Une des réussites du premier long-métrage de Céline Rouzet, « En attendant la nuit », est le jeu de son acteur principal, Mathias Legoût Hammond. Pour son premier rôle, le jeune homme parvient à briller dans une prestation plus fragile qu’il n’y paraît. Sa venue à Bruxelles nous a donc permis de discuter avec une personnalité à suivre.

Comment êtes-vous arrivé sur le projet « En attendant la nuit » ?

Très naturellement en fait. Je ne sais pas par où commencer… J’ai passé un casting, naturellement. Mes parents ne sont pas du tout dans la sphère culturelle en fait. J’ai eu de la chance car je ne savais pas comment faire pour intégrer le milieu. Il y a les écoles mais c’était difficile de convaincre mes parents de faire une école de cinéma. Ce n’est pas le truc le plus fiable au monde pour eux. Je me suis demandé comment faire pour trouver des castings et un agent quand, par hasard, je suis tombé une fille qui est dans une petite agence de Paris. Elle m’a dit d’envoyer un mail car on ne sait jamais. Je n’ai jamais fait de théâtre ni rien donc c’était un peu au culot. J’ai rencontré l’agent qui m’a fait passer des essais et, un an et demi plus tard, en 2020, j’ai passé le casting pour le film de Céline avec une directrice de casting, Adélaïde Mauvernay. Après, il y a eu la pandémie avec un premier confinement donc j’ai dû attendre pour être rappelé. Ce fut vraiment le plus normal possible !

Et est-ce qu’il y avait une certaine appréhension pour ce premier rôle, qui est quand même un rôle principal très exigeant ?

Après, la particularité, c’est que c’est le premier mail que j’ai reçu où il y avait une note d’intention en pièce jointe, les raisons qui poussaient Céline à faire ce film, son histoire personnelle, donc j’avais déjà plein d’indications. Alors que la plupart des projets peuvent paraître étrangers, celui-là m’a permis de savoir directement qui était le personnage tel qu’elle le racontait et me le décrivait. Il fallait juste m’abandonner à la scène. La peur n’est donc pas venue à ce moment-là mais beaucoup plus tard, quand il s’agissait de tourner le film. J’ai attendu deux ans, on a tourné en juillet 2022. J’ai donc dû conserver quelque part en moi, psychologiquement et dans mes pensées, une espèce de mal-être, ce que j’avais construit de ce personnage et dressé de son portrait. Par rapport à la peur, j’étais intimidé par le fait de jouer devant 40 personnes. C’est très abstrait en fait. Il y avait Élodie Bouchez, qui a une immense carrière. Tout le monde avait déjà joué excepté la petite sœur et moi ! C’était assez marrant ! Céline, c’était son premier film de fiction aussi, donc on était un peu à trois dans une nouvelle aventure. J’étais assez intimidé quand même. Une semaine avant le tournage, j’ai failli envoyer un mail pour dire que je ne saurais pas jouer. Il y avait quand même des scènes difficiles. Le faire dans sa chambre, en s’y projetant, de manière engagée, c’est une chose, le faire devant 40 personnes avec une caméra au plus près de vous, c’est autre chose. Ça m’a impressionné mais j’ai été bien accompagné donc ça a été.

Par rapport à votre personnage, comment approcher ce qui pourrait s’apparenter à une figure connue mais dans cet ancrage du réel qui fait pour moi la force du film ?

Je suis hyper d’accord. Après, je ne l’ai pas abordé comme un vampire. Je voulais me débarrasser très vite de cela. Je connaissais évidemment les références qu’avait Céline, il fallait parler de tout ça. Elle avait fait tout son travail, elle avait revu tout ce qui a été fait de « Dracula » à « Entretien avec un vampire ». Je me suis dit que la différence de ce gars-là, sa condition, ressemble à celle d’un vampire mais ce n’est pas ça qui allait permettre de m’identifier. Comment le faire avec quelqu’un de la sorte  quand je le comprends d’une autre façon ? Je me suis donc séparé du vampire pour m’attaquer à sa monstruosité, son étrangeté, plus vers des films comme « Edward aux mains d’argent », « Donnie Darko », « À bout de course » mais pour la conservation du secret, la façon dont il se révèle à sa copine, etc… Il y avait aussi « Swedish love story » pour l’histoire d’amour, la radicalité dans les sentiments quand on est jeune et qu’on découvre pour la première fois quelque chose. Il fallait identifier des dominantes : son étrangeté, son rapport au monde, …  Je me suis aussi dit que si je comprenais son regard et sa façon de voir les choses et les gens, j’allais comprendre à 50 % ce qu’il est. Je crois qu’on a tous des espèces de sentiments dominants. Il fallait trouver les siens. Il a une grande tristesse, une grande incompréhension, une grande colère, … Il ne comprend pas pourquoi il est ce qu’il est. Il a sa famille mais il n’a pas de semblables, de personnes comme lui. Il y a aussi une espèce de pureté. Je dis vraiment ce que je vois en lui et ce que j’ai creusé pour aller dans sa peau. Mais donc, s’il y avait un lien à faire avec sa monstruosité, c’est son animalité. Il fallait trouver quelque chose proche d’une rage qu’on ne contrôle pas car qui dit animal dit imprévisibilité. Il fallait aussi trouver quelque chose d’inquiétant, un regard qui vrille ou autre. Je pars dans beaucoup d’endroits car il fallait réunir beaucoup de choses pour y arriver, comme une grande détresse aussi. Il a besoin d’être aimé doublement. C’est très bien d’être aimé par sa famille mais vient un moment où on s’expatrie dans le monde du réel et on reçoit des potes, on cherche à être considéré par d’autres gens, et lui le ressent triplement. Cela se mêle aussi à l’adolescence avec ce bouillonnement des hormones.

Comment décririez-vous le travail avec Céline Rouzet ?

On s’est rencontrés lors du callback, quand on m’a rappelé pour passer d’autres essais. Je savais qu’elle était journaliste avant. J’étais curieux de son parcours : quand elle me disait qu’elle était partie 10 ans en Papouasie Nouvelle-Guinée pour son documentaire, je me suis dit qu’elle avait dû vivre tout un tas de choses. On a vraiment appris à s’apprivoiser et à se connaître. J’ai eu un mois de coaching pour sonder l’histoire et ça nous a servi à faire des références aux communs, aux références musicales et au rapport au cinéma, de parler de choses pour pouvoir justement se connaître. Sans le savoir, on se donnait confiance l’un à l’autre. J’avais une confiance aveugle en son regard et je crois que c’est une vraie championne pour moi. Elle est très talentueuse, d’une subtilité incroyable, très intelligente et d’une profondeur qui me touche beaucoup. Elle a aussi de vraies idées de mises en scène, elle dirige incroyablement bien. Elle sait ce qu’elle veut. Je crois que c’est une qualité qui revient souvent chez les metteurs et metteuses en scène. Moi, c’était mon premier film donc j’ai découvert tout ça par elle. Elle sait ce qu’elle veut faire, elle a une vision qu’elle essaie de faire ressentir et je crois que c’est pour ça qu’on s’est hyper bien entendus. On n’a pas vraiment eu de tensions sur le plateau. Ça m’a aidé grandement à cerner le poids qu’avait cette histoire dans sa vie et ce qu’elle voulait retranscrire. On s’est concentrés là-dessus tout en parlant aussi de ce qu’on vient de discuter ensemble juste elle et moi : la colère contenue, le désespoir, son désir inconscient de l’amour et la mort, les liens avec la famille, … On a vraiment tout parcouru et c’est une période de préparation que j’ai adorée car j’avais quelqu’un qui était une espèce de confidente. Vu que c’était son premier film de fiction, je savais que j’avais quelqu’un à qui je pouvais dire exactement ce que je voulais. C’est important d’avoir cela. Je suis très fier de ce qu’elle fait.

Merci à Jean-François Pluijgers et à l’équipe du BRIFF pour cet entretien.