S’il y a bien une chose que l’on a longtemps reprochée aux jeux vidéo, c’est de rendre les joueurs solitaires. En effet, nombreux sont les reportages qui décrivaient le joueur comme une personne cloîtrée chez elle, dans le noir, sans aucune interaction sociale. Cette critique est pourtant incompréhensible quand on sait que le jeu vidéo est aussi un loisir qui se partage. Mais à quel point ?
Le multijoueur : présent depuis la création des jeux vidéo
Il ne faut pas oublier que deux des premiers jeux vidéo inventés, à savoir Tennis For Two (dont le titre est sans équivoque) et Pong, étaient faits pour être joués à plusieurs. Dès leur création, les jeux vidéo étaient donc déjà destinés à faire s’affronter ou coopérer les joueurs. Bien entendu, cette tradition continua par la suite. Les salles d’arcades permettaient par exemple de voir s’affronter ou jouer ensemble des adolescents qui ne se connaissaient parfois pas sur des bornes comme celle de Double Dragon par exemple.
Puis viendra le multijoueur local sur console après la démocratisation de ces dernières dans les foyers, comme en témoigne la multiplication des jeux de combats/beat’em all qui proposent alors des modes versus à 2 joueurs, permettant de faire des « soirées jeux de baston » et affirmant le succès du multijoueur. L’émergence de FPS (jeu de tir à la première personne) tels que Quake vers la fin des années 1990 marquera ensuite le début des LAN (parties avec un nombre plus conséquent de joueur réunis au même endroit), puis le multijoueur en ligne prendra le relais quelques années plus tard, vers la fin des années 90 et le début des années 2000.
Aujourd’hui il reste encore le moyen le plus courant pour jouer à plusieurs, avec des jeux proposant des cartes de plus en plus grandes (le succès récent de Playerunknown’s Battelground et Fortnite avec leurs cartes de 100 joueurs peuvent en témoigner). Cependant, le multijoueur local revient en force depuis quelques années avec des jeux taillés pour les soirées entre amis (Overcooked, Stickfight ou Gang Beast par exemple). Certaines consoles, et notamment la Wii et la Wii U, ont d’ailleurs été construites dans l’optique de pouvoir jouer en famille ou avec ses amis, chez soi, en partageant un moment sympa et divertissant (avec jeux orientés multi local comme Wario Ware, Mario Kart ou Mario Party).
Aujourd’hui, le mode multijoueur est devenu tellement populaire qu’il est souvent un argument de vente ; à tel point que certains développeurs créent parfois des jeux axés uniquement sur le multiplayer comme Battlefield ou Call Of Duty dont les campagnes sont souvent bâclées au détriment du mode en en ligne.
Le jeu vidéo comme expérience sociale
Comme nous venons juste de le voir, les jeux vidéo ont toujours été conçus pour fédérer les joueurs, les faire s’affronter ou coopérer. Mais au-delà du simple aspect ludique, l’expérience multijoueur peut également se révéler être une expérience sociale fascinante. C’est ce que nous allons découvrir à travers deux exemples.
En tant que premier exemple, nous allons étudier le cas d’un jeu coopératif : Left 4 Dead 2, développé par Valve. Dans Left 4 Dead 2, quatre joueurs sont amenés à coopérer pour faire face à une invasion de zombies et traverser chaque niveau ensemble. Si l’un d’eux décide de jouer au héros et de partir seul, le jeu le punira en lui envoyant beaucoup trop d’ennemis pour lui et il mourra avant d’atteindre l’arrivée. Le cas de ce jeu est intéressant dans le sens où quatre joueurs ne se connaissant pas sont obligés de coopérer pour réussir, en surveillant les arrières les uns des autres ou en étant obligés de se mettre d’accord sur des tactiques sur le vif. Parfois, certains joueurs devront même sacrifier leurs kits de soin au profit d’un autre, action hautement symbolique étant donné que leur nombre est limité. Left 4 Dead 2 agit donc en ce sens comme un test de confiance où, pour gagner, chaque joueur doit croire en des coéquipiers qu’il ne connait pas.
Cette idée a été réutilisée dans d’autres jeux, comme dans Payday 2 où des inconnus doivent se mettre d’accord sur la meilleure manière de réussir un braquage, ou Overcooked où les joueurs doivent gérer efficacement un restaurant dans un temps imparti. Ce genre de jeu permet ainsi de créer des liens forts entre les joueurs, certains devenant même amis au cours d’une partie.
Le deuxième exemple reprend en partie le principe des jeux coopératifs cité ci-dessus, mais à plus grande échelle : il s’agit de Twitch Plays Pokemon. Pour ceux qui ne connaitraient pas le principe, cette « expérience sociale » comme l’avait qualifiée son créateur, avait eu lieu sur la plateforme de streaming Twitch. Elle invitait tous les spectateurs à jouer en même temps à Pokemon Rouge en choisissant chacun la prochaine action à effectuer. Deux modes furent alors créées : un mode « anarchie » où le jeu se déroulait de manière normale, c’est-à-dire que chaque action choisie par chacun des joueurs était appliquée, ou le mode « démocratie » où les joueurs pouvaient voter pour la prochaine action à effectuer.
Ces deux modes avaient pour but d’observer si une foule de personne pouvait se mettre d’accord sur la manière d’avancer dans un jeu et, de manière plus globale, de prendre une décision commune. Bien entendu, le mode « démocratie » était bien plus simple que le mode « anarchie », et les joueurs (dont le nombre maximum fut d’1.1 million) finirent la Ligue Pokemon (dernière épreuve du jeu) au bout de 16 jours. Cette expérience est particulièrement intéressante dans le sens où le jeu vidéo est ici utilisé comme un outil sociologique ayant pour but d’étudier les décisions de masse, mais également comme un moyen de prouver que les jeux vidéo peuvent être pratiquer en masse.
Loin de n’être parfois qu’un moyen de faire vendre plus de copies d’un jeu, le multijoueur peut donc avoir une plus-value certaine, permettant de vivre des expériences sociales uniques qui débouchent parfois sur des liens plus forts que la simple relation in-game.
Une expérience sociale pas seulement limité au cadre du jeu
Le jeu vidéo est en effet un loisir qui rassemble, et c’est ce que beaucoup de détracteurs de ce dernier semblent oublier.
Le jeu vidéo a en effet développé un véritable aspect social et communautaire depuis des années. Steam est par exemple devenu bien plus qu’une plateforme de vente : en proposant aux joueurs de s’ajouter en ami, de discuter via des chats et d’échanger des captures d’écrans ou autres fan arts dans l’onglet « communauté », il s’est inspiré des réseaux sociaux, créant ainsi une véritable communauté. Il est donc plus facile pour les joueurs de lier des amitiés grâce à Steam, le contact étant bien plus facile.
Cependant, ces dernières ne sont pas condamnées à rester au stade d’amitiés virtuelles. Bien entendu, il y a les conventions, qui permettent à des personnes partageant la même passion de se rencontrer en réalité, parfois pour la première fois. Mais ce n’est pas tout. Combien de jeunes des années 70/80 se sont rencontrés dans les salles d’arcade ? Combien de joueurs s’étant rencontrés en jouant ont décidé de se rencontrer en vrai autour d’une partie de jeu en multijoueur local ? Jouer aux jeux vidéo, ce n’est pas seulement un loisir : c’est également appartenir à un groupe, une communauté, avec tout ce que cela contient de liens à tisser et de rivalités. Les jeux vidéo n’éloignent pas : ils rapprochent. Et c’est probablement là leur plus grande force.