La séance de L’île aux chiens a provoqué un vif ennui en moi, jusqu’à l’endormissement sporadique et l’envie de me télétransporter ailleurs. Pour un film de Wes Anderson, c’est une première, et un signe. Après l’originalité de La Famille Tennebaum, la folie de La Vie Aquatique et le charme de Moonrise Kingdom, l’ennui de L’île aux chiens m’a plus que troublé. On sait que le réalisateur est clivant, il horripile certains par son kitch assumé et son perpétuel faux rythme, il en séduit par ailleurs beaucoup d’autres admiratif de son originalité et de son parti pris volontairement désuet. Son 9e film dans la même veine géométrique / farfelue / colorée / musicale marque peut être la nécessité d’un renouvellement sous peine de devenir une caricature.
Un film déjà vu
Force est d’admettre que tous les ingrédients de L’île aux chiens ont déjà été vus et revus précédemment. Le stop motion était même mieux mis à profit dans Fantastic Mr Fox avec un humour qui faisait irrémédiablement mouche, la géométrie des plans a été vue… partout chez Wes Anderson, la musique aussi, les couleurs criardes également. Le pire reste ces regards caméras fixes avec l’impression d’être observé par les personnages canins. Ce procédé de brisage du 4e mur fonctionne beaucoup mieux avec des acteurs réels, leurs expressions concourent à la réussite du procédé alors qu’avec des cabots en peluche et des poupées de cire, l’émotion passe beaucoup moins bien. En plus d’être tous ébouriffés et de ressembler à des balais brosses usagés, les cabots ne prennent vie que par la magie des voix d’acteurs célèbres. Le casting aussi bien en VO qu’en VF est impressionnant, tout le monde se presse pour apparaitre chez Wes Anderson. Les voix sont truculentes certes mais ne suffisent pas à créer la magie. Un chien empaillé qui parle avec la voix de Bryan Cranston, Isabelle Huppert, Vincent Lindon ou Edward Norton, ça reste un chien empaillé, surtout quand il est dénué d’expressions et de second degré. Fantastic Mr Fox surfait sur une truculence constante qui faisait mouche. Ici, beaucoup moins.
Pourquoi le Japon? Pourquoi les chiens?
Un membre de ma famille s’interroge sur le choix du Japon par un réalisateur américain pour situer une île poubelle où les chiens sont abandonnés. Le choix du Japon m’apparait une référence évidente aux Godzilla de la grande époque et autres Bioman ou X-Or. La culture locale en matière de marionnettes n’est plus à faire et pourquoi pas le Japon après tout. Reste une histoire de chiens abandonnés car atteints d’un virus qui les rend toxiques. Mon petit doigt me dit que dans la vraie vie, les chiens seraient éliminés fissa sans prendre la peine de les exiler, mais c’est un détail. Le cas récent d’Ebola a bien montré que la transmission à l’homme d’un virus animal n’est pas impossible, je dis ça je dis rien. Or le film montre des êtres humains se révolter contre une mesure qui ne vise que leur survie. Un peu comme les vegan qui critiquent ceux qui mangent de la viande ou les féministes qui conchient tous les hommes juste parce que ce sont des hommes, sans distinction ni jugeote. Bref, le raccourci est un peu léger et n’apporte pas grand fond au film. Restent des chiens aux comportement très humains qui accompagnent le jeune Akira pour retrouver son compagnon à truffe humide. C’est de la fantaisie, c’est du cinéma, pas de quoi se prendre la tête. Sauf que le film n’est pas vraiment émouvant avec tous ces chiens aux regards fixes qui zieutent les spectateurs sans expressions particulières, ni vraiment drôle car les moments comiques sont somme toute assez rares, ni vraiment original vu que toute la stylisation du réalisateur reprend ses codes habituels. Donc que reste-t-il sinon l’énorme capital sympathie dont bénéficie invariablement Wes Anderson. J’ose donc l’inimaginable et je brave la vindicte populaire. Ce film montre l’impasse dans laquelle le réalisateur risque de rester bloqué s’il n’évolue pas un tant soir peu pour éviter de se répéter inlassablement, voilà le problème auquel il va devoir apporter une solution.
L’île aux chiens montre que même un réalisateur de génie comme Wes Anderson peut être confronté à un dilemme insoluble au cours de sa carrière. En revêtant son oeuvre de codes caractéristiques qui n’appartiennent qu’à lui, il rend ses films dangereusement archaïques et ce qui fonctionnait fort bien jusqu’au sommet Grand Budapest Hotel manque dorénavant d’une émotion nécessaire pour rendre les films si attractifs. Son prochain film apportera des éléments de réponse…