Il m’est arrivé une histoire assez singulière en regardant pour la première fois (pensais-je) Trauma de Dario Argento en ce mois d’octobre 2024. Une histoire personnelle et cinéphile que j’ai envie de vous partager, ami(e)s et abonné(e)s amoureux/ses du Septième Art ! J’ai pu obtenir le sublime coffret Blu-ray édité par Extralucid Films, qui propose une version remasterisée du film à l’occasion de la rétrospective consacrée au Maitre du frisson par la Cinémathèque Française en 2022.
Je lance donc le film, me régalant d’avance de visionner un Argento encore jamais vu, même si celui-ci ne jouit pas forcément d’une réputation extraordinaire. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le modus operandi très singulier du meurtrier : il décapite ses victimes à l’aide d’un fil métallique qui se resserre autour du cou.. Puis, lorsque l’outil de malheur tombera en panne après quelques exécutions bien sanglantes, l’assassin n’hésitera pas à recourir à son environnement pour parvenir à ses fins, utilisant un ascenseur comme guillotine (totalement culte).
Ces images avaient marqué ma rétine de jeune spectateur et causé un véritable trauma (c’est le cas de le dire). J’avais 8-10 ans et, comment est-ce possible, j’avais vu ce film à la télévision avec ma grand-mère. J’en avais fait des cauchemars pendant des mois, cette boucle métallique se resserrant inéluctablement jusqu’à trancher le cou des victimes, cette exécution abominable à l’aide d’un ascenseur, la tête du pauvre décapité continuant à crier jusqu’à sa chute quelques étages plus bas !
J’avais donc vu Trauma, il y a une vingtaine d’années, et je l’avais occulté de ma mémoire. Un postulat qui n’est pas sans rappeler les scenarii d’Argento lui-même, qu’en pensez-vous ?
D’évidents défauts dont on ne peut pas faire abstraction
L’aventure américaine de Dario Argento a laissé un goût amer. Éreinté injustement par la critique avant même sa sortie en salles, notamment en France, les spectateurs ont longtemps boudé ce film considéré comme un giallo-téléfilm à grand budget sans âme, un pastiche paresseux des chefs d’œuvre d’un artiste désormais maudit.
Trauma souffre de profonds défauts dont je ne vais pas faire une liste exhaustive, mais il ne faut pas les oublier pour comprendre le film dans son ensemble, Jean-Baptiste Thoret le dit lui-même dans les bonus, et croyez- moi, il faut toujours prêter une oreille à Thoret lorsqu’il parle d’Argento. La volonté du cinéaste de s’exporter aux USA est malheureusement chimérique, l’auteur n’arrivant jamais à se défaire de ses influences européennes, aboutissant à un pêle-mêle parfois indigeste entre culture américaine, références à l’histoire européenne, incursions gothiques chères à l’auteur…
Il faut mentionner aussi l’exploitation problématique d’Asia Argento par son père, entre regard bienveillant et sexualisation de l’actrice alors adolescente (17 ans lors du tournage). Restent à mentionner une bande-son pop-rock datée et un poil ringarde ainsi qu’un léger manque de rythme par moments. Enfin, on ne peut que déplorer la laideur des lieux choisis pour le tournage (Minneapolis et ses environs), alors qu’Argento n’avait pas son pareil pour choisir des endroits lugubres et insolites notamment à Rome et Turin.
Un long-métrage maudit, dérangé et poétique
Le casting a comme d’habitude une importance capitale chez Argento. Pour la première fois, il offre le premier rôle à sa fille Asia, qui délivre une prestation subtile, oscillant en permanence entre la fragilité et douceur malsaine. Elle interprète une jeune fille anorexique de 16 ans, problématique qu’elle connaissait bien puisque sa demi-sœur Anna Ceroli souffrait de cette maladie. A ses côtés, Christopher Rydell joue parfaitement le bellâtre peu charismatique mais déterminé (un personnage cher à Argento tout au long de sa filmographie), tandis que les légendes Frederic Forrest, Brad Dourif et Piper Laurie livrent des prestations inoubliables.
Malgré ses défauts, Trauma est un film d’une beauté toute Argentienne, le réalisateur racontant comme personne la maladie mentale, dont il cherche toujours l’origine et développe les tragiques conséquences. Les scènes de meurtre sont délicieusement gores et inventives, Argento n’ayant pas son pareil pour transmettre au spectateur un mélange d’attirance et de répulsion. Oui, on se met les mains devant les yeux mais on écarte suffisamment les doigts pour assister au massacre ! Quelques impulsions oniriques à mi-chemin entre le rêve et la réalité sont tout à fait mémorables, comme dans cette scène où la jeune protagoniste est droguée contre son gré par son inquiétant psychiatre. Enfin, il ne faut pas laisser de côté l’inoubliable séance de spiritisme menée par une Piper Laurie hallucinée.
La maladie mentale, l’inconscient et le trauma : des sujets omniprésents dans l’œuvre du Maestro
Le traumatisme enfoui est souvent le point de départ de ses films, il en a fait sa spécialité. L’exemple le plus frappant est évidemment Profondo Rosso, dont Trauma a été maintes fois accusé d’être un pâle remake américanisé. Il ne faudrait surtout pas dévoiler la trame de Profondo Rosso à ceux qui ne l’ont pas encore découvert (quelle chance ils ont, ces bienheureux !). Dans les deux films, on retrouve une thématique primordiale chère au cinéaste, celle d’une image imprimée sur la rétine d’un personnage à son insu. Ainsi, Marcus (David Hemmings dans Profondo Rosso) passe une bonne partie du film avec l’idée lancinante qu’il a vu quelque chose d’inexplicable, une anomalie lancinante qu’il n’aurait pas dû voir, la clé de l’énigme qui est entre ses mains, une illusion d’optique enfouie dans son inconscient. On retrouve cette obsession dans Trauma, jusqu’au dénouement final, absolument terrifiant et délicieusement traumatisant, point d’orgue d’un film inégal mais qu’il serait fort dommage de négliger en cédant à l’idée répandue qu’il a marqué le début de la déliquescence de Dario Argento.
Trauma, de Dario Argento, sorti en 1993. Réédition par Extralucid Films en décembre 2022 (coffret 2 Blu-ray + livret), malheureusement épuisée.