Minnesota, 1990. Un homme confesse des attouchements sur sa fille alors qu’il n’en a aucun souvenir. Le policier et le psychologue enquêtant sur cette affaire vont alors partir sur une piste sataniste…

Attention, il est recommandé de lire cette critique après avoir vu le film.

La peur a toujours été l’un des pivots du septième art. Nombreux furent les artistes tentant de la transmettre à leur audience, de la manière la plus viscérale et efficace possible. On peut parler alors d’un phénomène de transmission public, le groupe s’avérant perméable aux intentions d’angoisse. Voir un réalisateur comme Alejandro Amenábar théoriser sur le sujet ne pouvait alors qu’être passionnant. On se souvient ainsi de son premier film,  Tesis , toujours le meilleur long-métrage parlant de snuff movies tout en abordant les envies voyeuristes de ses spectateurs dès la scène d’introduction. On pourrait parler également des « Autres », merveilleux film de maison hantée au twist tellement fort qu’il oblige directement à un nouveau visionnage pour confirmer sa cohérence et son aspect brillant. L’angle de la réflexion sur le médium est donc de mise avec ce Régression .

À première vue, nous sommes confrontés à une banale série B policière tout ce qu’il y a de plus cliché. Pourtant, Amenabar donne rapidement aux spectateurs une clé de lecture essentielle pour déchiffrer les tenants et aboutissants de son intrigue. Inspiré par la vague de panique sataniste qui s’est propagée aux États-Unis dans les années 90, Régression aborde pleinement ce phénomène de paranoïa collective comparable à une expérience horrifique en salle. La peur d’une menace à la puissance étouffante a toujours été présente dans les mythes collectifs et se propage encore avec les nombreuses théories du complot présentes sur les réseaux sociaux. Nous sommes dans une crainte constante d’un pouvoir supérieur nous imposant nos actes tels des marionnettes. Et pourtant, il suffirait d’un peu de réflexion pour pouvoir surmonter cette crainte et se confronter à l’impossibilité de celle-ci.

Comme le montre le film, ce qui nous enferme dans nos idées est notre conviction fortement implantée en quelque chose qui ne peut se tromper. En cela, confronter science et religion est une idée de scénario passionnante de la part d’Amenábar, obligeant le public et son personnage principal à constater la faillibilité des deux. Sans remise en question constante de la structure religieuse/scientifique, on ne peut tomber que vers la panique individuelle et collective. Le regard posé sur les médias est alors d’un intérêt central, les écrans véhiculant en permanence des mensonges pourtant gobés par la « légitimité » médiatique de la télévision. De quoi prolonger le regard que l’espagnol portait déjà sur celle-ci dans Tesis

En plongeant tête baissée vers la théorie du complot et la crédulité là où on lui soufflait dès les premières minutes la vérité sur ce qui se passait, l’inspecteur Kenner personnifie le spectateur cherchant absolument à se confronter à quelque chose qui le dépasse. Partant de la figure archétypale du flic surmené, Ethan Hawke arrive à faire de son personnage un vecteur d’idées reliant le public à la création artistique, tombant dans le panneau de l’irréel grandiloquent là où la solution était bien plus réaliste mais également plus vicieuse. Le fait de vouloir se faire passer comme une victime afin de s’attirer l’attention de tous ainsi que l’émancipation d’une vie morne ne peut se faire qu’en détruisant des vies, ce que viendra appuyer l’amère décision du père.

Dissimulant sa réflexion sur l’usage de la peur au cinéma derrière ce qui aurait pu être un film policier à l’intrigue vue maintes fois, Régression s’avère au final d’une plus grande densité thématique et scénaristique que ne pourraient le faire envisager les tristes retours reçus. Amenábar y prouve une nouvelle fois être un maître dans le domaine du « fantastique » et de ses conceptions narratives tout en apportant une œuvre inédite qui aurait mérité plus de considération au vu de son point de vue assez sombre sur la nature humaine, rappelant notre imperfection totale et notre perméabilité à la crédulité…