Beaucoup de choses ont participé à faire de « 28 jours plus tard » un film aussi culte. Il y a évidemment cette esthétique numérique très crue utilisant des caméras digitales pour renvoyer à la sécheresse d’un monde en destruction. On peut y voir les résonnances involontaires d’une société post 11 septembre à l’incertitude autodestructrice. La façon de narrer une déshumanisation de l’être dont la brutalité est telle que la rage des infectés semble aussi contaminer les vivants mérite aussi de se voir rappelée. Enfin, et c’est sans doute un point qui aura fortement influencé la perception du public à l’enfermer dans une certaine catégorie, c’est le succès de ce long-métrage qui participera à relancer les films de zombies, bien qu’on soit dans un film d’infectés. La précision pourra paraître pointilleuse mais elle reste nécessaire pour bien mettre en lumière certaines remarques adressées à ce « 28 ans plus tard ».

En effet, la notion même d’infectés renvoie à un point mal compris du long-métrage : l’appel à l’empathie en son sein. Cela peut paraître antinomique dans pareil titre mais c’est sans doute l’aspect le plus critiqué par une certaine audience concernant l’aspect communautaire qui se crée. Comme « 28 jours » mettait dos à dos la violence des humains et celle des infectés, « 28 ans » confronte deux visions de communauté par ce même angle. Entamer le film dans un environnement familial où le malaise vient de la nature palpable de la menace renforce ce sentiment, surtout quand le long-métrage joue de parallèles évidents au fur et à mesure de sa narration. La scission même de celle-ci entre la chasse menée par Spike (exceptionnel Alfie Williams) avec son père avant de partir en mission de sauvetage pour sa mère accentue cette dualité au sein du récit. Constater que le film s’ouvre et se termine avec un protagoniste qui aurait pu être une version plus « violente » de Spike n’est que la confirmation d’une écriture qui joue tout du long de parallèles et autres résonnances.

Voir qu’un bastion de l’humanité comme le village de Spike perpétue un cycle de violences et de croyances sous couvert d’autoprotection peut alors poser question : de quelle manière peut-on limiter nos actions sous couvert de communauté et quand est-ce que celle-ci existe réellement ? Est-ce que le groupe de Jimmy arrivant à la fin du film n’est autre qu’une itération également violente de cette notion ? Difficile de répondre par la négative, surtout vu le parallèle évident avec la personnalité monstrueuse qu’était Jimmy Saville. Sans tomber dans la bascule de l’histoire originale de « Je suis une légende » où une humanité disparaissait pour laisser place à une autre, la question de survie justifiant n’importe quel acte mérite d’être soulevée, surtout au vu de la facilité de récits du même genre à aller vers de la simple extermination jamais questionnée.

C’est pour cela que « 28 ans plus tard » peut être considéré comme essentiel dans le domaine : au lieu de répéter des codes attendus par les spectateurs affamés de titres de zombies en tous genres, on prend un jeune garçon qui découvre pleinement le monde en confrontant deux visions de la protection par ses parents. Cette dualité pourrait paraître faible mais elle permet de mettre en valeur la difficulté de la parentalité tout en acceptant les défauts des protagonistes, notamment un père en plein déni sur l’état de sa femme et préférant se renfermer dans les conventions protectrices de sa société que de partir sauver sa famille. On peut renvoyer cela à la figure de l’Alpha Samson, poursuivant un long moment le bébé enfanté par une infectée, mais cette lecture risque de déplaire à quelques individus qui pensent qu’aborder les soucis d’une certaine masculinité constitue un problème (ce qui est bête mais pas incohérent quand on voit que la notion même d’empathie est pour eux un signe de faiblesse).

C’est peut-être le moment de s’éloigner un peu du récit pour aborder la mise en scène qui jouit d’une inventivité certaine. On pense ainsi aux « kill cams » utilisant les iPhone, renvoyant à une fausse iconisation des mises à mort dans la première partie tout en ayant une certaine cohérence visuelle par le côté « ludique » souligné par le père. Difficile également de ne pas parler des effets de flous, notamment dans l’attaque du début, renvoyant à une notion de traumatisme et de perception affectée qui se voit répondre par le côté frénétique punk de la dernière séquence. Danny Boyle varie ainsi ses mouvements, quitte à frôler l’ostentatoire, mais cela en conservant une pertinence thématique tout en prolongeant l’identité visuelle du premier film. Nous lui avions d’ailleurs posé cette question lors de sa venue au Brussels International Fantastic Film Festival :

« 28 jours plus tard » est connu pour son usage des caméras digitales. On a beaucoup parlé de l’utilisation d’Iphone sur « 28 ans plus tard ». Comment voyez-vous cette évolution des caméras numériques ?

Nous avons plusieurs variétés de caméras sur celui-ci. « 28 jours plus tard » était le premier film largement diffusé à être tourné avec des caméras digitales. C’était laid, dur, cru, ce qui convenait parfaitement à l’histoire que nous voulions raconter. Nous voulions conserver certaines de ces idées dans « 28 ans plus tard » donc on a en effet utilisé des iPhone pour certaines séquences mais on a quand même varié les supports afin de donner un look différent. C’est un film qui se déroule en pleine nature et non plus dans une ville. Comment je vois l’évolution de ces caméras ? Ce qu’elles permettent de faire est tout bonnement incroyable ! Même si leur qualité est exceptionnelle, cela reste plus difficile à manipuler par l’aspect donc les caméramen et chefs opérateurs préfèrent travailler avec les caméras habituelles car ils peuvent mieux les contrôler. Mais la post-production est tellement extraordinaire à notre époque. Il faut dire que le paysage visuel a tellement évolué avec l’apport de ces caméras digitales. Je n’ai pas peur de ce qu’elles permettent de faire car elles sont fantastiques, c’est plutôt qu’elles donnent plus de pouvoirs aux individus, ce qui amène un individualisme que je trouve dangereux. On perd l’aspect communautaire créé auparavant. On devient de plus en plus puissant sans avoir à faire quoi que ce soit, on ne demande plus d’aide aux autres et l’intelligence artificielle va également renforcer cela. C’était intéressant de rentrer dans la salle ce matin et de voir 2000 sièges. C’est génial de voir qu’autant de personnes puissent se rassembler dans une salle et partager un film ensemble. J’ai peur de perdre cela à cause du pouvoir de ces machines, de donner trop de pouvoir faisant croire qu’on peut tout faire seul et ne plus atteindre ce sentiment commun d’une activité ensemble. J’aime le football et rien ne pourra remplacer la sensation de voir un match en groupe, de fêter ensemble. Ce sentiment de communauté est quelque chose que l’on risque de perdre alors qu’il ne faut surtout pas le mettre en danger.

On constate donc l’envie de se raccrocher à l’original sans se répéter tout en rappelant le côté de communauté qu’interroge le film tout en l’appelant. En ce sens, c’est dans le magnifique personnage du Docteur Kelson (sans doute dans les plus beaux rôles de Ralph Fiennes) que cet aspect se voit le mieux transcendé. Dans cette longue partie qui se révèle rapidement le gros cœur émotionnel du long-métrage, l’idée du souvenir et de l’amour transcendant la mémoire rayonne et implore une nouvelle fois pour une empathie, d’autant plus dans une société qui semble répéter encore et encore les mêmes erreurs malgré la catastrophe. Le rappel de notre mort et de l’amour que l’on doit porter se meut en une urgence : par la durée limitée de notre existence, nous devons construire et se soutenir plutôt que perpétuer une division et un cycle de destruction auquel renvoie de nouveau la conclusion (la répétition de codes télévisuels d’enfants appelant à un enfermement pop culturel qu’il serait intéressant de gratter chez certains youtubeurs acerbes).

Là se situe la vraie peur, plus loin que des infectés qui se reconstruisent dans leur violence respective : celle d’une rage que l’on peut partager avec eux et qui fait que tout appel à la gentillesse ou à la compréhension se voit taxée de « wokisme » avec un dédain masquant à peine une absence d’argumentation. Spike peut alors être vu comme un espoir : celui d’une société qui se reconstruit avec les forces de chacun tout en interrogeant son héritage pour espérer devenir un véritable adulte. Le renvoyer au gang des Jimmy dans la conclusion s’avère donc logique car confrontant deux figures d’enfants confrontés à l’horreur et choisissant chacun leur propre route, quitte à ce que la plus violente affecte l’autre. Et si l’on pourra se plaindre que les récits post-apocalyptiques renvoient invariablement à la violence humaine, c’est que la fin de notre société vient inévitablement de nos propres actions ou encore de notre passivité face aux horreurs et aux violences qui se déroulent autour de nous.

Mais au-delà d’être politique (ce qu’est d’ailleurs tout acte créatif), rappelons que « 28 ans plus tard » se révèle aussi important et marquant par le cœur qu’il construit pour ses personnages, même dans leurs dénis respectifs. C’est une œuvre sur la faillibilité de l’être humain mais qui sublime cet aspect dans la violence, renvoyant à ce qui nous constitue en tant qu’individus et notre besoin de se construire, seul ou en groupe, tout en appelant à l’amour comme une force renversant la mort et la brutalité qui nous entourent. En ce sens, c’est sans doute l’un des meilleurs films de l’année, notamment car il a l’audace de ne nous donner exactement ce qu’on nous attend sans trahir le fond de « 28 jours plus tard ». C’est une œuvre inventive visuellement et dont l’expérimentation s’avère rafraîchissante, jusque dans sa musique qui parvient aussi bien à nous électriser que nous émouvoir sans jamais paraître déjà vue. Il était donc évident qu’un titre qui ose dans tous les sens ait pu autant diviser mais il faudra espérer que sa sortie en édition numérique et physique puisse permettre de mieux apprécier ses intentions et la beauté de l’humanisme qui y transparaît au-delà de son gore, de sa tristesse et de ses réorientations tonales toujours cohérentes avec le fond.

Merci à Maxime Luypaert de Sony Belgium ainsi qu’à Jonathan Lenaerts du BIFFF pour la rencontre avec Danny Boyle.