J’accuse évoque la célèbre affaire Dreyfus qui a divisé l’opinion publique française au tournant du XXe siècle. Machination ourdie par certains membres éminents de l’armée française, l’affaire a rapidement dépassée le cadre purement juridique pour devenir une affaire de religion et d’opinions personnelles. Le film est une magnifique reconstitution historique, tout depuis les décors jusqu’aux costumes en passant par les attitudes évoque une époque certes ancienne mais pas forcément différente de la notre. Tout le monde juge, tout le monde donne son avis, au risque de condamner sans preuves et de stigmatiser à l’envi.

Une affaire judiciaire clivante

La salle de cinéma était pleine de monde pour visionner un film, rien qu’un film, sans même penser une seule seconde à la controverse. J’accuse est un magnifique spectacle visuel car tout souligne les codes d’une époque, de l’honneur jusqu’à l’hypocrisie bien comprise. Les protagonistes principaux du film sont des militaires droits dans leurs bottes aux principes sévères et rigides. Et pourtant eux aussi mentent sans vergogne en se cachant derrière leurs privilèges, accumulent les maitresses et les prostituées et condamnent quand ça les arrange. L’attitude de façade cache bien des secrets, dissimulés bien souvent mais révélés dans le film. Le colonel Marie-Georges Picquart n’est pas le dernier à faire preuve de duplicité. Les hommes de fortune font preuve d’une intransigeance de façade que leurs aventures personnelles ne semblent pas du tout gêner. Quand une femme de ménage exhume un document compromettant de l’ambassade d’Allemagne, les soupçons se dirigent immédiatement vers un soldat juif, donc forcément coupable. Mais les zones d’ombre existent et le colonel profite de sa mutation aux renseignements pour mener l’enquête. L’histoire est connue, les analyses graphologiques étaient légères, les soupçons infondés et il aura fallu le grain de sel d’Emile Zola pour rejuger l’affaire suite à sa tribune publiée dans L’Aurore. Ce qui frappe, au-delà de la longueur du film qui fait tout de même piquer du nez au bout d’1h30 par la faute d’un faux rythme par trop lancinant, c’est l’excellence de la reconstitution. Les 22 millions de budget ont permis de faire revivre totalement l’époque entre 1895 et 1905 sans la moindre anicroche. Pas un bouton ne manque, l’ambiance est aux ruelles pavées et aux escaliers montés sans recours à l’ascenseur, mais ce sont surtout les attitudes qui ravissent. Les hommes arborent d’éternelles moustaches, les airs sont solennels, les mines irrémédiablement compassées. Pas de fantaisie militaire chez ces individus engoncés dans leurs uniformes. Les querelles se règlent au fleuret, les ordres mettent au pas ou destinent aux geôles ceux qui les contrepassent.

La foule, cette ennemie sans pitié

Sorti de ces ballets militaires, le spectateur n’est pas prêt d’oublier la dégradation militaire initiale du condamné Dreyfus, les foules ne sont que bruit et fureur avec un déchainement de violence incontrôlée. Rien ne semble avoir changé donc de ce côté là, les réseaux sociaux donnent juste plus d’ampleur à la vindicte populaire, fondée ou pas. Dreyfus était innocent, le parallèle ne se veut certainement pas innocent de la part du réalisateur qui apparait dans des habits d’académicien. Truculent dans le contexte actuel. Les élans antisémites ne sont pas passés sous silence et même le protagoniste principal en fait mention, soulignant que la quête de vérité ne peut pas connaitre de limites pour lui, mêmes personnelles. Louis Garrel campe un Dreyfus antipathique jusque dans son manque de reconnaissance final pour son sauveur. Le spectateur en est fort contrit. Les personnages secondaires font revivre les élans mystérieux de la Grande Muette, cette armée aux principes si particuliers.

Le film est-il à voir? Oui, définitivement tant le réalisateur sait mettre en scène une histoire historique qui souligne le poids anxiogène de la foule face aux élans de vérité. Dreyfus coupable ou innocent, chacun a son avis, son opinion et sa manière de les imposer aux autres, sans jugement ni recul. De ce côté-là, rien ne change.