A l’occasion de la tournée d’Avatar pour promouvoir l’album Avatar Country, sorti en 2018, j’ai pu interviewer Johannes Eckerström, chanteur du groupe. C’est dans une petite salle, confortablement assis dans un canapé, qu’il m’a parlé du dernier album, du processus créatif du groupe, et de leur personnalité.
Propos recueillis et traduits par Brice Losson.
Brice : Est-ce que tu peux parler du concept de votre nouvel album à nos lecteurs ?
Johannes : Tu veux parler de « Avatar Country »? C’est un vieil album maintenant, ça fait un an qu’il est sorti. En fait, il était tout simplement temps dévoiler au monde la vérité sur notre roi et notre nation. C’est une version très courte de l’histoire. La session d’enregistrement de l’album a été la plus courte de notre carrière.
Brice : Vraiment?
Johannes : Oui. Nous ne voulions pas faire deux albums concept à la suite parce que c’était quelque chose qui semblait compliqué à faire et dont on ne savait rien, et c’est pour ça qu’on voulait le faire, on voulait un défi. Et bien sûr, en faisant ça, on a appris beaucoup de chose, pas que sur la manière de faire un album concept, mais également sur le fait de traiter un album comme un tout, et sur ce que tu veux essayer de faire en l’enregistrant. Bien sûr, on peut avoir quelques thèmes qui lient les chansons sans pour autant que ce soit un album concept, la plupart des bons albums sont comme ça. Après avoir enregistré un album concept, on voulait faire quelque chose de différent, et « Avatar Country » est un album très différent de ce qu’on a déjà fait et ce qu’on fera plus tard. Tu dois juste écouter ta muse quand elle te parle, et c’est ce qu’on a fait. C’est pour ça que c’est devenu un album concept, et ça a été l’occasion de faire ce genre de heavy metal où tu lèves ton épée en écoutant le disque. Tu vois ce que je veux dire ?
Brice: Ouais.
Johannes : Tout le groupe, et moi en particulier, avons des racines dans le heavy metal. Mais moi plus que les autres je pense. Je suis devenu un metalleux grâce à Blind Guardian, Helloween, Rhapsody … Tous ces groupes qui utilisent la double grosse caisse étaient mon point de départ.
Brice : Donc tes racines se situent plus dans le power metal et le heavy metal?
Johannes : Exactement. Beaucoup de ces chansons sont toujours aussi efficaces aujourd’hui selon moi qu’elles ne l’étaient avant. Helloween est toujours incroyable et Judas Priest est l’un de mes groupes favoris. Le thème du dernier album nous a permis d’avoir cette ambiance plus légère, plus positive. Je ne dirais pas que nous sommes comme ça la plupart du temps en tant qu’auteurs, compositeurs, en tant que groupe en fait. Mais dans en enregistrant, c’est comme ça qu’on était.
Brice : J’étais d’ailleurs plutôt surpris parce que l’album est plus joyeux, plus heavy metal que vos albums précédents. Certaines chansons comme « The King Welcomes You To Avatar Country » sonnent peu comme du AC/DC. Est-ce que le groupe a été une de vos influences pour cette chanson?
Johannes: Oui, la plupart d’entre nous sont de grands fans d’AC/DC. C’est bien que tu parles de cette chanson en particulier, car c’est celle pour laquelle j’ai écrit le riff. J’ai été inspiré par AC/DC, mais pas seulement, parce que ces dernières années, j’ai beaucoup écouté ZZ Top, et ils ont cet espèce de groove puissant. Il n’y a rien de fou là-dedans, ça fait « dum dum dum dum dum », mais c’est de là qu’une partie de l’inspiration est venue, combinée au fait que je voulais écrire une chanson en accords ouverts parce que j’avais pas mal écouté Seasick Steve. En plus je suis un grand fan de Devin Townsend. J’écoutais beaucoup tout ça en essayant de trouver l’inspiration avec cet accordage en particulier, et d’y ajouter un son heavy metal, comme ZZ Top. C’est ce genre de rock’n’roll que tu trouves chez AC/DC finalement.
Brice : C’est probablement ce qui rend la chanson si entraînante. Dans le clip de la chanson, on peut apercevoir des références à plusieurs groupes comme Iron Maiden, Motörehad…
Johannes : Oui, et aussi Slayer, AC/DC, beaucoup de Manowar. C’était l’un des intérêts de « Avatar Country ». C’est la révélation de ce qu’est Avatar Country et notre roi, mais c’est aussi une déclaration d’amour au heavy metal, et le clip de « The King Welcomes You to Avatar Country » est celui où on a pu le plus le montrer. L’idée était de montrer aux gens ce à quoi la vie ressemble à Avatar Country, ce à quoi les hôpitaux ressemblent, ce que font les gens dans leur vie de tous les jours. Du coup, c’était une occasion de rendre hommage à quelques groupes qui nous ont influencés, d’autant plus que ça collait à l’ambiance du morceau.
Brice : Pour le moment, vous avez trois clips pour l’album. Est-ce qu’il y en aura d’autres? Un pour chaque chanson?
Johannes : Je suppose que tu n’as pas entendu parlé de notre Kickstarter l’année dernière?
Brice : Non, je me tenais un peu plus loin des réseaux sociaux.
Johannes: Oui, on a fait un film complet pour cet album. On l’a financé via Kickstarter, en octobre si je ne me trompe pas. On avait demandé 50 000 dollars, et on en a reçu 118 000. Tout a été utilisé, pas de problème de ce côté. On a fait trois clips qui se suivent, et ensuite on a filmé le reste des chansons et quelques autres passages pour faire une histoire cohérente. Si tu regardes les trois clips pour le moment, tu as plus de questions que de réponses. Mais tout va être éclairci dans le court-métrage « Legend of Avatar Country ».
Brice : C’était compliqué d’organiser tout ce projet?
Johannes : Ça a été un putain de cauchemar. Et ce n’est même pas nous qui avons fait la majorité du travail. John, notre batteur, trouvait que c’était bien parce qu’enregistrer l’album a été assez simple. Il y a toujours un moment où tu restes bloqué sur une chanson, où tu dois te débrouiller, et discuter de son intérêt, mais globalement, l’enregistrement s’est fait sans problème. Du coup, il était reconnaissant d’avoir quelque chose de très très dur à faire, à savoir réaliser ce film. Ces 118 000 dollars, c’est une grosse somme d’argent que les gens nous ont donné pour nous aider à financer le projet, c’est incroyable. Mais en même temps, c’est tellement cher de tourner un film (rires) ! Les membres du groupes couraient partout pour ajuster les lumières et tout le reste. On a essayé d’économiser de l’argent par tous les moyens possibles sans lésiner sur la qualité pour autant. Du coup, quand on pouvait faire quelque chose nous-même, on le faisait. On avait une petite équipe, comme toujours quand on fait quoi que ce soit.
Brice : Au moins ça vous rapproche encore plus.
Johannes : Ouais, mais ça aurait été sympa d’avoir sa propre bande-annince et tout ça. Mais ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est le projet artistique Avatar, qui nous mène à faire pleins de choses différentes, et c’est tout ce qui compte.
Brice : Peut-être qu’on verra un jour « Avatar : le film » au cinéma.
Johannes : Totalement ! Pour le moment, je ne me sens pas prêt pour ça (rires). Mais je sais qu’on trouvera toujours de nouvelles idées complètement dingues parce que ça nous aide garder notre appétit créatif. Je me rappelle quand on avait ouvert pour Evergrey il y a plusieurs années, j’avais à peine 20 ans. On était interviewé dans un magazine suédois, et le journaliste avait dit « Ils ont encore cet appétit créatif », et on avait vingt ans, donc évidemment que c’était le cas. Et maintenant que je regarde en arrière, avec l’âge que j’ai aujourd’hui, je ressens encore cet appétit en moi, et je pense que ça nous aide … On se dit « Ouah, ça a l’air dur ! – Alors faisons-le ! ». Je pense qu’on en est encore au début en tant qu’artistes.
Brice : C’est ça qui vous fait faire des albums toujours plus fous?
Johannes : Je pense oui. Tout à l’heure tu parlais d’un film « Avatar », et je t’ai dit « pourquoi pas », mais ce qui est important, c’est qu’il commence et finisse en musique. Peu importe ce qu’on fera de dingue par la suite, la musique doit toujours rester notre priorité numéro 1. Toujours des riffs qui envoient et des bonnes chansons sur un bon album, et ensuite on voit ce qu’on peut en faire. Une comédie musicale, une collaboration, être le premier groupe à jouer sur a Lune, qui sait. Mais ça viendra toujours après la musique.
Brice : Crois-moi, vous avez définitivement des riffs qui envoient.
Johannes : Merci (rires).
Brice : Est-ce que le concept de « Avatar Country » était un projet de longue date, ou est-ce que ça vous est venu d’un coup?
Johannes : Si tu regardes le clip de « New Land » par exemple, il y a un drapeau de Avatar Country sur la Lune. Si tu regardes dans les livrets de nos anciens albums, il y a toujours un remerciement à « Kungen », ce qui signifie « roi » en suédois. On savait qu’on voulait le faire depuis un bon moment. Un jour on s’est dit « Allez, faisons-le maintenant! », et c’était moins d’un an avant la sortie de l’album, la conception, l’enregistrement, le mixage, les clips et tout ça.
Brice : C’est très rapide!
Johannes : Oh oui ! C’est dingue. C’était incroyable qu’on ait pu tout faire aussi vite, mais on ne se sent pas obligé de tout refaire aussi vite à nouveau. Faire tout aussi rapidement nous a apporté beaucoup de choses, notamment l’élément de surprise, parce qu’on a tout publié sans annoncer quoi que ce soit, sans dire à personne qu’on était en studio, et d’un coup, « BOOM », un nouveau clip. C’était cool. Mais maintenant, j’ai envie de faire l’inverse. J’ai envie de tenir les gens informés de ce qu’on fait. C’est toujours logique de faire le contraire de ce que tu viens de faire après un album.
Brice : Oui, comme un projet de trois-quatre ans par exemple.
Johannes : Oui, ou au moins plus de deux semaines en studio. C’est le temps qu’il nous a fallu pour enregistrer « Avatar Country ».
Brice : Je peux comprendre. C’est sûrement très éprouvant de tout enregistrer en deux semaines. J’aimerais revenir un peu sur les clips. On dirait que vous aimez vraiment jouer des personnages, ça se voit. Est-ce que tu dirais que vous faites la même chose sur scène? Est-ce que tu te considères comme une sorte d’acteur une fois sur scène?
Johannes : Oui et non, mais plutôt non. Oui, parce qu’une bonne partie de ce qu’on fait sur scène est théâtral. Mais je ne joue pas un personnage. Je reste moi-même, et c’est ce qui fait une grosse différence avec d’autres groupes. Par exemple, certains groupes ont ouverts pour nous pendant notre tournée américaine, et leur chanteurs ou chanteuses passaient beaucoup de temps à mettre du maquillage, tout comme moi. Mais ils font toujours semblant d’être quelqu’un d’autre. Dans notre cas ce côté théâtral est devenu une sorte de loupe sur nos personnalités. C’est un aspect de nous qui a toujours été là, mais qui a été amplifié. Du coup, c’est plus une sorte de « super-réalité ». Mais évidemment, quand tu fais des centaines de spectacles dans l’année, il y a forcément de la planification, une organisation pour faire le meilleur concert possible, et ça fait qu’il faut forcément jouer la comédie. Tu veux que ton public ressente certaines choses à des moments précis. Je veux que le public soit trépigne à ce moment là, avoir une séquence émotion là, et après une centaine de concerts, je sais qu’il y aura cette séquence émotion à ce moment précis, et on fait en sorte que ça se produise. C’est un entre deux. C’est marrant que tu poses cette question, parce que j’y réfléchissais juste avant. Quand tu dis aux gens que quelque chose sur scène est théâtral ou joué, dans leur tête, ça devient faux, moins réel. Mais si les gens pensent comme ça, ce n’est plus la peine d’aller voir des pièces de Shakespeare par exemple. Et maintenant que j’y ai pensé, je pense que j’accepte mieux le fait que ce soit aussi une représentation. Tu peux aussi voir ça sous un autre angle. Je suis trop vieux pour ça, mais j’aime toujours regarder le catch professionnel. Toutes ces superstars comme The Rock ou Stone Cold Steve Austin sont devenus des célébrités quand ils ont développé leurs personnages, qui sont des caricatures, des exagérations de leur vraie personnalité. Quand tu arrives à trouver un trait de personnalité en toi que tu parviens à l’amplifier, c’est à la fois un personnage, mais c’est aussi fondé sur la réalité, donc c’est une ligne très floue.
Brice : Donc au final tu dois trouver une sorte d’équilibre entre la comédie et la réalité.
Johannes : Exactement. Je joue la comédie, mais je ne fais jamais semblant.
Brice : Est-ce que tu penses que le fait de porter des costumes et du maquillage a changé votre manière de jouer pendant les concerts?
Johannes : Oui, ça a beaucoup changé. Une fois maquillé, les regards sont braqués sur toi, tu ne ressembles plus à n’importe qui. Être exposé à ce point, c’est comme se sentir tout nu sur scène. En fait, tu te laisses plus aller. C’était plus facile de se cacher derrière une veste en cuir, un T-shirt Judas Priest et de l’eye-liner sur scène que derrière un costume aussi élaboré.
Brice : Je m’en doute oui.
Johannes : Ça fait porter toute l’attention sur nous, et les gens attendent quelque chose de toi. Donc oui, ça a changé quelque chose.
Brice : Est-ce tu penses que vous abandonnerez vos costumes un jour, comme Kiss a pu le faire par exemple?
Johannes : Je ne pense pas, mais en réalité je n’en ai aucune idée. Ce n’est pas hors de question. Pour le moment, je pense que si ça marche bien, c’est parce qu’on reste nous-même derrière nos costumes, parce que notre musique reflète ce qu’on ressent, et par extension nos personnalités. Tout ça est très authentique. Mais si un jour ça ne l’est plus, alors il sera plus sain d’arrêter. Tout ce qui touche au visuel chez Avatar est une extension de notre musique. Comme j’ai dit, tout commence et finit avec la musique. Et si un jour, la musique fait qu’on a besoin d’un nouveau mode d’expression, il faudra être honnête avec nous-même. Mais je me sens loin d’avoir fini ce que nous faisons pour le moment. Je suis à chaque fois impatient de passer une nouvelle étape de ce voyage, et il y a tant de choses à faire que je ne pense pas avoir assez d’une seule vie pour tout faire, et donc de m’éloigner de ça avant de mourir. C’est ce que je ressens aujourd’hui.
Brice : Eh bien j’espère qu’on aura un bon paquet d’album comme Avatar Country avant que ça n’arrive.
Johannes : Oui, moi aussi. Mais ça ne ressemblera pas à Avatar Country.
Brice : Au moins aussi bon en tout cas.
Johannes : C’est ce qu’on essaye de faire dans tous les cas. Ne jamais écrire la même chanson deux fois, toujours trouver de nouveaux défis. On ne suit aucune formule stricte. La seule règle, c’est qu’il faut qu’il y ait de bons riffs et un bon groove.
Brice : C’est ce qu’on ressent en écoutant votre musique. Vous jouez ce genre de mix entre du metal industriel, du death metal, du heavy metal, une sorte de mélange de tous les genres, et vous repensez votre musique en permanence.
Johannes : Oui, tout à fait. D’une certaine manière, on trouve qu’on est mauvais, mais dans le bon sens. On veut apprendre quelque chose de nouveau à chaque fois, essayer quelque chose qu’on a jamais fait. Un des ingrédients secrets du metal, la clé de voute en quelque sorte, c’est l’intensité, et pour que la musique soit intense, il faut qu’elle soit intense physiquement. Pour faire ça, tu ne peux pas jouer ce que tu as toujours joué parce qu’à un moment, tu t’y habitues, et tu rentres dans une zone de confort. Il faut toujours trouver quelque chose de nouveau : jouer plus vite, crier plus fort, peu importe, ou au moins avoir cette intensité émotionnelle. Et je pense qu’on peut encore aller plus loin sur ce point avec les années, comme tous les artistes. Tu as beau ne pas être dans la même forme physique à soixante ans qu’à vingt ans, mais je pense qu’avec les années, en tant que parolier, tu peux t’inspirer de sources plus fortes émotionnellement parlant. J’ai l’impression que plus je vieillis, plus j’ose m’ouvrir en tant que parolier sur des sujets avec lesquels je ne me sens pas à l’aise, être sur le fil du rasoir, et je pense que ça se ressent dans notre musique.
Brice : Tu as déjà abordé des sujets plutôt délicats ou au moins sérieux, comme dans « Bloody Angel ». Est-ce que tu te sens à l’aise quand tu parles de sujets comme ça?
Johannes : Oui, de plus en plus avec les années. Je pense que l’une des clés de notre succès est que, quand on a enregistré l’album Black Waltz (celui sur lequel apparaît « Bloody Angel », NDLR), on s’est dit « ce sera notre dernier album ». On était dans une situation où on ne savait pas si on voulait ou si on pouvait continuer longtemps, mais on voulait sortir par la grande porte. Je me suis dit « grandis, et arrête de te soucier de ce que les gens pensent », et dans le metal, c’est l’une des clés du succès, parce que les metalleux cherchent l’honnêteté, la réalité des choses, c’est c’est pour ça que certains écoutent du (avec une voix grave) « true norvegian black metal ». On a une réaction émotionnelle authentique quand on écoute la musique qu’on aime, en particulier dans le monde du metal. On continue à écrire notre musique en pensant à ça. Faire ce qu’on veut, ça veut aussi dire être honnête avec nous-mêmes, et ça se ressent dans les paroles. J’imagine ça comme un oignon où j’enlève une couche à chaque fois. Il y a plus de couches que j’aurai de temps d’en éplucher dans ma vie, mais c’est la beauté de la chose. Une fois que tu as fini avec une des couches, avec quelque chose qui te mettait mal à l’aise, comme « Bloody Angel » qui parlait de la culpabilité et de la honte, tu as une chanson, tu te sens débarrassé.
Brice : Merci beaucoup Johannes, j’espère qu’on aura une autre occasion de refaire une interview.
Johannes : Merci à toi.