Un premier long-métrage révèle toujours beaucoup d’une possible émotivité artistique et c’est le cas de ce très joli « Soft Leaves », suivant une jeune fille confrontée à une mère qu’elle ne connaît pas suite à un accident familial. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec sa réalisatrice, la passionnante Miwako van Weyenberg, au cours d’un entretien téléphonique.

D’où est venue l’envie de tourner « Soft Leaves » ?

Pour moi, c’est toujours important de partir de quelque chose que je connais très bien, de très personnel. Je reçois de temps en temps la question de la nature autobiographique du film, ce à quoi je réponds que l’histoire ne l’est pas mais les émotions oui. J’aime bien partir par les émotions. Pour moi, « Soft Leaves », c’est une histoire de recherche d’identité dans différentes cultures mais aussi dans une famille et le lien entre les deux. C’était un peu le point de départ.

Comment avez-vous trouvé votre actrice principale, Lill Berleloot, et quel a été le travail avec elle ?

Le casting a été très spécial pour le rôle de Yuna car Lill mais aussi les deux autres acteurs des enfants vivaient tous leur première expérience au cinéma. On a surtout cherché dans la communauté japonaise en Belgique, dont je fais partie. Donc c’est beaucoup passé par les restaurants, les écoles japonaises, même les coiffures japonaises ! (rires) Et puis, il y a ce cliché que j’entends toujours mais c’était le cas ici : quand j’ai vu Lill, j’ai su immédiatement que c’était elle. Pendant l’écriture du scénario, le personnage était un garçon. C’est quand j’ai vu Lill que j’ai senti qu’il fallait que je la prenne, sans savoir exactement pourquoi, mais ce fut un sentiment évident en la voyant. Avant les répétitions, on a fait plein d’activités comme le jardin botanique et des escape rooms pour passer des moments ensemble. Il faut se faire confiance et je ne voulais absolument pas faire un tournage avec des relations réalisateur-acteur car ça peut être très vulnérable pour des enfants qui n’ont pas cette expérience. Je voulais donc amener beaucoup de confiance dans notre lien.

Elle apporte beaucoup d’empathie et on sent notamment cela dans la représentation de l’accident de son père, qu’on ne vit que par son regard. C’était une décision préméditée de rester sur son point de vue ?

Oui, c’était toujours l’idée pour moi mais également mon chef opérateur, Tristan Galand. On a toujours discuté qu’on voulait être dans son univers à elle en étant très proche tout en étant d’une manière qui n’est pas étouffante, avoir une proximité naturelle, et comment capter son point de vue.

En parlant de votre chef opérateur, quels ont été vos échanges sur la lumière du film ?

Pour nous, c’était très important d’avoir quelque chose de lumineux, de chaleureux, une douceur même. C’est une histoire dramatique avec des épreuves pour Yuna et les autres personnages. Je ne voulais absolument pas faire un film lourd, trop écrit et traumatisant. C’est pour ça qu’on a discuté de comment amener un sentiment proche de la nostalgie dans notre histoire. Pour ça aussi, les éléments naturels comme les feuilles, les arbres et les oiseaux avaient quelque chose de très joli à apporter selon moi dans l’histoire. C’est comme ça qu’on a cherché une approche très naturelle et lumineuse dans notre façon de raconter.

Vous parliez des sentiments au cœur du long-métrage. Vous parvenez justement à faire partager l’isolement de Yuna, notamment lors de cette scène où sa mère appelle son compagnon. Dans vos choix de cadrage, on ressent une solitude intense.

Il y a quelque chose d’un rêve dans l’approche de son regard. Les autres personnages et leurs dynamiques se vivent aussi à travers ses yeux. C’était quelque chose qu’on voulait garder dans son univers.

On ressent aussi ça dans la distance de la langue.

C’est aussi quelque chose que je connais très bien, notamment dans ma vie personnelle. Je parlais néerlandais avec mon père, japonais avec ma mère et eux parlaient entre eux en français. C’est donc un mélange que je connais très bien. Je trouve que la langue peut être aussi bien un lien qu’une barrière, une distance. C’est quelque chose de très culturel. Ce qui m’attire beaucoup à utiliser des langues d’une manière pareille dans mes films, c’est vraiment parce qu’une langue est à la fois très culturelle et très quotidien. Il n’y a rien d’égal dans une langue parlée mais ça peut raconter beaucoup de choses. Je sais par exemple que, quand je parle japonais, il y a une différence dans mon comportement. Ça m’attire beaucoup de travailler avec des choses comme ça, les langues mais aussi la nourriture. C’est très culturel mais aussi très quotidien.

C’est votre premier long-métrage. Comment s’est passé concrètement ce passage dans un autre format ?

Un film prend toujours du temps (rires). Pour moi, ça a pris 7 ans. J’ai commencé l’écriture début 2018. Bien sûr qu’il faut toujours continuer de se battre pour faire un film car ce n’est pas évident mais ce qui m’a beaucoup aidé, c’est avoir le casting, l’équipe, et de faire quelque chose ensemble. Ça m’a beaucoup touché aussi car pendant l’écriture, on est seul. En plus, une grande partie de ce travail était pendant le Covid. J’étais seule devant mon ordinateur en train de taper le scénario et c’était vraiment la solitude. J’aime aussi beaucoup l’écriture mais c’est vraiment différent quand il y a une équipe et qu’on puisse vraiment faire quelque chose ensemble.

Il y a aussi dans le film ce rapport de Yuna avec son frère aîné mais surtout une sœur qu’elle ne connaît pas et qui essaie de nouer une relation.

 Il y a une dynamique entre petite sœur et grand frère mais aussi grande sœur et petite demi-sœur qui est très spécifique. Je crois m’être beaucoup amusée avec ça car je suis enfant unique (rires) et que c’était chouette de jouer avec ces dynamiques entre enfants.

« Soft Leaves » est passé par plusieurs festivals comme Rotterdam et Ostende. Comment vivez-vous cette première carrière du film ?

Ça a fait beaucoup plaisir d’entendre des réactions très personnelles. J’ai eu beaucoup de gens qui venaient me parler pour partager quelque chose qu’ils ont vécu de très personnel. C’est très intense d’avoir des gens que je ne connais pas qui partagent cela mais ça fait aussi plaisir de voir cette expérience personnelle dans le film. C’est aussi quelque chose que j’aime bien travailler : les petits détails du quotidien. Quand je sens que cela amène une expérience aussi universelle que personnelle, ça fait plaisir.

Y a-t-il un point du film dont vous auriez voulu parler plus longuement, comme une scène en particulier ?

Ce n’est pas nécessairement une scène mais je disais que j’aimais bien travailler avec les petits détails du quotidien. Je me suis beaucoup amusée avec les scènes où ils mangent, avec la nourriture qui revient souvent dans le film. C’est quelque chose qui me fascine. Quand les enfants sont seuls par exemple, ils ont tendance à manger des pizzas, des cornflakes, de la junk food. Quand la mère japonaise est là, ils mangent du riz avec des baguettes. C’est comme avec les langues : c’est très culturel mais aussi très quotidien comme petits détails donc ce sont des choses que j’ai beaucoup aimé écrire. Pendant le tournage, c’était super de voir ces scènes de nourriture. Ce sont ces petits éléments qui font la vie et j’espère que cela rend le film plus universel.

Merci à Heidi Vermander de Cinéart pour cet entretien