Quand Francis Ford Coppola est mandaté par la Paramount pour adapter le best seller de Mario Puzzo Le Parrain, personne ne se doute qu’il va réaliser rien de moins qu’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. Le réalisateur obtient le meilleur de son casting 3 étoiles et le film se déroule comme une pièce tragique digne des grands auteurs grecs anciens. Illiade et Odyssée mêlés, le Parrain est une fresque insistant sur l’inéluctabilité du destin. Le scénario se concentre sur l’ascension de Michael Corleone (Al Pacino) et son intronisation comme successeur de son père, Vito Corleone (Marlon Brando). Tant de choses à dire pour tenter d’expliquer comment ce film a atteint le statut envié d’oeuvre culte.
Un accouchement compliqué
Sorti en 1972, le film a fait l’effet d’une bombe, remportant l’Oscar du meilleur film et donnant lieu à deux suites en 1974 et 1990. Film mythique, voire mythologique, le Parrain fascine et suscite toujours le même éblouissement à chaque génération. Quand les studios Paramount décident de mettre en chantier le film, la liste des réalisateurs pressentis est longue. Sergio Leone, Peter Bogdanovich, Peter Yates, Richard Brooks et Constantin Costa-Gavras sont approchés mais tous déclinent la proposition. C’est le mythique patron Robert Evans qui décide de se concentrer sur la recherche d’un réalisateur italo-américain, pour donner de la crédibilité à son film. Il veut (je cite) que cela sente le spaghetti. Coppola a réalisé 8 films à cette époque et son plus grand succès est obtenu en tant que scénariste du film Patton, salué par la critique et récompensé d’un Oscar en 1970.
Coppola envoute Robert Evans en lui proposant de ne pas se concentrer uniquement sur la violence du milieu mafieux mais en suivant une vie familiale tourmentée. Le patriarche père de clan doit mener son business d’une main de fer au milieu d’une meute désunie de prétendants au trône. 3 fils aux caractères opposés offrent des perspectives différentes. Il y a Sonny (James Caan), le fils violent et impulsif, Michael qui cherche à se détourner de la voie mafieuse en devenant soldat et en servant pendant la seconde guerre mondiale. Et Fredo (John Cazale), le maillon faible, veule et velléitaire, bien loin de pouvoir assurer la succession. Coppola propose une saga, avec ses coups de théâtre, sa peinture des traditions siciliennes et sa métaphore du rêve américain. Robert Evans est conquis. Coppola peut travailler avec Mario Puzzo pour adapter l’ouvrage, l’alléger de l’intrigue de Johnny Fontane et en livrer un scénario puissant.
Un casting surprenant
Coppola n’en démord pas et impose l’alors très jeune et presque inconnu Al Pacino à une production sceptique. Les producteurs voulaient les alors bankable Robert Redford ou Ryan O’Neal pour attirer l’attention du public. C’est en visualisant Panique à Needle Park que le réalisateur décèle la potentialité tragique de Pacino. Son regard puissant, sa gestuelle mesurée, et puis surtout l’acteur est d’ascendance italienne. Il parle la langue de Dante sans accent et ressemble à un descendant sicilien. Coup de poker coup de maitre, la carrière de Pacino explosera littéralement après ce film avec le succès que l’on connait. Suivront 4 films où il imposera son charisme pour des rôles éblouissants dans L’épouvantail, Serpico, Le Parrain 2 et Un après midi de chien. Puis le reste de sa carrière confirmera ce départ canon. mais c’est une autre histoire…
D’autres acteurs furent pressentis pour le rôle de Michael Corleone, notamment un tout jeune Robert de Niro qui revint triomphalement dans le Parrain 2. Son rôle de Vito Corleone jeune lui assura l’Oscar du meilleur second rôle, avec la carrière que l’on connait également. James Caan est engagé pour donner un pendant plus européen au personnage de Sonny, bien qu’il soit rendu très différent par rapport au personnage du roman. Coppola et Puzzo révisèrent le scénario pour le faire correspondre. Robert Duvall interprète un enfant irlandais adopté par Vito Corleone. Là aussi, les studios avaient envisagé d’autres acteurs: Paul Newman, Bruce Dern et Steve McQueen furent pressentis pour le rôle de Tom Hagen. Mais Coppola voulait l’acteur après sa performance habitée dans THX 1138 et l’imposa.
Le choix de Marlon Brando ne fut pas plus facile. Les studios connaissaient la réputation de l’acteur imbuvable sur les plateaux de la plupart de ses films, caractériel, limite psychotique. Ils tentèrent d’imposer Lawrence Olivier et Ernest Borgnine. Coppola insista, fit en sorte que le cachet de l’acteur soit réduit à la portion congrue et lui fit passer un essai. Le reste appartient à la légende. Brando eut l’idée de deux subterfuges astucieux pour rentrer dans la peau du parrain. Il introduisit des mouchoirs en papier dans la bouche pour épaissir le bas de son visage et le faire parler comme un vieux sage fatigué. Pour encore plus de crédibilité, il apposa du cirage sur des cheveux plaqués en arrière. Antipathique jusqu’au bout, Marlon Brando refusa l’Oscar remporté pour le film… pas un acteur facile mais une performance rentrée dans la légende.
Autres anecdotes surprenantes: le tout jeune et encore inconnu Sylvester Stallone auditionna pour le rôle de Carlo Rizzi, Anthony Perkins pour celui de Sonny et Mia Farrow pour celui de Kay. Diane Keaton est finalement choisie pour ce dernier rôle.
Un tournage complexe
La légende veut que Robert Evans suivait quotidiennement l’avancement d’un tournage confronté très tôt aux coups du sort. Coppola menaça plusieurs fois de démissionner, comme pour se protéger de la pression insensée entretenue par des studios rendus paranoïaques et désireux remplacer à tout prix le réalisateur. Le tournage débute avec la blessure d’Al Pacino sur le plateau, ne facilitant pas les relations entre le réalisateur et les studios. C’est le visionnage des premiers rushs qui rassurent les studios. La scène d’assassinat de Solozzo et McCluskey permet à Coppola de pouvoir continuer plus sereinement son film.
Prévu pour une durée de 83 jours, le tournage n’en dure finalement que 77. Si les studios craignent un dépassement vertigineux de budget, in n’en est finalement rien. Coppola a réussi à contenir les cachets et à livrer le film dans les temps. Devant les exigences du réalisateur et son inflexibilité, les studios l’ont marqué à la culotte mais les résultats sont là. Le film est livré, le public et les critiques sont unanimes. Le Parrain est un succès phénoménal.
Le film
La scène du début est mythique. Bonasera présente à Vito Corleone une requête que le parrain ne peut refuser. Sa fille se marie et la tradition exige qu’il lui rende le service demandé. Pendant qu’il caresse nonchalamment un chat blanc (ajouté à la scène au dernier moment par un Coppola en état de grâce, le chat fut trouvé dans la rue), le parrain acquiesce mais demande allégeance. Le service coutera un autre service en retour. L’atmosphère est sombre et oppressante, Marlon Brando pose les jalons de son personnage avec brio. Quand le personnage sort de son bureau pour assister au mariage de sa fille, l’atmosphère est à la fête, à l’allégresse. Et pourtant une tension palpable rode sur l’évènement, le film commence tambour battant et les affaires de la famille ne cesseront de connaitre des obstacles.
Vito Corleone est un homme sensé mais impitoyable comme le montre le voyage de Tom Hagen chez un producteur hollywoodien… scène mythique quand ce producteur se réveille avec une surprise sous ses draps. Je n’en dis pas plus. Pendant que les affaires roulent, le personnage de Michael fait son entrée. Il refuse de suivre la voie familiale et semble tourmenté, en colère, comme s’il pressentait qu’il n’aura finalement pas le choix de son destin. Le film lui donnera raison. Et il se révélera aussi impitoyable que son père, transformant son personnage en héros tragique shakespearien. Il veut une vie différente et pourtant il marchera dans les pas de ce père admiré. Ni Sonny l’impulsif ni Fredo le faible ne pourront rivaliser avec son inflexibilité.
Quand Michael s’en retourne dans la Sicile familiale, Coppola laisse espérer un apaisement. Mais la tragédie colle aux pas du personnage harcelé par le destin. Rien n’empêchera son retour aux Etats-Unis et la reprise en main des affaires. La voix et le regard se font pensifs, comme s’il était constamment sur le qui vive. La confiance devient un luxe pour un personnage destiné à reprendre les rênes de la famille. Règlements de comptes et mises au pas s’enchainent dans un déroulement vertigineux. Les scènes de violence s’enchainent pour une victoire totale. Le Parrain 2 confirmera ses choix dramatiques. Il choisit la famille, coute que coute, sans pitié pour ceux qui se mettent au travers de sa route.
La légende
Les films modernes ne cessent de rendre hommage au film de Coppola. C’est Mafia Blues qui reprend la scène de l’attentat sur Vito Corleone, même les Simpson ont inséré des scènes qui rappellent furieusement les 2 Parrains de Coppola. Le film apparait régulièrement dans les listes des meilleurs films de tous les temps éditées par les magazines, les corporations professionnelles et les sites Internet. Le Parrain est rentré dans la légende et chaque cinéphile digne de ce nom se doit d’avoir vu et revu les épisodes de la trilogie. De quoi faire rentrer cette oeuvre dans la postérité, pour toujours.