Pour son passage à la fiction, Paloma Sermon-Daï inscrit sa patte documentaire dans l’esthétique effervescente et isolante des vacances. C’est sans aucun doute l’une des réussites de son long-métrage, « Il pleut dans la maison », ainsi qu’une des raisons qui ont permis au film d’être récompensé au Festival International du Film Francophone de Namur. C’est là que nous l’avons d’ailleurs rencontrée, dans un lieu où elle a déjà été récompensée pour son « Petit samedi ».

D’où est venue l’idée de votre film ?

L’une des deux premières choses au départ du film était d’avoir cette maison. C’est un personnage du film, que ce soit avec ses fuites ou en tant que cocon pour cette famille. C’est passé par plein d’étapes mais, assez rapidement, j’ai su que ça allait devenir une histoire de fratrie, un frère et une sœur. Je savais aussi que je voulais parler de l’absence d’un parent et cette étape de vie où ils sont obligés de devenir adultes avant l’heure et de se débrouiller. Au début de l’équation, il y avait ça, avant que ne vienne aussi l’aspect touristique de la région où on a tourné, les Lacs de l’Eau d’Heure. J’avais envie de me plonger dans ce tourisme et cette économie à deux vitesses, à la fois précaire et de masse pendant l’été.

Comment avez-vous travaillé vos lieux, en y créant une vie derrière ces liens économiques ?

Les Lacs de l’Eau d’Heure, c’est un endroit où je suis allée quelques fois quand j’étais ado. Je suis de la région namuroise, c’est un lieu à cheval sur le Hainaut et le namurois donc on le connaît un peu tous. C’est vrai que je l’ai redécouvert adulte et je me suis rendu compte que c’était un lieu très cinématographique. Déjà dans les paysages, on oublie qu’il y a des choses aussi belles mais également drôles. Je ne me rendais pas compte à quel point le tourisme avait pris de l’ampleur près des Lacs de l’Eau d’Heure. On y retrouve des gros complexes hôteliers, c’est vraiment devenu un business. Je me suis interrogée à qui profite ce business : est-ce que cela profite vraiment aux gens de la région ? Je n’en ai pas l’impression. C’est vrai que la maison a également été une grosse recherche. Je souhaitais une maison bien dans son jus car le film n’a pas énormément de budget, on a fait ça avec une production légère. Je savais qu’on devait trouver une maison qui collait bien à ce qu’on cherchait. On a pris le temps de la chercher, une maison dans laquelle il pleuvait naturellement donc on n’a pas eu besoin de faire énormément de trucages. C’était important pour moi de trouver les bons lieux et de faire un huis clos entre cette maison et le lac.

Quel a été le travail avec vos deux protagonistes principaux, Purdey et Makenzy, avec ce lien qui constitue le cœur du film ?

J’avais déjà travaillé avec Makenzy et Purdey sur mon film de fin d’études. Je les connaissais bien, Purdey est ma nièce donc j’ai toujours gardé un peu de contact avec eux. Quand j’ai décidé de travailler avec eux, ils ont beaucoup nourri le scénario car je les ai observés, la façon dont ils se parlaient, les chamailleries, … Je crois que tous ces petits détails ont fait cette relation qu’on a à l’image et en laquelle on croit. Je ne pense pas qu’il suffit de prendre un frère et une sœur. Il fallait vraiment mettre en lumière ces dynamiques entre eux, ce côté chien-chat, ce rapport un peu aigre-doux, ce côté amour inconditionnel que l’on peut avoir pour son frère et sa sœur avec de la loyauté mais aussi ce côté déchirant. On se pose la question si Purdey est prête à sacrifier son autonomie et sa vie personnelle pour son frère ?

C’est intéressant car le plan d’ouverture est déjà significatif de cette dynamique. Pourriez-vous en parler plus ?

C’est un des seuls plans vraiment fixes du film et ça m’a amusé de commencer avec ça car mon film précédent, « Petit samedi », n’est presque constitué que de plans fixes. Ici, ce n’est pas du tout le cas, on a beaucoup de caméra à l’épaule. Même si on a des moments plus calmes, ce n’était pas le même cadrage. Commencer avec ce plan fixe m’amusait car il donnait l’impression que j’allais recommencer à ne faire que ça alors que pas du tout. Il y a cette grande découverte des personnages. Petit à petit, on sent que ça se chamaille et ça raconte plein de choses, un certain mode de vie : qu’est-ce que ça fait d’habiter à la campagne, de ne pas avoir le luxe d’avoir une voiture pour faire les courses, d’avoir deux bus par jour, … Ça raconte plein de choses et on sent qu’ils galèrent avec leurs sacs pour ramener leurs surgelés, il fait crevant de chaud, … On comprend aussi directement qu’ils se débrouillent seuls.

On ressent un aspect cyclique dans votre narration qui appuie l’atmosphère du film, notamment leur quotidien et leurs sorties.

J’avais envie qu’on sente qu’ils s’y ennuient aussi et qu’ils tournent en rond. C’est pour ça qu’on sent dans le personnage de Makenzy la colère de la situation familiale dans laquelle il se retrouve, de l’absence de sa mère, de l’état de la maison qui se détériore, … J’avais envie qu’on sente qu’il est en cage, avec en plus ce mépris de classe qu’il vit avec le tourisme. On sent ce mal-être en lui et je voulais représenter cet enfermement et cette vie un peu répétitive, pareil chez Purdey. Après, elle est un personnage plus en mouvement. On sent qu’elle met des choses en place pour que ça bouge, elle est plus mature et on sent qu’elle commence à mettre une machine en place. On ne sait pas après si c’est le bon choix, on est déçu qu’elle ne puisse pas continuer ses études car on a envie de choses positives pour elle mais ils ont des dynamiques différentes tout en partageant ce quotidien.

Par rapport à ce mépris de classe, on le trouve aussi dans le petit ami de Purdey. Comment faire de cette charge sociale un cœur narratif ?

Je ne voulais vraiment pas faire un film misérabiliste. C’est vrai que j’ai été très prudente aussi car je ne voulais pas faire un film à charge, disant « oh mon dieu, ces pauvres gens qui vivent dans la précarité, ces méchants touristes et ce méchant petit copain qui la prend de haut ». Ce n’est pas ça. Même quand son petit copain essaie de remettre l’église au milieu du village, on sent qu’il a encore de l’amour pour elle et que, maladroitement, il ne peut pas s’empêcher d’être gêné d’avoir une copine qui fait le ménage, qu’il aurait voulu avoir à son bras une fille avec les mêmes ambitions que lui. Ce sont des petites choses mais quand on décortique tout ce qu’il lui dit, ce sont vraiment des claques. Pareil quand Makenzy croise ce jeune homme au bord du lac qui, peu à peu, la méprise par des petites choses. On sent que Makenzy n’a pas les bonnes chaussures, le dernier IPhone, le père plein de fric qui lui paie des vacances. Ce sont des couches et des couches qui font exploser la soupape car je crois que les mots font bien plus de mal que n’importe quoi. Cette sensation est terrible pour eux.

Il y a un réalisme dans le fond mais la forme marque bien le côté estival du récit. Quel a été le travail mené au niveau de la lumière ?

Avec le chef opérateur, Fred Noirhomme, on avait envie de trouver le look du film avant de commencer à tourner. On a pas mal travaillé en amont, on est allé au lac tester des images qu’on a ensuite retournées sur ordinateur pour trouver l’esthétique du film avant de commencer et briser ce cliché du film social, ne pas tomber dans le travers de faire un film qui a une image dure car il raconte des choses dures. J’avais vraiment envie d’un film très solaire et qu’on sente cette canicule. On a deux traitements dedans. On a d’abord la maison, on sent qu’elle n’est pas isolée de la pluie mais pas non plus de la chaleur. Ils ont beau s’enfermer et garder les volets fermés, le soleil perce dans tous les coins, c’est inévitable. Il y a aussi ce tourisme de masse et ces paysages. Quand on est arrivés au lac, les pelouses étaient brûlées. C’est parfois désertique, on n’a pas l’impression d’être en Belgique tant c’est estival.

L’été est aussi un moment de remise en question, surtout quand on est jeune. Quelle importance cela avait de conserver ce bouillonnement émotionnel qui se retrouve souvent dans cette saison ?

Je crois que c’est un moment charnière. C’est difficile de vivre des choses difficiles en été. Il y a quelque chose de très paradoxal. Quand l’été commence, on a ce besoin de se dire qu’on va passer un bon moment car on est en été. Sauf qu’il se passe des choses en été comme tout le reste de l’année et ce n’est pas toujours parfait. Ce qui est important pour moi, c’est que ce moment charnière marque des adolescents et il fallait avoir des moments d’éclats, de rire et de légèreté car ce sont des grands enfants. En même temps, il y a cette réalité de la vie qui les rattrape et cette canicule qui représente aussi ce côté lion en cage. Ils ont envie de briser les choses mais c’est dur. On sent que les claquettes collent au tarmac. On a aussi ce truc où l’été est avant la rentrée donc on se retrouve à y faire des choix : est-ce que je continue l’école ? Est-ce que je redouble ou pas ? Est-ce que j’ai réussi ? Est-ce que je change d’école ? Est-ce que je commence à travailler ? Ils ont vraiment un âge charnière.

Qu’est-ce que l’expérience de « Petit samedi » a pu apporter pour ce film ?

Disons que « Petit samedi » était un documentaire dans lequel je mettais de la fiction. Il y avait des moments assez hybrides, de liberté avec de la mise en scène. Ici, c’est un film de fiction dans lequel j’ai amené quelques méthodes documentaires dans le sens où ça a été un travail au long cours avec de l’immersion. Je me suis immergée au lac, dans le tourisme, dans ce complexe hôtelier, j’ai beaucoup observé les gens qui y travaillent. Il y a eu aussi un travail d’immersion avec Purdey et Makenzy car j’ai redécouvert cette jeunesse qui n’était finalement pas très différente de la mienne. On a une dizaine d’années d’écart. Leur jeunesse a pas mal résonné avec la mienne. J’ai donc l’impression d’avoir pris le temps de m’imprégner d’eux et des décors pour développer une narration simple mais pas simpliste. C’est assez simple dans le sens où il y a la place pour laisser vivre les émotions.

Quelle a été la plus grande leçon apprise sur ce second film ?

Je n’ai pas fait d’école de réalisation donc j’avais un problème de légitimité, notamment par rapport à la mise en scène. C’est pour ça aussi que j’ai travaillé un an avec eux, je voulais prendre le temps de trouver des outils et de leur en donner pour qu’on soit tous à l’aise. Je me suis pas mal cherché en tant que réalisatrice mais aussi à l’écriture. Le film n’a pas été complètement écrit car on avait un scénario de 60 pages avec des dialogues pas développés et des scènes résumées. Je savais qu’il y avait des choses qu’on allait improviser ensemble et des choses qu’on avait répétées ensemble que je ne savais pas écrire. C’étaient des choses assez organiques. Ici, je commence à écrire un nouveau projet et je sens qu’il y a des mécanismes que j’ai maintenant, que je ne retombe pas dans les mêmes pièges et que je vais plus à l’essentiel. Quand on commence à écrire et à réaliser, on a tendance un peu trop à étirer les choses et à avoir besoin de tout dire. J’ai appris à ne pas tout dire. Dans ces hors-champs et dans ces coupes, il y a des choses qui se passent. Il ne faut pas prendre le spectateur pour un con. Je ne pense pas qu’on ait besoin d’avoir un début, un milieu et une fin à chaque action. Je trouve ma structure.

Comment voyez-vous la carrière de votre film, notamment avec ce passage à Namur ?

Quand on a déjà été sélectionné à Cannes, c’était une belle surprise. On y a eu un prix et ça a permis à chaque fois une meilleure visibilité au film. J’ai vraiment envie de redorer le blason du cinéma belge et donner envie à monsieur et madame tout le monde de découvrir un cinéma qui est proche de lui. C’est vrai qu’à chaque fois qu’on a une sélection en festival ou un petit prix, cela permet une visibilité. Ce sont des petites vaguelettes qui vont nous amener jusqu’à la sortie du film. Je pense que tout ce bouche-à-oreille permet d’exister et de trouver un public à sa sortie. C’est ce qu’on espère en tout cas.

Quel est votre regard sur cette nouvelle vague de talents belges dont vous faites partie ?

Je trouve ça très bien. Il y a différents styles, différentes voix. Le paysage est beaucoup plus diversifié qu’avant. On n’y est pas encore mais il y a plus de femmes réalisatrices et plus de gens issus de minorités, ça fait du bien. Je pense que le cinéma commence à refléter un peu plus la population et c’est primordial. Après, je trouve aussi que la Flandre a un peu plus un Star System mettant plus à l’honneur les cinéastes mais aussi les acteurs et actrices et j’espère que la Belgique francophone va suivre un peu plus ce mouvement-là, de rencontrer un peu plus notre public. Je suis toujours très contente de faire des journées presse car c’est le devoir des médias de nous laisser un peu de place aussi et de permettre aux gens de nous découvrir.

Merci à Heidi Vermander de Cinéart ainsi qu’à l’équipe du FIFF pour cet entretien.