Prélude

Don’t Worry Darling, c’est un film à propos duquel il y a eu un gros battage, sa promotion a été compliquée, entre les rumeurs sur le départ de Shia Labeouf du film, sachant qu’il devait incarner Jack avant que Harry Styles ne le remplace (deux versions s’opposent: Olivia Wilde assure avoir renvoyé Shia Labeouf apparemment à cause de son comportement douteux, tandis que Labeouf dit avoir quitté le projet de son propre chef), et des rumeurs sur des tensions entre Olivia Wilde et Florence Pugh, mais comme ce genre de ragots m’en touche une sans faire bouger l’autre, je suis allé voir le film non sans une grande curiosité.


Un scénario incomplet

Le scénario, co-écrit par Carey et Shane Van Dyke (les petits-fils de l’illustre Dick Van Dyke) est très complexe et très riche, ce qui est une bonne chose, nombreux sont les éléments qui composent l’intrigue et les détails, MAIS l’intrigue ne va pas jusqu’au bout. Que je vous remette dans le contexte, et je vais partir du principe que vous avez vu le film:

Alice, qui a pété un plomb devant l’incrédulité de son entourage et surtout devant le double-jeu de Frank, le patron de Jack (Chris Pine), sur ce qu’elle a vu (le crash d’avion et un suicide), s’apprête à s’enfuir de chez elle avec Jack, mais se fait choper par la sécu de Victory et emmener on-ne-sait-où, et là, premier plot twist:

Alice et Jack vivent en réalité dans le présent, et ils ont une vie pas fifou. Vu que Jack s’ennuie sans boulot et surtout sans Alice qui trime comme une mule, il s’est inscrit avec Alice à son insu au programme de Victory Project, et là, révélatioooooooon: le petit patelin californien rétro de Victory n’existe pas et est en fait un environnement virtuel dans lequel les couples s’enferment pour vivre une vie idéale loin de leurs quotidiens déprimants.

Retour dans le monde virtuel où Alice se fait laver le cerveau et retourne à Victory, et là, le film se répète (pas seulement l’histoire), c’est filmé presque exactement comme au début, Alice et Jack ont les mêmes vêtements qu’au début, Alice fait exactement les mêmes activités qu’au début, mais Alice se met à nouveau à vriller lorsqu’elle a des flashs qui montrent le réel (sa vie de merde, Jack qui s’est enfermé avec elle dans le monde virtuel), et c’est une fois que Jack rentre en plein milieu de l’après-midi que tout rebascule. Alice, poursuivie par la sécu, sort de la ville jusqu’au bâtiment qu’elle a vu au début, et puis on revoit les hallucinations qu’il y avait au début, et puis fin.

Oui, fin.

L’inconvénient des fins ouvertes

Comme je le disais, le film ne va pas jusqu’au bout de son déroulement. C’est évidemment un parti pris de faire se répéter le film, cependant on n’est pas si avancés que ça, puisqu’à la fin, on ne sait toujours rien autour du Victory Project, le rôle de Frank alors que c’est le patron de tous les hommes de la ville et qu’il se fait tuer par sa femme, ce qu’il y a dans le bâtiment qu’Alice va voir, bref, le film nous laisse sans réponse. Une fin ouverte dans un film, c’est très bien (comme dans Blade Runner et Inception, par exemple), ça stimule la curiosité et l’imagination du spectateur, mais il y a fin ouverte et fin ouverte! Certains diront qu’il est préférable de garder le secret afin d’éviter les déceptions dûes à des plot twists insatisfaisants et des pétards mouillés (coucou Incassable et Le Village de M. Night Shyamalan), mais il faut bien trouver un juste milieu, entre ne strictement rien dire alors qu’il serait temps de jouer franc jeu avec le public et faire des révélations douteuses à la M. Night Shyamalan (je le cite en exemple parce qu’il s’est fait une spécialité de complètement gâcher ses films suite au carton de Sixième Sens par des plot twists soit alambiqués soit mollassons, Incassable et Old étant les meilleurs exemples)!

J’avais songé au film de M. Night Shyamalan Le Village pour ajouter de l’eau au moulin de Don’t Worry Darling, MAIS les deux films cumulent trop de différences pour que l’un puisse prendre appui sur l’autre, d’ailleurs Le Village fait plutôt figure de contre-exemple:

-Dans Le Village, Ivy Walker (Bryce Dallas Howard) découvre à la fin qu’elle vit dans le présent et que son village est au cœur d’une grande propriété. On ne savait rien avant qu’elle ne passe la limite de la propriété et se retrouve dans le monde extérieur, alors la révélation est surprenante (enfin, c’est relatif, le twist est inattendu mais retombé comme un soufflé)!

-Dans Don’t Worry Darling, on entend parler du Victory Project puisque c’est le job des hommes de la ville de Victory, ensuite on a le gros twist au milieu du film, mais toujours rien de complet, on dirait que le film n’est pas fini et que la fin a été torchée sans explication. Ça peut sembler audacieux, mais c’est surtout imprudent, ça peut donner l’impression que les scénaristes avaient la flemme de trouver une conclusion, alors ils ont mis une fausse fin qui se la joue ouverte et mystérieuse, mais ça manque cruellement d’audace.

En somme, le scénario ressemble à un vinyle rayé qu’on a retiré du lecteur au bout de la deuxième lecture.

La mise en scène

La mise en scène d’Olivia Wilde est excellente, il y a un langage cinématographique au niveau visuel, certains plans sont soit dantesques (notamment au tout début lorsque les hommes partent travailler, toutes leurs voitures convergent vers le bâtiment vu par Alice dans une montagne dans le désert, ça m’a légèrement fait penser à du Mad Max Fury Road à l’envers) soit habilement construits (il y a un plan en particulier qui a retenu mon attention:

L’omniprésence des miroirs

Alice commence déjà à être un peu mal vue par son entourage pour ce qu’elle dit avoir vu, même Jack fait mine de ne pas la croire, et dans ce plan, Alice est au premier plan, nette, alors que Jack est en arrière-plan, flou. Ce plan montre la solitude mentale d’Alice, son éloignement par rapport à Jack et même, dans une certaine mesure, son éloignement de son utopie, son monde commence à se dissiper autour d’elle). De plus, les plans sont cadrés de façon méticuleuse, par exemple certains plans sont très symétriques, la symétrie des plans étant la métaphore de la perfection de l’utopie dans laquelle vit Alice, une vie bien propre et bien rangée (en plus, tous les pavillons et leurs murs sont peints en blanc, d’où la propreté). Quant aux hallucinations, il est impossible de donner des interprétations, tant elles sont de simples hallucinations, Alice n’en parle jamais, je ne suis même pas convaincu de leur dimension intradiégétique, elles font faire « Wouaaaaaah », alors qu’elles ne semblent pas apporter grand chose, on pourrait les remplacer par n’importe quelle image un peu lunaire, comme des Oompas-Loompas qui font de la natation synchronisée ou moi sous une pluie de M&M’s (Kamoulox!).

Il est également important de souligner un point crucial: les miroirs et les vitres sont omniprésents dans Don’t Worry Darling!

Les pavillons sont sertis de baies vitrées, la salle de bain d’Alice est ornée de miroirs à gogo, Alice prend des cours de danse classique, alors un des murs est entièrement comblé d’un miroir géant et quand Alice découvre le bâtiment (qui est presque intégralement vitré) au milieu du désert, elle regarde à travers une des vitres (non, on la voit à travers la vitre) avant que l’on enchaîne sur les hallucinations, etc.

Les miroirs sont très présents dans les œuvres de fiction (Alice de l’autre côté du miroir de Lewis Carroll en est l’exemple le plus flagrant, le miroir est le portail qui ramène Alice au pays des merveilles, pas très subtil mais qui va droit dans le mille), y compris au cinéma (Dans Prince des Ténèbres de John Carpenter, le miroir a une place importante puisqu’il y est décrit comme la séparation entre le bien et le mal), et même dans la littérature analytique et critique (Dans l’essai Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan Todorov, Todorov cite les miroirs en exemple comme un vecteur du fantastique).

La musique

En l’occurrence, dans Don’t Worry Darling, Alice est entourée de miroirs et de vitres. C’est un signe au spectateur qu’Alice vit dans un autre monde, qu’elle est enfermée dans un environnement factice, et d’ailleurs, la scène où Alice qui commence déjà à perdre pied dans son quotidien se retrouve coincé dans un couloir de sa maison qui se resserre, piégée entre le mur derrière elle et la vitre qu’elle nettoyait qui se plaque sur elle et qui se serre, serre, serre, au point qu’on entend des craquements (brrrr!), c’est la conscience d’Alice qui lui fait signe de se tirer de sa baraque et de ce monde trop parfait pour être vrai (c’est mon interprétation, vous en faites ce que vous voulez, elle n’est pas péremptoire)!

Les acteurs

La partition musicale du film n’a pas complètement retenu mon attention (même si j’ai été intrigué par certains sons, notamment des voix féminines), en revanche j’adore le choix des chansons complètement marquées 50’s, mais j’ai été complètement amusé par la présence de la chanson Sh-Boom de The Chords, puisque je la connais par sa présence dans le film d’animation Pixar Cars (on l’entend lorsque les habitants de Radiator Springs font revivre leur patelin avec Flash McQueen avant l’arrivée subite des journalistes et de Mack), alors entendre une chanson entendue dans un film d’animation pour enfants dans un film pour adultes, je trouve ça marrant (ça n’enlève rien à la pertinence de la présence de la chanson dans le film)!

Et puis vient le gros morceau: les acteurs! Florence Pugh est excellente dans le rôle d’Alice, qui est une sorte de double de Truman Burbank dans The Truman Show, le héros plongé dans une illusion qui se met à cerner progressivement les limites de l’illusion. D’ailleurs, le fait que le chauffeur de bus au début refuse de conduire Alice là où l’avion s’est écrasé parce qu’ »il faut rester en sûreté » n’est pas sans rappeler les obstacles factices mis en place pour empêcher Truman de sortir de la ville (route barrée par la police, faux incidents…).

Harry Styles m’a enfin convaincu qu’il est bon acteur (parce qu’au chant, il me fait autant d’effet qu’un mélodrame français, et parce qu’il fait juste un caméo à la fin des Éternels et qu’on ne peut pas juger son jeu d’acteur avec une minute de temps d’apparition), il se débrouille très bien dans le rôle de Jack (je regrette néanmoins que ce ne soit pas Shia Labeouf qui ait interprété Jack, j’aime beaucoup cet acteur)

Chris Pine (que tout le monde connaît pour la trilogie Star Trek de JJ Abrams et probablement pour Jack Ryan: Shadow Recruit de Kenneth Branagh) est génial dans le rôle de Frank, le directeur du Victory Project et même le grand manitou de la ville, qui joue double jeu avec Alice et son entourage, malheureusement son personnage est totalement sous-exploité puisqu’on ne le voit que pendant trois-quatre scènes, et encore, il se fait tuer comme une merde par sa femme, jouée par la charmante Gemma Chan (Sersi dans Les Éternels), sans que l’on sache pourquoi, ce qui remet en question son importance dans l’intrigue! Certains diront que c’est intelligemment inattendu, que si ça se trouve, ce n’est pas lui, le cerveau, mais si le film ne nous donne aucune clef ou bien nous donne des clefs qui ne mènent nulle part, c’est foutu, le spectateur moyen aura décroché, et Don’t Worry Darling est truffé de culs-de-sac de ce genre!

Olivia Wilde est une actrice pour laquelle j’ai beaucoup de sympathie depuis que je l’ai découverte dans Dr. House et dans le film Year One de Harold Ramis, ainsi je la connaissais pour des rôles plutôt « comiques », mais là, je suis scotché par sa performance, chapeau bas, cependant pour son personnage, pas très sympa de jouer l’incrédule avec Alice avant de lui avouer la vérité, à savoir le fait qu’elle est au courant qu’elles sont dans un monde virtuel.

Conclusion

Une intrigue intéressante mais incomplète et ornée d’éléments qui pour la plupart ne mènent nulle part, le tout porté par des acteurs talentueux et une mise en scène méticuleuse quoique perfectible dans ses idées, Don’t Worry Darling peine à réellement convaincre et échoue à se montrer réellement surprenant.

Synopsis: Alice (Florence Pugh) mène une vie plutôt gaie avec son mari Jack (Harry Styles) dans la petite ville de Victory dans les années 50: Alice entretient la maison et passe la journée avec sa voisine Bunny (Olivia Wilde) pendant que Bill, le mari de cette dernière, et Jack partent travailler à l’extérieur de la ville. Curieuse sur le « Projet Victory » sur lequel travaille Jack avec ses collègues dans la société dans laquelle il travaille, Alice commence à faire sa petite enquêter jusqu’à pointer son nez du côté d’un bâtiment mystérieux hors de la ville (ce qui lui fait voir des images hallucinatoires), faisant progressivement vaciller l’utopie bien huilée dans laquelle elle vit.