Marc Dugain s’attaque à une oeuvre maitresse du maitre Balzac, non sans y apporter quelques modifications pour transformer la naive et innocente jeune fille du roman en femme moderne et libérée. Le ton est obscur, sombre et à la limite du caricatural, le père d’Eugénie, Félix Grandet, interprété par le toujours impeccable Olivier Gourmet, semble parfois le personnage principal du film, inflexible et avare maladif, jusqu’à sacrifier sa femme et sa progéniture sur l’autel de sa fortune cachée. 1h45 est la durée idéale pour ne pas faire sombrer le spectateur dans l’ennui et mener à bien une histoire de libération de la femme.
Un classique de Balzac parfaitement adapté
L’adage veut que les meilleurs adaptations de roman sont celles qui les trahissent, de fait Marc Dugain s’en sort très honorablement. Les changements principaux ont trait aux rapports entre Eugénie et les hommes. Dans le livre, elle échange un baiser avec son cousin Charles, elle se donne à lui dans le film. Pareillement, elle épouse dans le livre le sinistre Bonfons Cruchot, président du tribunal de première instance à Saumur, elle se refuse obstinément à lui dans le film. Le réalisateur transforme la frêle brebis du livre en femme longtemps victime des hommes qui devient déterminée à assumer sa liberté une fois son géniteur trépassé. Et le point essentiel du film tient dans l’interprétation haute en couleur de Félix Grandet par Olivier Gourmet. Tenu à une vie ascétique faite de bouillons à souper et d’une austère maison si mal chauffée que tout le monde se revête de châles et de chandails, la petite famille subit quotidiennement une avarice des plus anxiogènes. Le pain est enfermé sous clé, l’intendante rudoyée jette un regard perpétuellement mauvais sur un maitre de maison qui se soucie plus du qu’en dira-t-on que du bonheur de sa famille. La perspective de devoir payer une dot en cas de mariage lui arrache lees boyaux, il préfère enfermer sa seule fille plutôt que de devoir débourser un centime. Et quand son frère ruiné lui envoie son neveu, c’est l’hallali, surtout qu’Eugénie et Charles se font la promesse de se retrouver, que la jeune fille lui cède toutes ses économies et qu’elle ne se départira jamais de la promesse de l’attendre. Le jeune homme sans le sou fait fortune dans les colonies et quelle n’est pas la surprise d’Eugénie de le savoir en instance de mariage. Sa réaction très moderne en fait une femme d’aujourd’hui, elle refuse toute alliance non souhaitée et préfère partir en voyage plutôt que de céder à l’attente populaire de la voir convoler. Dur à croire pour une histoire censée se dérouler dans la première moitié du XIXe siècle, le choix est audacieux. C’est la mode de réécrire l’histoire tel qu’elle se passait en la changeant en histoire tel qu’elle pourrait se passer aujourd’hui. Mais la falsification est tentante, seul doit rester dans l’esprit du spectateur un certain recul pour ne pas se laisser abuser à son corps défendant par une modernisation par trop antidatée.
Le film est sombre à souhait, les mines sont contrites, la vie est rude dans la bonne ville de Saumur. Balzac est adapté avec gout au prix de quelques renoncements sur l’autel de notre époque. Mais Honoré n’en aurait pas voulu à Dugain, il faut savoir vivre avec son temps!
Synopsis: Felix Grandet règne en maître dans sa modeste maison de Saumur où sa femme et sa fille Eugénie, mènent une existence sans distraction. D’une avarice extraordinaire, il ne voit pas d’un bon œil les beaux partis qui se pressent pour demander la main de sa fille. Rien ne doit entamer la fortune colossale qu’il cache à tous. L’arrivée soudaine du neveu de Grandet, un dandy parisien orphelin et ruiné, bouleverse la vie de la jeune fille. L’amour et la générosité d’Eugénie à l’égard de son cousin va plonger le Père Grandet dans une rage sans limite. Confronté à sa fille, il sera plus que jamais prêt à tout sacrifier sur l’autel du profit, même sa propre famille…