Critique : La perception des gens sur le cinéma de Wes Anderson s’avère totalement biaisée par une forme trompeuse. Expliquons-nous : alors que beaucoup reprochent à ses films de limiter et renfermer de manière à étouffer tout potentiel émotionnel dans des cadres considérés comme trop soignés, ils semblent faire abstraction du rapport au chaos inhérent à ses longs-métrages. Ainsi, la panique constitue un vrai moteur émotionnel, comme dans la résonnance entre la création et les acteurs dans « Asteroid City » où flottaient différents fantômes sur le rapport à ce qui suit la perte. C’est de nouveau le cas avec ce « Phoenician Scheme », bien moins aimable que prévu. 

En s’intégrant dans les récits d’espionnage et de capitalisme, Wes Anderson accepte totalement son inspiration de bandes dessinées franco-belges avec une malice diffuse, notamment dans son rapport à l’échec. Ainsi, les tentatives de « Zsa-zsa » de faire aboutir une opération financière titanesque continuent encore et encore à échouer, comme les assassins échouent à le tuer. Il y a un cycle comique du ratage qui parvient à exploiter la volonté totale de maîtrise visuelle de la part du réalisateur tout en étant à fleur de ses propres contradictions. Un plan impliquant un étranglement face caméra amène ainsi une destruction drôle du principe visuel mais se révèle encore plus pertinente par la façon dont l’auteur se demande s’il peut encore viser une perfection visuelle apparente pour mieux soigner son fond.

(L to R) Benicio Del Toro as Zsa-Zsa Korda, Michael Cera as Bjorn and Mia Threapleton as Liesl in director Wes Anderson’s THE PHOENICIAN SCHEME, a Focus Features release. Credit: Courtesy of TPS Productions/Focus Features © 2025 All Rights Reserved.

Dès lors, le rapport paternel au centre de la narration se fait une clé en plus dans un questionnement de son héritage, bien aidé par l’alchimie entre Benicio del Toro et Mia Threapleton. La manière même dont Zsa-zsa voit son rapprochement avec la mort dans un cadre religieux tout en essayant de se rapprocher au mieux de sa fille apporte une corde drôlement émue, soutenue par la maladresse d’un Michael Cera fait pour incarner du Wes Anderson. Il en ressort un appel au relationnel assez fort, encore plus incarné par une conclusion surprenante et cohérente à la fois dans cet aspect, amenant une réussite douce-amère à propos avec les ambitions du film.

Loin de n’être qu’une simple redite d’un réalisateur en bout de course comme aiment l’affirmer ses détracteurs, « The Phoenician Scheme » appuie le sentiment de panique chaotique inhérent à Wes Anderson, permettant dans ses cadres soignés et malicieux de s’interroger sur ce qu’il peut construire au-delà de son nom et de son identité visuelle. Il en ressort un divertissement plus que plaisant et foisonnant d’idées dans une certaine esthétique reconnaissable méritant totalement qu’on l’analyse au-delà de la forme. Cela permettrait peut-être d’arrêter de prendre un des auteurs les plus intéressants graphiquement pour quelqu’un s’autocopiant bêtement alors qu’il y a une vraie évolution dans sa mise en scène méritant d’être soulignée.

Résumé : 1950. Anatole « Zsa-zsa » Korda, industriel énigmatique parmi les hommes les plus riches d’Europe, survit à une nouvelle tentative d’assassinat (son sixième accident d’avion). Ses activités commerciales aux multiples ramifications, complexes à l’extrême et d’une redoutable brutalité, ont fait de lui la cible non seulement de ses concurrents, mais aussi de gouvernements de toutes tendances idéologiques à travers le monde – et, par conséquent, des tueurs à gages qu’ils emploient.

Korda est aujourd’hui engagé dans la phase ultime d’un projet aussi ambitieux que déterminant pour sa carrière : le Projet Korda d’infrastructure maritime et terrestre de Phénicie, vaste opération d’exploitation d’une région depuis longtemps laissée à l’abandon, mais au potentiel immense. Le risque financier personnel est désormais vertigineux. Les menaces contre sa vie, constantes. C’est à ce moment précis qu’il décide de nommer et de former sa successeure : Liesl, sa fille de vingt ans (aujourd’hui nonne), qu’il a perdue de vue depuis plusieurs années.