Titane a commencé à diviser avant même sa sortie, a divisé au Festival de Cannes, divise critiques et spectateurs et continuera de diviser pendant encore des années. Un film qu’on n’oubliera pas de sitôt, auréolé de la plus belle des récompenses et la plus grande des surprises : la Palme d’Or de la 74ème édition du Festival de Cannes. La joie de voir une femme remporter cette récompense (seulement la deuxième en trois-quart de siècle après Jane Campion pour La Leçon de Piano en 1993), de surcroît française, et un film de genre aussi inattendu que culotté dépasse même l’opinion que chacun se fera de ce long-métrage.
Retour sur un film uppercut qui ne peut laisser personne indifférent.
Métal en fusion
Alors que les premières notes de Wayfaring Stranger retentissent, un moteur vrombit et la caméra filme de manière mécanique ce qui se passe sous le capot d’une voiture. La petite Alexia est victime d’un violent accident de la route, on lui implante une plaque de titane à la place de l’os temporal.
Quelques années plus tard, elle devient danseuse à des salons de l’automobile, tandis que la région est marquée par des meurtres en série.
Julia Ducourneau prend son temps pour installer une ambiance poisseuse, accompagnée de scènes de violences crues et sans détour. Plusieurs spectateurs ont quitté la salle au bout de quelques instants à peine, d’autres ont fait un malaise : c’est l’émoi, semble-t-il. Puis le film opère sans prévenir un virage à 180 degrés et part à l’opposé de là où on l’attendait. La jeune cinéaste, qui n’en n’est qu’à son deuxième long-métrage après Grave, n’a de cesse de nous prendre à contre-courant et réussit l’exploit de réaliser un des films les plus inconfortables diffusés à grande échelle. Faire sortir le spectateur de sa zone de confort, parfois jusqu’au bord de la nausée, et lui faire perdre ses repères sont les plus grandes prouesses de cet OVNI.
Pour spectateurs avertis et amateurs de cinéma de genre
Les références au cinéma de genre sont innombrables. L’ombre de Cronenberg et Carpenter plane tout au long du film, on ne peut pas ne pas penser à Crash et Christine notamment. Alien de Ridley Scott et les films d’horreur de Polanski ne sont pas loin, non plus. Pourtant, loin de seulement s’inspirer de ses maîtres, Julia Ducourneau réussit une proposition complètement indépendante et originale, qui va dans bien d’autres directions que les matériaux d’origine. La caméra toujours incisive et percutante et le montage au cordeau sont au service d’une créatrice à l’imagination folle qui délivre une oeuvre « imparfaite » (ce sont ses mots) aussi séduisante que repoussante. La frontière entre attraction et dégoût n’a jamais été aussi floue alors que les corps sont déformés, massacrés, martyrisés.
En sortant lessivé de la séance, on ne sait guère si on a adoré ou détesté, et l’entre-deux semble impossible.
Des performances d’acteur XXL
Titane est un bel objet stylisé, violent et gore, qui réussit à s’élever vers des sommets d’émotions contradictoire grâce aux prestations époustouflantes de ses deux acteurs principaux.
Agathe Rousselle, dont c’est le premier long-métrage, délivre une performance inouïe de transformation physique et de body horror, quasi animale et à la limite du supportable.
Vincent Lindon rejoint la performance physique de Robert de Niro dans Les Nerfs à Vif, aussi massif qu’inquiétant et torturé jusqu’à l’os. Encore un coup de maître pour un acteur incontournable dont les choix continuent de surprendre.
Un doigt d’honneur aux institutions classiques
On ne peut que louer l’audace de Spike Lee et son jury pour avoir couronné de la Palme d’Or un film aussi couillu, ultra viscéral et iconoclaste, un film de genre unique qui fera date tant il brouille les frontières entre attirance et répulsion.
Spike Lee a choisi de dépasser le cadre du Festival de Cannes réputé intello et élitiste pour récompenser un film horrifique qui s’envole au-delà de l’inconfortable.
Julia Ducourneau a su s’affranchir de la légende du deuxième film raté, après avoir franchement marqué les esprits avec la sortie de Grave en 2016. On attend avec impatience la suite de la carrière de cette jeune cinéaste extrême.