Un film sur le Joker : Pas inintéressant, mais pas super original non plus
Le Joker, c’est le super-vilain le plus emblématique de l’histoire des super-héros, bien plus que Dr. Octopus, Lex Luthor ou Thanos. Inspiré du personnage de L’homme qui rit issu du roman éponyme de Victor Hugo, Il a connu de nombreuses déclinaisons et interprétations au cinéma et à la télévision (Cesar Romero en 1966, Jack Nicholson en 1989 chez Tim Burton, Mark Hamill et Pierre Hatet dans la série animée de 1992 et les jeux vidéos), Heath Ledger en 2008 chez Christopher Nolan, Cameron Monaghan en 2014 dans la série Gotham, Jared Leto en 2016 chez David Ayer et 2021 chez Zack Snyder, Barry Keoghan en 2022 chez Matt Reeves, et Joaquin Phoenix en 2019 dans le film dont on parle).
Les origines du Joker, curieusement, ne sont pas les plus claires. Son identité secrète est inconnue, on sait juste que c’est un mec qui est tombé dans une cuve de produits chimiques hautement toxiques et qui a perdu la tête. Dans The Dark Knight, afin de bien entretenir le mystère sur son passé, il raconte toujours une histoire différente. Dans ce film solo de 2019, comme dans le Batman de Tim Burton, le Joker a une identité connue. Chez Tim Burton, c’est Jack Napier, un gangster, et chez Todd Phillips, c’est Arthur Fleck, un clown et humoriste en devenir avec un suivi psychologique. Avec un passé flou, on peut lui inventer n’importe quelle genèse, et ça, c’est génial!
Cela dit, du Joker, on en a eu, on en a bouffé, encore plus depuis The Dark Knight avec la performance de feu Heath Ledger qui a retourné le public. Une énième réitération du Joker, même pour emmener le personnage dans une toute nouvelle direction, c’est assez peu original, et quand la direction n’est pas bonne, c’est encore pire, comme ici:
Anti-capitalisme de très bas étage: À ce stade, ce n’est plus en carton, c’est du PQ
La politisation du cinéma est monnaie courante depuis au moins une décennie, et en fonction de ce que veut raconter le film, ce n’est pas forcément un mal. Le tout premier exemple connu est le pamphlet de 1939 Monsieur Smith au Sénat de Frank Capra, avec James Stewart, un film qui a choqué le public. Le film dépeint de façon très acerbe et ironique le gouvernement des États-Unis, ce qui lui a valu des accusations d’anti-patriotisme et de sympathie pour le communisme.
C’est saisissant, c’est captivant! Oliver Stone suivra ce chemin avec des films comme JFK et Snowden. Martin Scorsese l’a inséré aussi, à sa façon, avec Taxi Driver.
Aujourd’hui, le cinéma politique et social a été parasité par certaines idéologies comme l’anti-capitalisme (et pas la critique du capitalisme, je parle bien d’une profonde aversion pour le capitalisme sans nuance), et Joker ne fait pas exception.
Un enjeu social sur le fossé entre les classes aisée et populaire, il y a de quoi s’interroger sur la pertinence de cet enjeu avec le Joker, mais à la rigueur, pourquoi pas. Cela dit:
Paie ton cliché périmé du méchant riche et du gentil pauvre! Dans le film, les riches et les gens aisés sont tous des connards, tandis que ceux de la classe populaire sont tous des gentils!
C’est simple: le film arrive même à se torcher avec l’univers de Batman, par l’intermédiaire du personnage de Thomas Wayne.
Aparté: Thomas Wayne
Dans les comics Batman (et dans Batman Begins), Thomas Wayne, père de Bruce Wayne, est médecin, mais surtout une des toutes dernières âmes charitables de Gotham City. Il symbolise une lueur d’espoir dans la perdition de la cité, espoir qui s’évanouit avec son meurtre et qui conduit à la naissance de Batman.
Dans Joker, Thomas Wayne (Brett Cullen) n’est plus médecin, mais un financier, mais par-dessus tout un homme pédant, un con de riche. Lors de sa rencontre avec Arthur Fleck, Wayne, au lieu de réagir comme la personne qu’il est censé être (c’est à dire avec patience et compassion), lui met un pain dans la figure et l’envoie bouler comme des Nesquik tout mous qui traînent au fond du bol de ton gamin dans un petit fond de lait au chocolat (léger emprunt à Jean Rochefort).
Vous ne voyez pas le problème, là?
À la fin du film, Thomas Wayne se fait tuer (avec Martha Wayne, sous les yeux du jeune Bruce) par un émeutier qui lui dit qu’il n’a que ce qu’il mérite.
Toujours pas?
Est-ce que ça a la moindre utilité ou le moindre sens?!
L’excuse du choix artistique ne marche pas avec moi ici! C’est une modification inutile, qui n’a même aucune véritable incidence sur le déroulement de l’intrigue ou l’évolution du Joker.
Fin de l’aparté
Comment peut-on laisser passer dans une grosse production hollywoodienne populaire une caractérisation de personnages aussi manichéenne, caricaturale, creuse et absolument pas originale pour un sou? C’est une écriture du niveau de… Rebel Moon de Zack Snyder!
À tous ceux qui osent me dire que le fond est bien travaillé, félicitations, vous êtes communistes! C’est bien, heeeein, de vouloir taper sur ces méchants riches vilains pas beaux! C’est tellement subversif et anti-système!
Voilà où je veux en venir: c’est lisse et conformiste à CREVER!
Repompages grossiers: vision d’auteur volée
Déjà lors de sa campagne de promotion en vue de la sortie imminente du film, Joker a été porté aux nues et considéré comme culte alors qu’il n’était même pas encore sorti (un phénomène devenu banal aujourd’hui avec les énormes productions), désigné comme un film « super-héroïque » d’auteur. Et puis j’ai vu le film, deux fois, et j’ai bien déchanté.
La vision d’auteur, c’est vite dit. Todd Phillips ne s’est pas foulé, il s’est juste amusé à copier-coller Taxi Driver et La Valse des Pantins. Joker, c’est un pastiche de Martin Scorsese, un pastiche lourdingue qui vous hurle dessus « Eh, t’as vu?! T’as vu?! Regarde, Joaquin Phoenix, c’est De Niro dans Taxi Driver! T’as vu?! Je fais de la lèche à Scorsese! T’AS VU?! As-tu vu les quenouilles?! Waaaaouh! ».
Ce film n’est ni un film d’auteur, ni un film original, bien que le récit ne s’inspire d’aucun arc narratif des comics, et pourtant il y en avait UN à adapter, qui aurait été une plus-value considérable: Batman : The Killing Joke d’Alan Moore (il aurait probablement détesté le film avant même sa sortie, mais on n’est plus à ça près).
D’ailleurs:
Le Joker: un psychopathe hors des clous, pas un vigilante!
Joaquin Phoenix, Todd Phillips et Scott Silver, dans leur volonté de se démarquer de la production super-héroïque audiovisuelle de l’époque et de réinventer le Joker après le Tony Montana caricatural débile de Jared Leto, l’Homme qui rit nihiliste terrifiant de Heath Ledger et le gangster devenu fou de Jack Nicholson, ont entièrement raté le coche sur le personnage et ce qu’il représente.
Le Joker, intrinsèquement, c’est un psychopathe, un ouf malade, mais surtout un danger public aux yeux de tous, même aux yeux des criminels, car imprévisible, malicieux et terriblement intelligent.
Dans le Batman de Tim Burton, le Joker de Jack Nicholson est un Joker cartoonesque, dans la droite lignée des comics, mais il représente une véritable menace, au point de tuer le parrain de la pègre Carl Grissom (Jack Palance) et de se débarrasser de tout un conglomérat du crime organisé pour avoir la main mise sur Gotham, ce qu’il arrive à faire, jusqu’à empoisonner toute la population.
Dans The Dark Knight, le Joker arrive à tenir la pègre de Gotham en respect et à terroriser toute la ville avec des attentats (publics ou discrets) contre les fonctionnaires et les représentants de l’autorité de la ville (le commissaire Loeb, prédécesseur de Gordon ou la juge pour les réussites et le maire pour l’attentat échoué), et il menace de faire exploser la ville et un ferry rempli de monde par le bluff et par un jeu de hasard, mais il fait ça parce qu’il sait que Gotham court à sa perte, qu’il est au-dessus de ça et qu’il « veut voir le monde brûler ».
Voilà ce qu’est censé représenter le Joker, peu importe la version, c’est inhérent au personnage. Le Joker est un archétype maléfique.
Dans Joker, c’est absolument le contraire! Le Joker est un… un mec frustré. Il passe du côté obscur dans un désir de vengeance parce qu’il s’est fait envoyer balader par Thomas Wayne et s’est fait humilier en direct dans un talk-show télévisé alors qu’il s’attendait à être acclamé et que ses blagues feraient rire le public de Gotham. Et en fin de compte, il tue le personnage de Robert De Niro en direct et son acte pousse la population de Gotham à provoquer une émeute et à s’en prendre aux riches.
C’est ça, la conviction du Joker? C’est ça, l’image qu’on est censé retenir de lui? Une icône populaire anticapitaliste? Un représentant d’un slogan on-ne-peut-plus conformiste?!
Non. Juste… NON!
Ça, ce n’est pas le Joker! Joaquin Phoenix le joue bien (et encore, il a volé l’Oscar du meilleur acteur à Robert De Niro), mais ce n’est PAS le Joker!
Le Joker veut mettre Gotham à feu et à sang parce que ça lui pète! Il n’a aucun d’état d’âme, il ne fait pas la moindre distinction dans la population, au point d’être craint unanimement! Ce n’est pas un anti-héros torturé et tourmenté qui veut se venger d’une société aisée et méprisante qui l’a tourné en ridicule en public! Le Joker, ce n’est pas The Crow ou le Punisher! Il n’est même pas censé être applaudi!
Et qu’on ne vienne pas me sortir la théorie selon laquelle tout se serait déroulé dans sa tête, on a déjà vu que l’idylle entre Arthur Fleck et sa voisine était dans sa tête, les hallucinations ne s’emboîtent pas, ce ne sont pas des rêves, on n’est pas dans Inception!
Conclusion
Malgré un point de départ intéressant et qui aurait pu coller au super-vilain, ce film ne connaît rien à l’univers et au personnage qu’il est censé adapter et se contente de singer grossièrement deux œuvres d’un seul grand nom du cinéma et d’apporter un message ressassé et en manque total de cohésion avec son matériau d’origine. En découle donc un film arrogant qui, s’il ne respecte pas les comics, n’apporte rien et laisse transparaître une honteuse vacuité.
Synopsis
Arthur Fleck (Joaquin Phoenix), employé dans une agence de clowns à Gotham City et habitant d’un appartement miteux avec sa mère (Frances Conroy), mène une vie morose de marginal, jusqu’à son agression par trois yuppies de Wayne Enterprises. Pour pallier à la pourriture de cette société, Fleck tente de se lancer comme humoriste et de se faire inviter dans le talk-show télévisé de Murray Franklin (Robert De Niro), dont il est un fervent admirateur.