« La venue de l’avenir » permet à Cédric Klapisch de retrouver un casting choral afin de traiter des résonnances de l’avenir et de notre besoin de connexion, aussi bien avec le passé qu’avec les autres. Nous ne pouvions donc qu’être ravi d’échanger avec le réalisateur au vu de ce joli dernier long-métrage.
D’où est né « La venue de l’avenir » ?
C’est vraiment venu de l’envie de faire un film d’époque, ce que je désirais faire depuis longtemps. Disons que j’attendais le moment où je pourrais le faire. J’ai senti que c’était le bon moment pour faire ça. J’avais envie de parler de cette époque-là, ce qui était intuitif au début car j‘ai toujours bien aimé cette période. Mais, en ayant travaillé sur le film, je me rends compte à la post-production la façon dont le film raconte un face à face entre notre époque et 1885. Je vois beaucoup d’échos et de correspondances entre ces deux époques. Je pense que c’est une des raisons qui m’a poussé à en parler.
J’aime justement cette résonnance entre les deux périodes, les évolutions de sociétés et cette idée de cycle qui se répète. Comment cela s’est déroulé à l’écriture, trouver l’équilibre entre ces résonnances sans que ça ne fasse trop « clin d’œil » ?
C’est venu dans le cours de l’écriture, notamment avec des blagues comme celle sur les années 70 où « on était tous un peu fous ». Le personnage parle de 1870 tandis que nous pouvons dire la même chose sur 1970. Quand quelqu’un parle du cinématographe en se demandant son utilité, forcément, des choses comme ça sont signifiantes car je me souviens que mon père, quand il a acheté un des premiers Apple dans les années 80, je lui avais demandé très naïvement à quoi cela allait servir. Quand je vois maintenant qu’à 40, 50 ans de distance, qu’on ne peut plus poser la même question car notre monde tourne autour des ordinateurs, cette question n’a plus aucun sens. C’est le fait de mettre en perspective des choses très simples car, selon le moment où on pose une question, il y a cet écho dont on parlait. Il y avait déjà beaucoup d’inventions techniques à la fin du 19ème et il y en a encore beaucoup aujourd’hui. On a un smartphone depuis à peine 15 ans. C’est fou quand on se dit que le premier iPhone existe depuis peu de temps et qu’on voit sa place maintenant avec les réseaux sociaux, Google Maps, tout ce qui est devenu un objet usuel aujourd’hui, c’est intéressant de comparer les deux époques.

Cette réponse se trouve aussi dans cette idée de démarrer et clôturer dans le même décor. Était-ce également pour prolonger cette idée de réponses ?
Bien sûr ! Au début, on est dans le monde Instagram et des réseaux sociaux où une toile n’est qu’une couleur de fond pour des gens faisant de la mode alors que dans la dernière scène, sans spoiler, on vient regarder autre chose ! (rires) Cette salle de musée n’est pas là pour servir de fond de photos de mode mais pour regarder le passé, ce qu’on a hérité de celui-ci. C’était donc important de commencer et terminer là. On peut voir que, pour le personnage principal, quelque chose s’est passé entre ces deux scènes, qu’il a compris quelque chose.
Une des choses m’ayant le plus touché dans ce film est ce besoin de connexion, aussi bien à ce passé qu’à la famille. Vous-même, comment vous placez-vous face à ces thématiques aussi intimes qu’universelles ?
C’est intime et en même temps… Vous savez, quand on parle du film et qu’on me dit qu’il faut aller dans les musées ou que la famille est importante, ça peut donner des phrases ridicules. Ça paraît complètement niais. Le seul truc, c’est que, pour toutes les personnes ayant fait de la psychanalyse, le fait de se pencher sur son passé, sur son enfance, sur ses parents, sur son origine, c’est une évidence qu’on règle des problèmes du présent en revenant sur son passé. C’est vrai aussi pour les artistes car on doit connaître l’histoire de l’art. Quand on est peintre d’avant-garde, on a intérêt à connaître la renaissance et les œuvres du passé. C’est le même truc dans le film, pas juste pour faire la publicité du monde d’avant en disant que c’était plus beau car on allait dans les musées. C’est vraiment pour dire qu’il y a un travail à toujours faire qu’on ne peut pas s’occuper du présent sans connaître et interroger le passé. C’est vrai dans un rapport intime ou pour un homme politique qui ne connaît pas la deuxième guerre mondiale et fait donc des erreurs sans ces connaissances. C’est juste rappeler cette espèce de palissade.

Pour rester dans le passé, comment s’est déroulée la reconstruction du Paris d’avant ainsi que la maison d’Adèle ?
C’était très compliqué. Il y avait d’une part l’histoire de la maison d’Adèle. Il fallait qu’on trouve un intérieur, un extérieur, une localisation, l’état de la maison en 1885 quand Adèle y habite mais également en 2025 quand les gens la découvrent sachant qu’elle a été abandonnée en 1944. Il y a donc plein d’étapes de décoration dans la maison et c’est pareil concernant la représentation d’époque de la Normandie ainsi que de Paris. Et puis, comment fabriquer ça ? Bien sûr, on peut faire beaucoup de choses aujourd’hui avec les trucages numériques mais ça prend du temps. Le travail créatif a été beaucoup nourri par des photos réelles d’époque. Là, on essaie vraiment de copier en regardant la photographie qui existe et en se demandant comment on peut recréer ça avec les moyens dont on dispose.
Vous rassemblez un énorme casting que je ne vais pas citer. Comment travaillez-vous avec les acteurs pour qu’ils conservent leur « style » tout en étant au service du personnage ? Je pense par exemple à Vincent Macaigne qui a ce charme présent dans tous ses rôles mais qui parvient à se réorienter autrement tout en restant proche de lui-même.
Je me pose la même question que vous ! Je trouve que Vincent évolue beaucoup dans ses rôles en ce moment et qu’il a effectivement un charme en ayant une espèce de complexité car il peut être rebelle, râleur, très doux, drôle, … Le personnage qu’il fabrique avec toutes ces facettes différentes devient rapidement assez attachant. Là, dans l’histoire qu’on raconte et dans le rapprochement qu’il a avec sa cousine, ce sont deux personnages très très différents au début et qui arrivent à trouver une complicité. Ça, c’est lié aussi bien au talent de Julia Piaton que de Vincent Macaigne et c’est pour ça que j’en suis fan.

Je pense aussi à ce tournage de clip avec Pomme et cette façon dont sa chanson résonne avec les enjeux du film.
En fait, c’est une chanson qu’elle chantait en anglais. Je l’avais vue sur son Instagram pendant le confinement et elle improvisait des airs sur sa guitare. Quand je l’ai rencontrée, je lui ai demandé si elle pouvait reprendre cette mélodie avant de faire des paroles en français. On a travaillé un peu ensemble pour coller à l’histoire du film afin que certaines phrases fassent écho mais c’est vraiment cet air de musique qu’elle a et qu’elle a reproduit. Et puis, la voix de Pomme est folle. Je voulais quelqu’un qui ait cette voix extraordinaire, qui a juste besoin de jouer de sa guitare sur une chanson toute simple et d’en faire quelque chose de magnifique. C’est à la fois simple et grandiose, un mélange qu’elle arrive à faire elle et qui est pour moi la définition de l’art et qui fait que certaines personnes sont exceptionnelles.
Vous parliez dans un entretien de vouloir reproduire ce style impressionniste dans la mise en scène. Est-ce que vous sauriez développer un peu plus cette intention ?
En fait, plus je me suis renseigné sur l’impressionnisme, plus j’ai vu des liens avec la Nouvelle Vague française. Monet a appris à peindre dans la nature en Normandie avec Boudin, ils se sont lancés en extérieur car on venait d’inventer le tube de couleur avec un petit capuchon qui se dévissait et où le tube en étain a fait en sorte qu’on n’était plus obligés de travailler le pigment dans les ateliers. On pouvait emmener ces couleurs en extérieur, ce qui a été une révolution en peinture sur une révolution technologique. Ça a poussé les peintres à dessiner en extérieur. Monet a emmené ainsi Renoir dehors, avec l’envie d’aller dans les forêts et la nature, c’est vraiment né à ce moment-là. Quand je parlais du rapport à la Nouvelle Vague, il y a eu de nouvelles pellicules, des caméras plus légères permettant de tourner en extérieur et ça a poussé les réalisateurs à sortir des studios comme les peintres sont sortis de leurs ateliers. Delacroix ne peignait qu’en atelier et ne sortait que pour faire des croquis qu’il allait reproduire dans son atelier. Il y a vraiment un changement radical de la peinture car il y a une velléité de liberté, notamment car les jeunes prennent le contrôle. C’est aussi la raison de ce Salon des Impressionnistes en 1874 où il y a un grand changement de génération. Les jeunes s’appellent Degas, Cézanne, Berte Morizot, … C’est fou de voir tous ces gens devenir ultra connus alors qu’ils étaient à l’époque bannis des milieux artistiques où on leur refusait une place. Donc c’est vraiment assez proche de ce qui s’est passé avec la Nouvelle Vague où beaucoup de jeunes réalisateurs révolutionnent le cinéma.

C’est à se demander quelle serait la Nouvelle Nouvelle Vague actuellement.
Moi j’y crois. On a de nouvelles techniques. Ce qui change aussi beaucoup actuellement, c’est la présence des femmes. Jusqu’à présent, il y avait peu de femmes réalisatrices alors qu’il y a toute une arrivée de réalisatrices en ce moment, ce qui fait beaucoup de bien au cinéma.
Est-ce qu’il y a des noms que vous auriez envie de mettre en avant justement ?
Je vais parler de ma femme, Lola Doillon en premier car elle vient tout juste de sortir un film, « Différente » ! (rires) Sinon, il y a eu récemment « Vingt dieux » de Louise Courvoisier. Là, je viens de voir le film d’Amélie Bonin (« Partir un jour »), il y avait un film de Rebecca Zlotowski à Cannes (« Vie privée »), … Il y a plein de réalisatrices qui poussent les frontières de quoi parler et apportent des regards différents, ce qui est intéressant.
Alerte spoiler !
En parlant de « pousser les frontières », il y a cette séquence dans le film qui réunit personnages contemporains avec figures du passé. Était-ce important pour vous d’avoir pareille scène qui détruit les limites du temps pour un instant ?
Complétement ! Le but était de jouer avec le temps, quand on parle de la ligne temporelle entre passé, présent et futur, de se dire que le futur est le passé d’un futur plus lointain ou quand on constate qu’on est le futur des gens du passé. L’idée était vraiment de s’amuser avec tous ces trucs temporels.
Fin du spoiler
Enfin, y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir avant de conclure cet entretien ?
J’ai eu un dialogue avec quelqu’un qui m’a contacté sur Instagram et qui a mentionné un truc que j’étais étonné que personne n’ait relevé sur le fait qu’Adèle va à Paris pour rencontrer sa mère et que, quand elle le fait, il y a une déconvenue. Je ne vais pas spoiler mais elle est déçue de découvrir sa mère et ce qu’elle fait. En fait, elle va faire un travail sur elle pour retourner voir sa mère et l’accepter telle qu’elle est. C’est le moteur narratif ou affectif du film. Cette fille était très touchée par cette histoire-là et, grosso modo, l’héroïne va dépasser ses préjugés et accepter sa mère qui n’est pas celle qu’elle aurait aimée. Je trouve que c’est une très jolie lecture d’apprendre à aimer et accepter les gens tels qu’ils sont, même s’ils ne correspondent pas à ce qu’on attend d’eux.
Merci à Marie-France Dupagne pour l’organisation de l’interview ainsi qu’à Heidi Vermander de Cinéart.