Critique : Que signifie faire un film Superman dans une période où les titres super-héroïques s’accumulent et où le monde semble peu à peu s’écrouler avec une inaction commune touchant au cynisme ? Cette question n’a pu que traverser l’esprit de James Gunn durant le développement de son nouveau long-métrage tant résonnent, dans cette nouvelle adaptation de l’Homme d’Acier, des doutes contemporains, aussi bien politiques qu’artistiques.

Ainsi, l’intégration in media res du personnage permet déjà d’asseoir une réalité assez rapidement dans un monde où les super-pouvoirs et l’extraordinaire se rapprochent finalement de la norme. La présence du Justice Gang (très bon nom d’ailleurs) et les réactions de la population inscrivent alors un quotidien continuellement confronté à diverses menaces, le tout jusque dans une belle scène de dialogue représentant en arrière-plan un combat vu comme « mineur » car régulier dans cet univers. En plus d’être cohérent dans un titre lançant un nouvel univers cinématographique sans s’étouffer dans la référence ou se précipitant trop par intention marketing (comme la compilation vidéo dans « Batman V Superman » pouvait le faire), cette décision ancre surtout cette représentation de monde comme parallèle avec le nôtre : nous évoluons en permanence avec les super-héros (d’un point de vue fictionnel) et nous nous devons de nous confronter à des catastrophes régulières et meurtrières (d’un point de vue réel).

Arrive alors la question : « comment filmer l’extraordinaire pour lui rendre de son éclat ? ». James Gunn prolonge ce qui était installé visuellement dans « The Suicide Squad » et « Les Gardiens de la Galaxie Volume 3 » en retrouvant le directeur de la photographie Henry Braham. Ainsi, la façon de capter le mouvement volant accentue les quelques séquences d’Adam Warlock en étant au plus près du corps, dans une difficulté d’appréhender totalement l’action de vol afin de partager sa vitesse. Cela peut rappeler les intentions de Zack Snyder sur « Man of Steel », le côté documentaire cru en moins pour tendre beaucoup plus vers le fictionnel. La lumière va également dans ce sens, renforçant un certain réalisme qui pointe vers l’irréel, que ce soit avec ce soleil aveuglant dans certains plans ou cette noirceur dans un décor de prison renvoyant à l’Enfer (passeur Chironien compris).

L’intention de la direction visuelle s’avère alors assez claire : tendre vers un réel de monde qui embrasse totalement son aspect fictionnel. Le choix de certains angles pourra rebuter certains spectateurs mais, si tant est qu’ils se laissent prendre par l’orientation de la réalisation, il se trouve un côté innovant qui n’hésite pas à plonger totalement dans une palette graphique sortant tout droit de comics sans jamais renier sa nature cinématographique. C’est un équilibre précaire que d’autres ont totalement raté (cf. les intentions posées par « Ant-Man : Quantumania » et son résultat final) mais qui fonctionne ici parce qu’il ne diminue jamais ses contours mythologiques pouvant faire ressortir de notre perception de réalité. Un protagoniste peut transformer sa peau en n’importe quelle matière ? On plonge dans une orientation graphique cohérente avec ses pouvoirs et aux couleurs accentuées. Le récit amène un combat de Kaiju ? Le film capte son ampleur avec un design cohérent mais sans jamais effacer la population qui se trouve sous ses pattes. En ce sens, l’idée d’inclure le sauvetage d’un écureuil renvoie à un jeu d’échelles pas si anodin que ça.

Car, ce que parvient à faire la mise en scène de « Superman », c’est de conserver tout du long l’humain solaire dans la narration, tout en baignant dans un jeu de symboles pertinent dans la proposition. Le fait même d’inscrire un drame politique renvoyant à notre actualité appelle à une action de notre part, transitionner l’héroïsme du grand écran dans notre propre action en trouvant, à notre échelle, comment participer à la lumière du monde. Dans un de ses échanges, le film adresse la nature punk rock de l’empathie, ce qui ne peut que se répercuter dans une période où l’on sombre vers la toxicité, l’affrontement permanent, l’insulte sans l’écoute. Aimer, aider, sauver : voilà des valeurs qui peuvent sembler bien désuètes de nos jours mais qui sont pourtant plus importantes que jamais.

Il y aurait encore matière à écrire sur le film mais, voulant laisser le public le découvrir à son rythme tout en se permettant de garder des points d’ancrage plus élaborés pour sa sortie physique, nous allons arrêter cette chronique à ce point. Nous résumerons donc notre avis ici : en plus de reprendre une figure mythique dans ce qu’elle a de plus optimiste, « Superman » réussit par la manière dont James Gunn réinvestit la lumière et l’empathie dans une période qui appelle inévitablement à cela. Alors que les politiciens grotesques et les hommes d’affaire dont l’ego appelle à la destruction sont sortis des cases de BD pour s’approprier notre quotidien, il est temps de réhabiliter le pouvoir de la fiction en tant que vecteur d’optimisme et de confrontation aux menaces de notre monde. La mise en scène et la photographie du film appellent alors à replacer l’humanité au sein de nos émotions et de nos actions tout en ne diminuant pas l’extraordinaire. Être humain est héroïque. Mais pour cela, nous devons aimer et accepter notre propre vulnérabilité. En soi, n’est-ce pas un geste punk que de se rapprocher des autres pour le meilleur quand le pire est devenu l’option la plus facile ?

Résumé : Superman se retrouve impliqué dans des conflits aux quatre coins de la planète et ses interventions en faveur de l’humanité commencent à susciter le doute. Percevant sa vulnérabilité, Lex Luthor, milliardaire de la tech et manipulateur de génie, en profite pour tenter de se débarrasser définitivement de Superman. Lois Lane, l’intrépide journaliste du Daily Planet, pourra-t-elle, avec le soutien des autres méta-humains de Metropolis et le fidèle compagnon à quatre pattes de Superman, empêcher Luthor de mener à bien son redoutable plan ?