
Après le succès public de Grave en 2016 (149 239 entrées et un beau retour spectateurs) et la reconnaissance critique avec Titane en 2021 (303 610 entrées et la Palme d’or), la réalisatrice Julia Ducournau est de retour en 2025 avec un casting au cordeau dans un Alpha très attendu. Présenté au festival de Cannes 2025, le film n’a pas vraiment fait vibrer le jury et le public. Avec Tahar Rahim et Goldshifteh Farahani en tête d’affiche et également Finnegan Oldfield et Emma Mackey, les promesses étaient belles mais le film accumule trop de complications pour tenir en haleine et faire naitre une émotion si recherchée, beaucoup trop visiblement recherchée.
Un coup de couteau dans l’eau
Un exemple pour débuter et étayer le propos. La famille d’origine Kabyle du personnage interprété par l’actrice principale célèbre l’Aïd avec un repas gargantuesque. Rire et sourires sont soutenus par une musique incongrue dans ce contexte, à savoir La Tempête de Beethoven. Très belle musique, mais qui met (volontairement?) le spectateur à distance des personnages, avec l’interrogation de la cohérence du choix musical avec le contexte. Et comme Ludwig Van revient à la toute fin du film avec le très connu Allegretto de la Symphonie n°7, le coup d’essai initial raté est confirmé. Comme si l’envie de susciter à tout prix l’émotion devenait un fardeau pour le réalisme du film. Et comme le film louvoie entre horreur, fantastique et réalisme, le spectateur est parfois perdu dans un maelström d’intentions pas toujours très claires. La réalisatrice choisit de placer son film dans un contexte rappelant fortement l’épidémie de Sida des années 1980-1990, virus connu à l’époque pour être sans remède avec une condamnation à mort inéluctable (ce qui a déjà été montré avec force dans le plus convaincant Dallas Buyers Club) avant l’apparition de la trithérapie salvatrice au milieu des années 90. La jeune Alpha (Mélissa Boros) vit avec sa mère au prénom jamais évoqué (Golshifteh Farahani) et son oncle Amin (Tahar Rahim). Ce dernier est porteur du virus inconnu aux effets surprenants sur le corps des victimes dont les corps sont transformés en pierre. Addict à l’héroïne, il semble bien avoir contaminé avec une seringue infectée, comme parfois les drogués dans le temps du Sida. Comme le film multiplie les flashbacks entre une Alpha plus jeune et la jeune fille devenue adolescente, le spectateur est souvent perdu, orienté seulement par la coiffure de Golshifteh. Le film ressemble à un calvaire vécu par des personnages désorientés, la maladie est mal connue, les hôpitaux sont mal préparés par l’accueil des malades, la mère d’Amin compare la maladie à un démon qu’elle appelle le vent rouge. Le film multiplie les temporalités, un peu trop, mélangeant traumatisme familial, adolescente qui se fait un tatouage susceptible de l’avoir infecté, et transformation physique pas claire des infectés. Depuis la crise sanitaire du Sida a eu lieu une autre crise en 2020 avec le Covid, avec là aussi des effets sur la population et l’organisation hospitalière.
La réalisatrice a eu l’ambition d’un film générationnel, inscrit dans une époque si proche de la notre en 2025. A force de densifier le propos avec l’ajout de toujours plus d’éléments disparates, elle loupe finalement le coche dans un film devenu inutilement long et confus. De ceux dont personne n’a envie de tenter le revisionnage…
Synopsis: Alpha, 13 ans, est une adolescente agitée qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’écroule le jour où elle rentre de l’école avec un tatouage sur le bras.