Nous étions revenus il y a quelques temps sur trois ouvrages nous parlant d’exoplanètes, de lunes glacées et d’étoiles naines, tous inscrits dans la collection « Objectif Astro » de la maison d’édition De Boeck. Son auteure, Christine de Jaeger Lambec, a gentiment accepté de revenir sur le développement de ses trois ouvrages ainsi que son regard sur la représentation spatiale dans la fiction.

Quelle a été la raison qui vous a poussé à rédiger « Objectif exoplanètes », « Objectif lunes glacées » et « Objectif étoiles naines » ?

Oh, il y a bien plus d’une raison. D’abord, donner envie de comprendre, et pas seulement d’admirer. Combattre aussi cette idée tenace que l’astronomie serait réservée aux “experts”, et surtout, transmettre la curiosité scientifique à travers un format court, illustré, accessible et clair. Et puis, j’ai longtemps cherché pour mes petits-enfants des livres qui racontent, simplement, ce que l’on découvre chaque jour dans le domaine spatial. Dans les librairies, il y avait de beaux documentaires en grand format, des magazines, ou des ouvrages très scientifiques… mais rien entre les deux. Rien qui dise l’espace sans jargon, sans termes techniques à toutes les pages. Alors, il y a quatre ans, je me suis mise à les écrire moi-même.

D’où vient votre fascination pour l’univers spatial ?

Si pour vous un film comme Super 8 a pu marquer votre vie, pour moi, tout a basculé le 21 juillet 1969, lorsque, à l’âge de 9 ans, j’ai regardé, émerveillée, les premiers pas de l’Homme sur la Lune avec Apollo 11. Pendant mes années collège, j’ai créé un club OVNI. À l’époque, les journaux publiaient régulièrement des témoignages de personnes affirmant avoir vu des phénomènes non identifiés ce qui me fait un peu sourire aujourd’hui. J’ai gardé mes vieux cahiers, dans lesquels je collais précieusement tout ce qui touchait, de près ou de loin, à l’espace. Plus tard, avec ma famille, nous allions écouter Hubert Reeves à la Sorbonne. Je l’ai même suivi dans le sud de la France : il nous faisait nous allonger dans l’herbe, loin de la ville, et, à mesure que la pénombre s’installait, il nous captivait par ses explications, accompagnant l’apparition des étoiles. C’était magique. Cette passion ne m’a jamais quittée, même si j’ai finalement choisi l’enseignement général auprès des plus jeunes.

Comment conserver un ton grand public ?

Trente ans d’enseignement m’ont appris qu’on retient mieux ce qu’on comprend… et ce qu’on ressent. L’écriture de ces livres est une prolongation de ma vocation d’enseignante. Toujours penser au lecteur qui découvre. Comment s’est passé votre travail de recherche en amont de la rédaction ? J’ai le réflexe de parcourir régulièrement les publications de la NASA, de l’ESA, de l’ESO, et bien d’autres sources. Je crée des dossiers sur tout : mon ordinateur en est rempli ! Dans ce domaine, les publications sont nombreuses, parfois même contradictoires ou rapidement dépassées par de nouvelles découvertes ce qui rend le suivi à la fois passionnant et exigeant. Je passe beaucoup de temps à croiser les sources, à chercher ce qui est solide, ce qui peut être expliqué simplement, et ce qui peut surtout éveiller la curiosité sans noyer dans les détails techniques.

Comment se sont opérés vos choix concernant la présentation visuelle des ouvrages ?

 Mon premier livre, sur les exoplanètes, a nécessité un travail colossal de recherche d’illustrations. Même si les télescopes de nouvelle génération nous offrent aujourd’hui quelques images souvent floues d’objets célestes lointains, elles ne font pas vibrer le grand public. Elles restent principalement parlantes pour les scientifiques avertis. Je voulais que l’image capte l’attention, mais aussi l’imaginaire, les illustrations aident à ancrer des notions abstraites. J’ai donc frappé à la porte de nombreux illustrateurs scientifiques. Peu m’ont refusé leur droit de diffusion. J’ai reçu de magnifiques illustrations, notamment de Christophe Martin, directeur d’Imascience. Depuis, nous travaillons en étroite collaboration : il m’a généreusement offert son travail pour les trois premiers livres, et aussi pour les deux prochains à venir, consacrés à la Lune et à la Voie lactée. Pour ce qui est des schémas et des explications visuelles, J’ai été accompagnée par deux professeurs formidables, Pierre Thomas et Moulley Charaf Chabou, et le brillant astrophysicien Alain Riazuello, qui a effectué une relecture complète. Leur regard scientifique a été précieux pour rendre les contenus à la fois rigoureux et accessibles. En relisant le premier ouvrage, j’ai remarqué que les illustrations occupaient une place plus importante que le texte et cela fonctionnait très bien. Le choix, fait avec la maison d’édition, d’essayer de n’utiliser que des images en haute définition a permis de créer un livre à la fois clair, visuellement fort et immersif. Ce format s’est imposé comme une évidence pour le reste de la collection. Provoquer de l’émotion, c’est ce qui donne envie d’aller plus loin.

Y a-t-il un des livres qui a constitué un plus grand défi dans son développement qu’un autre et si oui, pourquoi ?

En réalité, chacun des livres a été un défi. Les illustrations et les informations sont plus faciles à trouver lorsque les médias s’emparent d’un sujet… mais les sujets spatiaux intéressent rarement les médias généralistes. À part dans quelques journaux ou sites spécialisés, ces thèmes peinent à capter l’attention. Or, sans relais médiatique, il est plus difficile de trouver des contenus accessibles, adaptés au grand public. Les données existent, bien sûr, mais elles sont souvent très techniques, ou peu mises en valeur. Et comme je veux donner à rêver tout en restant rigoureuse, il faut sans cesse chercher, croiser, reformuler, faire appel à des spécialistes et à des illustrateurs. Alors non, il n’y a pas eu un livre plus difficile que les autres : tous ont demandé un engagement total, chacun à sa manière.

Vous-même, comment voyez-vous la représentation de l’espace dans la fiction ?

J’avoue ne pas être très attirée par les romans d’anticipation. On y projette trop souvent nos travers humains, parfois jusqu’à l’absurde comme dans ces histoires qui nient l’alunissage ou la rotondité de la Terre. Ce type de fiction me laisse perplexe. En revanche, certaines œuvres ont une véritable force poétique. J’ai grandi avec E.T. et Rencontres du troisième type, des films qui parlent d’espace mais surtout d’émerveillement, de tendresse, d’humanité. D’autres, comme Contact ou Seul sur Mars, allient rigueur scientifique et aventure humaine avec beaucoup d’intelligence. Et puis, Le Cinquième Élément de Luc Besson reste pour moi un chef-d’œuvre de fantaisie, d’humour et de folie : j’adore ! J’aime aussi beaucoup des œuvres comme Star Wars, 2001, l’Odyssée de l’espace ou Interstellar pour nous faire rêver à des futurs alternatifs ou à des quêtes où les personnages ne cherchent pas seulement à explorer l’espace, mais aussi à comprendre ce qu’ils sont, d’où ils viennent, et ce qui les dépasse. Ce que je trouve dommage, c’est que beaucoup de bandes dessinées ou de séries de science-fiction choisissent la violence et la noirceur. Cela me semble en décalage avec ce que l’espace peut véritablement offrir : une source inépuisable de beauté, de mystère, et de rêve, même si, bien sûr, l’espace reste un milieu dangereux et parfois violent. Heureusement, des auteurs comme Jules Verne et Hergé nous invitent à explorer cet univers autrement. *

Pensez-vous qu’il y a des raisons précises faisant que le milieu spatial continue de fasciner autant, aussi bien dans le domaine scientifique que celui fictionnel ?

Qu’il soit scientifique ou fictionnel, l’espace fascine, car il incarne notre besoin de comprendre et de rêver au-delà du connu. Ce vaste domaine allie exploration, progrès technologique et questionnements fondamentaux, repoussant sans cesse les frontières de la connaissance humaine. Mais au-delà de la science, l’espace est également un terrain fertile pour la fiction et l’imaginaire. Il offre un décor infini, libéré des contraintes terrestres, où tout devient possible. Dans la littérature, le cinéma ou les jeux vidéo, l’espace représente l’évasion absolue.

 Comment voyez-vous l’évolution de l’astronomie dans les années à venir ?

 L’évolution de l’astronomie dans les années à venir s’annonce passionnante et riche en révolutions technologiques, scientifiques et humaines. Grâce à des instruments toujours plus puissants, la recherche de vie extraterrestre va s’intensifier. L’intelligence artificielle transformera l’analyse des données, nous permettant d’accéder à une meilleure compréhension de l’univers invisible. Mais l’astronomie et l’exploration spatiale ne sont pas seulement des domaines de science ou de rêve. Ils deviennent aussi, de plus en plus, des terrains de puissance, d’influence et de rivalités géopolitiques sur Terre… et au-delà.

*Avec la talentueuse Sabine Hautefeuille, nous créons une bande dessinée non violente qui suit les aventures de deux ados explorant notre Système solaire, guidés par leur grand-mère un peu déjantée, à la manière de Doc dans Retour vers le futur, et basée sur les toutes dernières découvertes spatiales.

Merci à Christine de Jaeger Lambec pour ses réponses ainsi qu’à Christel Bonneau et la maison d’édition De Boeck pour l’organisation de cette interview.