Critique : L’évolution du cinéma d’Ari Aster pourra diviser, mais il faut bien admettre qu’elle reste en lien avec sa filmographie dans sa façon de capter une angoisse sociale à des niveaux proches. Ainsi, « Hérédité » renvoyait à la destruction du schéma familial qui était amplifiée encore dans « Midsommar » par sa microsociété avant de transformer la panique d’un homme dans « Beau is afraid » à une terreur à échelle plus communautaire. Ce rapport à la communauté ne peut donc être ignoré dans son dernier film, « Eddington », tant cette petite ville ne fait que vibrer des peurs d’une Amérique profondément scindée et virant à l’autodestruction totale.

En ancrant le récit dans la période Covid, le film amène une prise de température morale aussi proche que faussement éloignée, les questions de distanciation sociale et de crainte de maladie nourrissant clairement les germes de peurs morales actuelles. Mais ici, il est loin de simplement réfuter en un affrontement binaire, démocrate contre républicain, mais il capte plutôt des nuances de protagonistes où le shérif sonne plutôt comme l’aboutissement de cette crainte américaine conservatrice, jusqu’au point de non-retour. Joaquin Phoenix joue encore ici du danger du mâl(e) grotesque, de celui qui veut tellement constituer l’aboutissement d’une certaine société qu’il la mène à sa destruction.

Le film ne peut donc pas laisser confortable, à l’instar de toute la filmographie du réalisateur. Cela peut donc amener à une sensation de déséquilibre tant la durée de 2h30 ne peut amener que des moments de flottement, fausses bulles dans un récit sec qui recycle le western pour mieux rappeler la constante du cycle de violence américaine. On pourra donc apprécier l’ironie de l’œuvre et sa façon de résonner dans ses manipulations, transformant des actes de protestation en moyens de violence par des réécritures conservatrices qui ne servent qu’un même intérêt au prix des sacrifices multiples. 

Il y a donc de quoi diviser dans « Eddington », de quoi mettre largement mal à l’aise et de quoi nous retrancher dans des zones peu confortables. C’est pour cela que le cinéma d’Ari Aster s’avère aussi intéressant, pour le meilleur comme pour le pire, et que ce nouveau film sert à rappeler la scission idéologique d’une Amérique qui ne peut être que représentée à son image : grotesque, boursoufflée, proche de l’annihilation à force d’un cynisme aveugle à ses propres travers.

Résumé : Mai 2020 à Eddington, petite ville du Nouveau Mexique, la confrontation entre le shérif et le maire met le feu aux poudres en montant les habitants les uns contre les autres.