Critique : Même les personnes allergiques aux comédies musicales n’ont pas pu passer à côté du phénomène « Wicked », adaptation d’un spectacle à succès venant lui-même d’un roman de Gregory Maguire relisant adroitement le classique « Magicien d’Oz ». Le succès, prévisible pour les fans, moins pour le grand public, est tel que le long-métrage a eu droit à pléthore de récompenses et de nominations dans des cérémonies prestigieuses tout en étant au centre de rumeurs concernant un land permanent dans les parcs Universal. Mais, au-delà de ce triomphe public et critique, peut-on réellement dire que le film de Jon M. Chu mérite cette hype monumentale ? Nous avons envie de partir vers le positif… avec quelques regrets malgré tout.

Narrativement, « Wicked » fonctionne très bien dans sa façon de détourner certaines attentes d’un public profane. Il faut bien dire que l’aspect universitaire trouve un ton piquant et assez drôle passant par l’alchimie entre Cynthia Erivo et Ariana Grande. Le casting est en ce sens impeccable tant les actrices principales parviennent à porter des protagonistes plus complexes qu’il n’y paraît, ce qui va avec la tonalité du film même. Chacun des morceaux musicaux parvient à trouver un sous-texte et une ironie qui pointe sans crier gare, le tout au gré de séquences de spectacle rondement bien menées. Ainsi, derrière ce qui aurait pu n’être qu’une forme chatoyante mais superficielle se trouve une réflexion sur le contrôle du pouvoir sur toute personne, que ce soit une jeune femme aux capacités existantes mais rejetée par sa couleur de peau, des personnes qui cherchent à être aimées en permanence ou à ne pas penser aux vicissitudes de la réalité ou encore une population opprimée et renvoyée à un statut animal.

WICKED, directed by Jon M. Chu

On en vient même à regretter que les 2h45 ne restent pas plus longtemps sur certains points, le rythme étant rapide et les esquisses étant tout bonnement intéressantes, comme cette statue d’animaux recouverte par un portrait du magicien d’Oz et visible uniquement sur un très court plan. Le film y trouve une force discrète mais subtile, parvenant justement à interroger la réalité des émotions et des intentions tout en poussant peu à peu à une prise de décision inévitable. C’est là, une fois sorti des carcans de Shiz, que le long-métrage révèle plus explicitement son propos et s’oriente vers son point culminant : « Defying Gravity », merveille de comédie musicale dont on ne louera jamais assez la force évocatrice.

Malheureusement, c’est là aussi que se dévoilent plus clairement les points les plus faibles du film. Ainsi, si Jon M Chu maîtrise clairement l’art de la chorégraphie et de la scénographie musicale, sa mise en scène perd en impact et se montre plus brouillonne, à l’instar d’effets criards qui rallongent la durée d’un numéro musical pourtant maîtrisé à l’origine. De même, la photographie, déjà imparfaite, accentue ce sentiment factice qui ne se voit plus comme un propos sur la fictionalité d’une existence sous un régime contrôlant mais juste comme des visuels peu harmonieux. C’en est regrettable tant la direction artistique est globalement soignée mais il aura fallu le moment potentiellement le plus révélateur et puissant du long-métrage pour que les coutures plus perfectibles soient mises en lumière.

L to R: Cynthia Erivo is Elphaba and Ariana Grande is Glinda in WICKED, directed by Jon M. Chu

Néanmoins, l’envie de se replonger dans cet univers revient sans honte tant, globalement, cette adaptation de « Wicked » s’avère solide et même bien fichue. La quête d’affirmation d’Elphaba, les tiraillements de Glinda pour sa popularité, la fausse superficialité de Fiyero, l’orientation thématique qui embrase subtilement son propos politique : tout cela se mélange au sein d’une comédie musicale réussie et donnant très envie de voir ce que donnera sa deuxième partie, prévue pour la fin de l’année. On espère en tout cas que la mise en scène défiera mieux la gravité pour porter cette histoire là où elle le mérite : dans les cieux, à la vue de toutes les personnes qui lèveront les yeux.

Résumé : L’histoire inédite des sorcières d’Oz met en vedette Cynthia Erivo dans le rôle d’Elphaba, une jeune femme incomprise qui n’a pas encore découvert toute l’étendue de ses pouvoirs, et Ariana Grande dans celui de Glinda, une jeune femme populaire qui ignore encore où se trouve son véritable cœur. Elles se rencontrent à l’Université de Shiz et nouent une amitié improbable, jusqu’à ce que leurs destins prennent des chemins opposés après une rencontre avec le Magicien d’Oz.