Les films proposant des personnages principaux atteints de pathologie psychiatrique contiennent souvent tous les ingrédients pour sortir des clous et foncer vers une originalité bien éloignée de la banalité usuelle des scénarios hollywoodiens. Ce n’est pas sans danger, car un personnage malade peut emmener un film dans des contrées tellement étranges que le film peut en pâtir. Dans ses meilleures déclinaisons, cette thématique force les réalisateurs à se baser sur des scénarios en béton et des acteurs en état de grâce, déjouant parfois leurs images habituelles pour les placer dans des contextes où ils peuvent et doivent se dépasser. De quoi emmener les spectateurs dans les recoins les plus reculés de l’esprit humain, de la logique et de la conception du monde qui nous entoure. Un film qui permet d’ouvrir très large son esprit et de se poser des questions, c’est un peu une sorte de nirvana. Et ceux qui parviennent à s’inscrire dans un courant très populaire, avec l’exemple type des films de superhéros avec le récent Joker, ou à mettre en scène un acteur habituellement très caricatural comme Brad Pitt dans un rôle à contre-emploi dans Fight Club, ce sont des sortes de performance. Attention, article avec spoilers!!!
Le film étalon: Fight Club
Le héros interprété par Ed Norton n’a pas de nom, peut-être s’appelle-t-il Jack? Il raconte son histoire, son manque de sommeil, son besoin irrépressible d’accumuler des biens matériels pour combler son vide existentiel mais il ne se présente jamais vraiment. Le spectateur ne connait ni son histoire, ni sa famille, ni rien de vraiment significatif sur sa vie hors de son profond désintérêt pour l’existence. Et puis Tyler Durden survient, rutilant, musclé, sexy, et anarchiste. Celui qui pourrait être un exemple parfait de l’état auquel le héros sans nom veut aboutir le conduit au contraire sur un chemin étrange de désolation et de destruction. Le film accumule les paradoxes temporels et scénaristiques, montrant surtout que le héros mystérieux se sent bien seul et rêverait surtout d’une belle histoire d’amour. Ah, les paradoxes de la schizophrénie…
Le cauchemar Take Shelter
Un père de famille perd pied petit à petit, pétrifié par la peur d’une imminente tornade qui pourrait lui enlever toute sa famille. Michael Shannon interprète avec maestria un personnage emporté par sa phobie maladive, sans qu’aucun proche ne puisse jamais lui apporter le réconfort dont il a besoin. La peur irrépressible des tornades peut s’apparenter à la peur du lendemain, la peur du déclassement ou bien même la peur de lui-même. En se cachant, il compte peut-être protéger les siens de ses excès maladifs de paranoïa. Qui sait.
Le sortilège Un homme d’exception
Un étudiant suprêmement intelligent se révèle enfermé en lui-même, revêtu d’une carapace qui le coupe de ses semblables. Il parvient tout de même à côtoyer d’autres êtres humains qui reviennent inlassablement le hanter dans son existence. Intelligent mais muré dans un système qui vient à l’étouffer et à le mettre en danger. Cette réalisation de Ron Howard interroge sur la capacité de chacun à voir le monde d’une manière similaire à celle de ses semblables. N’est-on pas chacun d’entre nous obnubilé par ses propres tendances, phobies ou fantasmes? Un film que chacun peut s’approprier devant le spectacle d’un Russell Crowe en plein naufrage.
Le choc Une femme sous influence
C’est à son épouse Gena Rowlands que le réalisateur John Cassavetes a proposé d’interpréter Mabel Longhetti, cette femme en pleine nervous breakdown car écrasée sous le poids des contraintes familiales et sociales. Elle dérive de plus en plus vers des comportements borderline qui font froid dans le dos, surtout que son mari ne sait pas comment agir pour la réconforter. Une sorte de film traumatique qui montre bien que n’importe qui peut être emporté dans une faille spatio-temporelle de laquelle il faut savoir ressortir.
L’ambiguité American Psycho
Un jeune financier riche à la vie confortable s’enfonce dans une spirale meurtrière pour assouvir ses instincts carnassiers. C’est du moins ce que la première lecture du film laisse à penser. Mais un certain nombre d’éléments font penser que tout ça n’est qu’un fantasme et que tout se passe dans sa tête. L’auteur Brett Easton Ellis a toujours clamé que la violence était surtout métaphorique et que son héros imaginait toutes ses exactions. Cette évocation de la chute dans la folie n’en est que plus perturbante.
L’énigme Joker
Le film Joker a fait beaucoup parler de lui. La tendance actuelle à vouloir revenir sur la génèse des superhéros et des super vilains permet d’inventer des histoires expliquant les raisons des avènements de personnages qui perdent en mythologie ce qu’ils gagnent en réalisme. Un quidam un peu perturbé glisse dans la folie meurtrière, y prenant gout et trouvant dans son comportement de vraies raisons de ne plus s’en faire. C’est un peu caricatural et simplet mais pas sans intérêt du fait de l’interprétation intense d’un Joaquin Phoenix habité, sans qu’on sache vraiment si le personnage est schizophrène, bipolaire ou paranoïaque… un peu de tout à la fois?
L’étrange Donnie Darko
Un adolescent vit au cœur de son imagination fertile, avec des personnages étranges et des comportements bizarres. Il s’invente une créature que lui seul peut voir et entendre, Franck. Jake Gyllenhaal donne une coloration inquiétante à son personnage, le spectateur sent qu’il peut glisser sur une pente fatale, par le biais d’évènements sur lesquels il n’a pas le contrôle. Un film qui évoque la richesse de la jeunesse, époque de tous les possibles.
L’intense et perturbant The Machinist
Un Christian Bâle décharné et pas très en forme voit sa vie dérailler au fur et à mesure que la fatigue le submerge, jusqu’à ne plus savoir qui il est et ce qu’il fait. La performance d’acteur est évidemment époustouflante, mais c’est aussi le malaise dégagé par l’existence de ce personnage qui reste à l’esprit après le visionnage. Car le spectateur a envie de lui dire de se reprendre en main. Mais l’esprit est ainsi fait, il provoque parfois cette envie de se laisser couler et de ne rien tenter pour l’empêcher. Bizarre, l’esprit humain…
La leçon Happiness Therapy
Deux personnages que la vie n’a pas épargné tentent de revenir à la surface. Tout l’intérêt de ce film est de montrer que tout ne se passe pas toujours comme prévu dans cette vie et qu’il est possible de se laisser tomber, de se sentir mal, pour se faire soigner et retrouver de nouvelles raisons d’avancer. Tomber et se relever, ce n’est pas condamnable, c’est la vie. Un bel enseignement dispensé par Hollywood, pour une fois.