués de la veille! Notre conseil est de ne rien prévoir le samedi 19 octobre, les courbatures d‘Elipse Riot risquent de durer quelques jours…