Nadia Tereszkiewicz est sans aucun doute l’une des stars du cinéma français actuel, collaborant avec des personnalités reconnues comme François Ozon et Robin Campillo tout en se distinguant par ses rôles. À l’affiche de « Rosalie », où elle incarne une femme à barbe, l’actrice nous a accordé un entretien où elle a affiché autant de gentillesse que de passion pour son personnage.
Qu’est-ce qui vous a plu à la lecture du scénario de « Rosalie » ?
Déjà, j’ai vu que c’était une magnifique histoire d’amour, qu’il y avait quelque chose de romantique dans le sens pur du romantisme, cette notion d’amour absolu et inconditionnel. C’est ce dont rêve Rosalie : d’être aimée et d’aimer. Son destin m’a beaucoup touchée. Elle est hors normes et en même temps, je m’y suis identifiée. J’ai l’impression de la comprendre. On a tous une barbe donc il y avait aussi une façon de parler de notre époque, avec beaucoup de résonnances actuelles dans le scénario. C’est cette histoire d’amour qui m’a touchée donc je suis très heureuse que Stéphanie Di Giusto m’ait proposé le rôle.
Pour parler de cette résonnance, comment regardez-vous ce rapport au poil féminin et son tabou qui reste toujours aussi prégnant ?
En fait, ça dépend déjà des pays, des époques. Le poil est plus ou moins célébré, fétichisé ou rejeté. Il y avait une expo très intéressante à Paris sur le poil récemment, notamment dans le temps. C’est assez dingue de voir comment ça parle aussi des cultures. Là, aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a à la fois un mouvement où on assume les différences, notamment sur les réseaux sociaux où je suis des femmes à barbe, une sorte de body positive où on peut assumer ce qu’on veut faire et faire ce qu’on veut, avoir des poils ou pas, assumer notre différence. D’un autre côté, j’ai l’impression qu’il y a une forme d’uniformisation, une forme de perfection recherchée où on ment sur qui on est. Je trouve que c’est très violent pour les jeunes filles qui se cherchent aujourd’hui, comme sur les réseaux sociaux où il y a cette façon dont on peut célébrer quelqu’un avant de le détruire après, l’humilier en très peu de temps par le biais de milliers de gens sur les réseaux. Ce n’est pas beaucoup plus différent de l’époque du film où il y a aussi cette idée du bouc émissaire, de la violence du groupe et du rejet de la différence.
Le film aborde justement une forme d’hypocrisie morale et sociale où on reproche aux employés d’aller boire alors qu’on est dans une période d’après-guerre, où l’on remet toutes les fautes à toute personne ou tout acte sortant de la norme. Comment êtes-vous touchée par cette thématique ?
En tout cas, je trouve que, ce qui est évident, c’est que le film est en 1870 après la guerre franco-prusse, il y a le patriarcat soutenu par l’église qui régit toute la société et Rosalie est célébrée quand elle est encore dans les codes. Quand elle dépasse les normes, on la rejette d’un coup car elle est allée trop loin. Je pense que le regard des autres est très violent car, en plus, c’est un contexte de suspicion, le personnage de Benjamin Biolay contrôle tous ses ouvriers. Il y a un besoin d’être dans une pente d’uniformisation. Pour moi, Rosalie n’est pas provoquante, elle veut juste être celle qu’elle veut être, la femme qu’elle est, la femme avec une barbe et être libre du coup de vivre sa vie comme elle le souhaite et ça dérange. Je trouvais ça très intéressant car, aujourd’hui, il y a plein de normes. Qu’est-ce que c’est d’être une femme par exemple ? Pourquoi elle n’a pas le droit d’être femme, désirable ? Qu’est-ce que c’est que la beauté, la féminité ? Tout ça, on ne sait pas. Pourquoi est-ce qu’on est obligés de mettre des codes partout et des catégories ? Je pense que, du coup, ce personnage est intéressant car aujourd’hui aussi, il y a plein de codes qui nous conditionnent, avec une forme de violence de cet ordre-là. Ça fait du bien de parler de quelqu’un qui s’épanouit et s’affranchit et, par cette liberté-là, donne envie d’être libre aussi.
Cette notion d’épanouissement passe par une proximité avec la nature. Comment avez-vous travaillé cet aspect et de quelle façon cela vous a aidée pour votre personnage ?
Je trouvais que la nature était un véritable endroit de refuge. C’est là où elle aime être seule. C’est quand elle porte sa barbe qu’elle devient vraiment femme. C’est intéressant car elle la garde au début pour gagner de l’argent mais c’est au moment où elle assume sa barbe qu’elle se connecte avec sa vraie féminité et son plaisir personnel aussi. C’est dans la nature qu’elle cherche ce plaisir car elle y est libre de tous les regards des autres. Je trouvais donc ça intéressant que cet épanouissement passe par la nature, quand elle n’est pas jugée par tout le monde. Après, il y a un rapport aussi de la bête traquée. Dès le début, il y a des chiens qui courent derrière une bête et, quand elle arrive, elle se demande si elle va être cette bête. C’est vrai que, tout de suite, il y a une notion d’animalité. Qui est l’animal ? Pourquoi est-elle considérée comme monstrueuse ? Le poil ramène à quelque chose d’animal et elle devient cette bête traquée. Je trouvais ça intéressant que la violence de la nature, sa beauté et l’épanouissement personnel se lient. C’est aussi la beauté majestueuse comparée au village qui est oppressant. Ce sont des belles images et ça offre une échappatoire, pour elle comme pour le spectateur.
Pour parler de la barbe, comment a-t-elle été créée et quel était le travail physique par rapport à son effet ?
Ça durait 4 heures tous les matins car c’est une méthode de poil à poil. Ils sont collés poil par poil. C’est une méthode très spécifique qui fait que ça devient une seconde peau, très charnelle quelque part car on ne peut pas s’en séparer. Ce n’est pas un postiche, ça ne fait pas costume. Du coup, ça m’a mis dans un état… Ce n’est pas anodin, ça a questionné ma féminité et ça m’a déplacée. J’ai eu honte au début du tournage et j’ai dû combattre cette honte. Je me sentais de mieux en mieux mais, en fait, ça atteint une part de ma propre féminité.
Quel est votre regard sur le paysage cinématographique français actuel ?
Cette année, je suis heureuse car on a eu des films incroyables d’une beauté inouïe. Je pense à « Anatomie d’une chute », évidemment, « Le règne animal », « Little Girl Blue », « Le procès Goldman », « Simple comme Sylvain » même si c’est canadien, … On a eu énormément de très très très bons films, comme « Rien à perdre » aussi. Ça donne aussi beaucoup de réalisatrices. Ce n’est pas parce que les femmes sont meilleures maintenant mais aussi parce qu’on a plus de productrices et de distributrices donc on donne plus de chances aux femmes de faire du cinéma, même si elles en ont toujours fait depuis Alice Guy. Mais là, je trouve qu’on donne plus de chances et ça me rend heureuse car j’ai l’impression qu’on va avoir des rôles plus intéressants pour les femmes. J’ai l’impression que mes rôles le sont. Ça fait aussi plaisir de les voir revenir dans les salles.
Justement, qu’est-ce qui vous pousse dans certains choix de carrière ?
Je suis contente d’avoir eu des choix intéressants. J’ai une envie de faire des choses très différentes avec des cinéastes avec une vraie mise en scène, de vraies positions, des rôles qui demandent un engagement personnel et qui ont du sens. C’est toujours une responsabilité quand on prend un rôle donc j’ai envie d’avoir des rôles qui ont du sens et me font voyager, que ce soit dans le temps ou dans l’espace. Je suis heureuse de me dire que je vis plein de vies en une vie et que j’ai la chance d’avoir le choix.
Merci à Youri Delmoitiez de Com’ des demoiselles et au Festival du Film de Mons pour cet entretien.