Escrime et cinéma ont toujours fait bon ménage. Films d’époque, films de cape et d’épée, fantastiques, d’aventure, ou d’action… Depuis sa création ou presque, le cinéma a souvent eu recours à de magistrales scènes de combats à l’épée. Gages de grand spectacle, ces scènes sont particulièrement enthousiasmantes pour les jeunes spectateurs, qui adorent les reproduire à l’infini avec des épées en plastique ou même des bâtons ramassés dans leur jardin ; mais elles le sont aussi, parfois, pour les adultes qui ont su garder une âme d’enfant !
Selon les genres cinématographiques, les réalisateurs et les époques, les combats d’escrime peuvent revêtir bien des formes : certains sont plutôt réalistes, d’autres totalement fantaisistes ; certains mettent en scènes un grand nombre de personnages qui virevoltent dans tous les sens, quand d’autres sont l’occasion d’un mano a mano entre deux personnages qui peuvent ainsi régler leurs comptes : par exemple, dans un film de cape et d’épée, le fameux duel final entre le héros vertueux et le grand méchant sera forcément le moment le plus attendu. On peut également en trouver dans les comédies parfois, ce qui donne lieu à des duels burlesques ou pleins de second degré. Peu importe : les bons combats à l’épée sont généralement spectaculaires, extrêmement visuels, et particulièrement jouissifs. Et nul besoin d’avoir de grandes connaissances en escrime pour les apprécier : que l’on soit amateur, connaisseur ou totalement néophyte, on a tous en tête au moins une scène d’épée qui nous a marqué, quelle que soit notre génération.
A travers cet article, nous tâcherons de dresser une brève histoire de l’escrime à l’écran, et de passer en revue les principaux films qui ont pu donner lieu aux duels les plus fameux de tous les temps. Avec, en fil rouge, la seule question qui compte vraiment : quelle est, ou quelles sont, les meilleures scènes de combat à l’épée de toute l’histoire du septième art ? Et pourquoi ? Devant l’ampleur de la tâche, il sera bien sûr impossible d’être exhaustif, et malgré nos efforts pour ne pas oublier de scène immanquable, il est probable que certaines manqueront à l’appel. Nous tenons à nous en excuser par avance.
Enfin, il faut préciser que deux restrictions seront appliquées : premièrement, l’article se concentrera exclusivement sur le cinéma occidental et laissera de côté les films asiatiques (également innombrables en la matière), ce qui permettra de limiter un peu le contenu. Nous ne parlerons donc pas des chefs-d’œuvre de Kurosawa ni des meilleurs films d’action chinois par exemple. Deuxièmement, cet article traitera uniquement de cinéma et non pas de séries : en effet, malgré la multiplication des séries à grand budget et de grande qualité, il serait également trop compliqué de les inclure. Pas de Game of Thrones donc, et pour les plus nostalgiques, pas de série Zorro avec Guy Williams non plus !
Sur ce, bonne lecture à tous !
L’âge d’or hollywoodien : les classiques du film de cape et d’épée
Quand on parle d’escrime au cinéma, on pense immédiatement aux vieux classiques du film de cape et d’épée. Durant l’âge d’or du cinéma américain, les grands studios hollywoodiens en ont produit à la pelle, tant le cinéma de genre était la norme à cette époque. L’action de ces films historiques se déroule bien sûr en Europe, généralement en Angleterre ou en France, entre le moyen-âge et la fin du 18ème siècle. Ne pouvant bénéficier des décors naturels ni du superbe patrimoine foncier européen, les américains reconstituaient les décors (châteaux, palais) entièrement en studio, d’où cet effet « carton-pâte » qui donne tant de cachet à ces vieilles productions. L’exactitude historique était bien souvent le cadet de leur souci, les producteurs préférant garder l’image fantasmée d’une vieille Europe glorieuse et majestueuse. Mais si le réalisme était tout relatif, le savoir-faire américain en matière de divertissement et de grand spectacle était déjà indéniable.
Très vite, certaines grandes stars se sont distinguées et ont fait du film de cape et d’épée leur spécialité première ; des acteurs toujours séducteurs, pleins de charme et de panache. Avec eux, le genre a accouché de plusieurs grandes scènes d’actions et d’un grand nombre de duels de bretteurs qui sont entrés dans la légende.
Il convient d’abord de citer le grand Douglas Fairbanks, sans doute la première superstar masculine d’Hollywood, dont la carrière n’aura malheureusement pas vraiment survécu au cinéma parlant. Dès les années 20, Fairbanks a été le premier à incarner l’archétype de l’escrimeur-charmeur au cinéma. On peut citer Le Signe de Zorro (1920), la toute première adaptation du justicier masquée à l’écran (et pour cause, le personnage de Zorro avait été créé seulement un an plus tôt par Johnston McCulley) : écrit et produit par Douglas Fairbanks lui-même, le film contient des scènes de combat plutôt burlesques et démonstratives, car l’incorporation de gags permettait un rendu visuel beaucoup plus efficace à l’époque du muet. S’ensuivront notamment Les Trois Mousquetaires (1921), Robin des Bois (1922) ou encore Le Voleur de Bagdad (1924).
Dans les années 30 et 40, d’autres acteurs incarneront à merveille ce genre cinématographique, dans des productions parlantes et bien souvent en technicolor. Star de la Warner aux côté d’Olivia de Havilland, Errol Flynn en est sans doute le meilleur exemple. Son sourire ravageur et son style très virevoltant font merveille dans un grand nombre de films de cape et d’épée, notamment dans Capitaine Blood (réalisé par Michael Curtiz en 1935) : il y incarne un médecin anglais qui finit par devenir pirate ; son combat sur la plage contre le capitaine Levasseur, interprété par le britannique Basil Rathbone, est l’un des premiers duels mythique de bretteurs à l’écran. Mais Flynn fera encore mieux en 1938 avec le chef-d’œuvre Robin des Bois, également réalisé par Michael Curtiz : son Robin bravache en costume vert et en collants, plein de gouaille et de panache, a forgé l’image que l’on a encore tous aujourd’hui du personnage. Le duel final opposant Robin de Locksley au cruel Guy de Gisbourne (toujours campé par Rathbone) est un régal absolu, qui a durablement établi la plupart des codes et des clichés des combats d’épée de cinéma. A noter le passage en ombres chinoises sur le mur qui est absolument superbe !
Aux côtés d’Errol Flynn, il convient également d’évoquer Tyrone Power : star américaine entre les années 30 et 50, il lui est arrivé de camper de grands escrimeurs à l’écran. Le plus bel exemple est évidemment Le Signe de Zorro (1940), probablement la meilleure des versions classiques de Zorro au cinéma. Power y campe un Don Diego particulièrement convaincant et souvent drôle, mais la scène la plus marquante est assurément le combat final contre le capitaine Esteban Pasquale (interprété à la perfection par… Basil Rathbone !) : les comédiens, tous deux escrimeurs aguerris, se livrent à un duel d’une intensité et d’une technicité inouïe, encore aujourd’hui l’un des plus extraordinaires de l’histoire du cinéma. A voir absolument !
Selon la légende, le grand maître d’arme Ralph Faulkner (qui a coordonné les scènes d’escrime pour la plupart de ces films) aurait déclaré qu’Errol Flynn et Tyrone Power avaient tous les deux un excellent niveau, mais que le meilleur était sans conteste Basil Rathbone : en effet, d’après Faulkner, ce dernier avait carrément un niveau olympique ! Et pourtant, en éternel méchant du cinéma, c’est toujours lui qui perdait les duels et se faisait tuer par le héros à la fin… Quant à Rathbone lui-même, très impressionné par les talents de Tyrone Power sur le tournage de Zorro, il aurait déclaré que Power était nettement meilleur que Flynn l’épée à la main.
Les années 50 ont également vu l’éclosion de nouveaux acteurs et de quelques grands films du genre. C’est notamment le cas de Robert Taylor : sous la direction du réalisateur Richard Thorpe, il a interprété le chevalier Yvanhoé (1952) ou encore Lancelot du Lac dans Les Chevaliers de la Table Ronde (1953). Dans ce dernier, on peut le voir affronter Mel Ferrer (qui prête ses traits au roi Arthur) dès le début du film, dans un joli combat entre les deux meilleurs chevaliers du monde qui ne se connaissent pas encore. Bien sûr, Lancelot ne tarde pas à rejoindre la Table Ronde en apprenant avec qui il vient de croiser le fer !
Mais s’il ne devait rester qu’un seul film de cape et d’épée de la grande époque, ce serait peut-être le Scaramouche de George Sidney (1952) : au 18ème siècle, le marquis de Maynes, meilleure lame du royaume de France, tue en duel le poète Marcus Brutus, dont les écrits révolutionnaires dérangent la monarchie. Son meilleur ami André Moreau (Stewart Granger, particulièrement séducteur) jure de venger sa mort et de tuer de Maynes en combat singulier. Désormais fugitif, il doit se cacher dans une troupe de théâtre au sein de laquelle il interprète tous les soirs, masqué, le personnage de Scaramouche. Mais il doit également trouver le moyen de s’entraîner à l’escrime, car il n’y connaît strictement rien… Grand classique du genre, Scaramouche est un film magnifique, et son duel final dans un grand théâtre parisien est une véritable apothéose d’élégance et de spectacle : plus long duel de l’histoire du cinéma à l’époque (plus de 6 minutes), il est toujours aussi superbe aujourd’hui. L’élégance naturelle du longiligne Mel Ferrer, qui a pratiqué la danse classique, fait merveille. Immanquable !
Mais le cinéma hollywoodien a également produit quelques combats d’épée à l’occasion d’autres genres cinématographiques : c’est notamment le cas du péplum. On peut penser au Spartacus de Stanley Kubrick par exemple (1960), dans lequel l’esclave Kirk Douglas doit souvent lutter dans l’arène pour rester en vie. Mais bien souvent, et malgré de grandes scènes de guerre faisant souvent appel à de nombreux figurants, les duels marquants entre deux protagonistes sont plutôt rares dans les péplums. Ou alors, il faut chercher dans le péplum italien, particulièrement foisonnant dans les années 60. Un exemple, pour la route : l’affrontement entre Achille et Enée dans La Guerre de Troie (Giorgio Ferroni, 1961).
Plus ponctuellement, on peut aussi admirer les personnages croiser le fer en dehors de ces grands genres cinématographiques : par exemple dans Les Vikings (1958), où l’affrontement entre Einar (le borgne Kirk Douglas) et Erik (le jeune et beau Tony Curtis) est très épique et vaut le coup d’œil.
Enfin, il existe depuis très longtemps des duels parodiques, qui se regardent au second degré. L’Etroit Mousquetaire, film américain mais réalisé par le français Max Linder, parodiait déjà le film de cape et d’épée dès 1922, soit immédiatement après la naissance du genre au cinéma. De même, sorti en 1955, Le Bouffon du Roi comporte une scène de duel incontournable, à la fois épique, cocasse et hilarante entre Danny Kay et… Basil Rathbone, bien sûr ! Dans ce film, Danny Kay ne sait absolument pas se battre ; mais au court du combat, une sorcière lui jette un sortilège qui fait de lui un escrimeur invincible : il commence donc à prendre le dessus sur son adversaire. Malheureusement, ce sortilège disparaît ou réapparaît brutalement chaque fois que l’un des deux duellistes claque des doigts… Le personnage est donc alternativement faible et apeuré, ou sûr de lui et invulnérable. La scène est irrésistible, d’autant que la chorégraphie du combat est impeccable ! Et pour finir, mentionnons aussi La Grande Course Autour du Monde, du grand Blake Edwards, avec notamment Tony Curtis : le film est une comédie mais comporte une scène d’escrime certes un peu parodique, mais très bien faite malgré tout.
Le cinéma de cape et d’épée français: un vrai savoir-faire
Se limiter aux films de cape et d’épée américains serait une erreur : en effet, les français ont également démontré un vrai savoir-faire dans ce domaine. Commençons par préciser que dès les années 1900, les français ont été les premiers à adapter certains grands romans du genre, bien avant qu’Hollywood ne se les approprie. C’est ensuite dans les années 50 mais surtout 60 que le genre a connu une vraie mode dans l’hexagone, avec des productions nombreuses et souvent assez qualitatives.
D’un point de vue historique, les films français sont souvent un peu plus exacts et mieux documentés que les films américains : c’est qu’ils adaptent l’histoire de leur propre pays, sans avoir à la fantasmer plus qu’il n’en faut. De plus, ils avaient l’avantage de pouvoir s’appuyer sur des décors naturels européens et sur un patrimoine historique d’exception : le nombre de châteaux anciens sur le territoire national est alors une véritable aubaine pour les producteurs et les cinéastes, qui n’ont qu’à piocher parmi tous ces fabuleux décors. Concernant les scènes d’action, à cheval ou l’épée à la main, les films français n’ont pas à rougir même si le savoir-faire américain reste difficilement égalable dans ce domaine.
C’est Fanfan la Tulipe, de Christian-Jacque avec Gérard Philippe, qui a relancé la mode en 1952. Palpitant film d’aventure, il comprend de nombreuses scènes d’actions, de cavalcades et de combats au sabre. L’affrontement entre Fanfan et Fier-à-Bras (le formidable Noël Roquevert) sur le toit d’une ferme est très jouissif. Toutefois, si le divertissement est largement assuré, l’escrime est encore assez pauvre d’un point de vue technique, les acteurs se contentant de frapper la lame de l’adversaire un peu dans tous les sens.
Vient ensuite une série de films un peu oubliés avec le comédien George Marchal, qui incarnait alors le jeune premier typique. Même si sa renommée s’est un peu arrêtée à l’arrivée des années 60, il a été pendant quelques années le rival de Jean Marais, qui de son côté se faisait la main dans Le Comte de Monte-Cristo en 1954 ou dans La Tour, Prends Garde ! en 1958.
Jean Marais, justement. Les années 60 ont clairement été les siennes : à plus de 45 ans, celui qui est une vedette française depuis les années 40 grâce à Jean Cocteau connaît une seconde jeunesse grâce à la cape et à l’épée. Sur le tard, il s’en fait une spécialité qui durera une décennie. D’abord deux films d’André Hunebelle : Le Bossu (1959) et Le Capitan (1960), qui connaissent un franc succès. Bien d’autres films suivront, comme Le Capitaine Fracasse de Pierre Gaspard-Huit, et puis Le Masque de Fer, Le Miracle des Loups… Marais apprends l’escrime et l’équitation avec un grand professionnalisme, et se révèle particulièrement crédible dans ce type de rôle. Son regard fier et solennel, son physique fin et athlétique en font l’acteur idéal pour les films en costume et les joutes à l’épée. D’autant qu’il tient à faire ses cascades lui-même : c’est d’ailleurs sans doute la première vedette française dans ce cas-là, avant même Jean-Paul Belmondo.
C’est aussi à cette époque que les scènes d’escrime sont orchestrées et encadrées par Claude Carliez, maître d’arme et cascadeur qui servira le cinéma français pendant plus de 40 ans, jusque dans les années 2000. Sous sa houlette, les combats deviennent plus techniques et plus crédibles. Jean Marais incarne toujours un bretteur exceptionnel, un gentilhomme au cœur noble qui ne connaît pas la défaite. Les films français de cette époque nous offrent de très belles scènes d’escrime, qui n’ont rien à envier aux américains. Enfin, presque rien : il manque peut-être le duel final mythique, le mano a mano légendaire et inoubliable qui ferait la différence. Car si les chorégraphies sont souvent superbes, le combat de fin est toujours un peu trop convenu, manque de tension ou oppose le héros à un ennemi assez peu charismatique. Et même lorsque le méchant est très réussi comme dans Le Bossu (le Gonzague interprété par François Chaumette est délicieux), le duel qui s’ensuit n’est pas forcément à la hauteur.
Il faut également citer le Cartouche de Philippe de Broca, avec Jean-Paul Belmondo, qui est également un classique. Plus historique que les films avec Jean Marais, il est aussi un peu plus burlesque. La truculence de Bebel donne lieu à de savoureuses tirades et à des bagarres amusantes, mais les scènes de combat sont assez brouillonnes et filmées par-dessus la jambe. Un film réjouissant et qui ne manque pas de panache donc, mais qui n’a que peu d’intérêt en ce qui concerne l’escrime : ce n’est clairement pas ce qui intéresse le réalisateur.
Et pour finir, il y a eu l’époque Gérard Barray : dans Le Capitaine Fracasse, l’acteur prêtait déjà ses jolis traits au détestable Duc de Vallombreuse, le méchant du film. Son duel final avec Jean Marais est d’ailleurs certainement l’un des plus réussis de cette époque en France, même si par ailleurs le film est un peu mou. La même année, il jouait également le rôle de D’Artagnan dans Les Trois Mousquetaires de Bernard Borderie (le réalisateur de la saga des Angélique). L’association Barray–Borderie durera plusieurs films, grâce auxquels le premier pourra montrer ses talents d’escrimeur. Le Chevalier de Pardaillan en 1962 et sa suite Hardi ! Pardaillan un an plus tard en sont les meilleurs exemples. Charmeur et spirituel, Gérard Barray s’en donne à cœur joie dans ces divertissements sans grande prétention.
Les années 70 et 80 : Nouvel Hollywood, cinéma bis et ère du fantastique
Aux Etats-Unis, les années 70 marquent la fin de l’âge d’or et le début du Nouvel Hollywood. De nouveaux réalisateurs comme Coppola, Spielberg, Scorsese ou De Palma prennent le pouvoir. Le cinéma de studio disparaît peu à peu et le cinéma de genre se fait plus rare. En tout cas, les films de cape et d’épée ne sont plus du tout à la mode. Mais cela ne signifie pas pour autant la fin des épées au cinéma !
D’ailleurs, l’année 1977 est particulièrement remarquable en la matière, car elle voit la sortie de deux films extrêmement différents mais qui ont en commun le thème de l’escrime. Le premier d’entre eux est Les Duellistes, le tout premier long-métrage de Ridley Scott. Le film est certes britannique, mais les deux acteurs principaux (Harvey Keitel et Keith Carradine) sont américains. Tiré d’une nouvelle de Joseph Conrad, Les Duellistes raconte les parcours parallèles de deux soldats de l’armée napoléonienne, qui au fil des années ne cesseront de se recroiser et de se provoquer en duel, en réparation d’une querelle initiale totalement absurde. Le film nous offre donc plusieurs duels à l’épée, au sabre et même au pistolet pour le dernier. Ces différents duels ont la particularité d’être extrêmement réalistes : souvent très courts, sans mouvements inutiles, ils sont certainement la meilleure reconstitution cinématographique de ce que pouvait être un duel d’honneur à l’époque. Le spectacle et le sensationnel cèdent la place au minimalisme et à une incroyable tension : c’est que le moindre mouvement un peu vif peut entraîner une blessure grave qui contraindrait l’adversaire à l’abandon, voire à la mort.
Mais 1977, c’est également l’année de sortie du premier Star Wars ! La mythique trilogie de George Lucas va donner un sérieux coup de modernité à l’escrime au cinéma, avec l’apparition du fameux sabre-laser. Ce coup de modernité va se poursuivre dans les années 2000 avec la « prélogie » puis continuer dans les années 2010 avec la troisième trilogie. Les neuf films Star Wars (sans compter les spin-off Rogue One et Solo, qui ne comportent pratiquement pas de sabre-laser) sont extrêmement riches en combats épiques, cultissimes, inoubliables ; même si le tout premier d’entre eux, Obi-Wan Kenobi contre Dark Vador, est clairement à oublier : les acteurs n’y croient pas une seconde, et le vénérable Alec Guiness semble s’ennuyer à mourir dans ce rôle auquel il ne croyait pas du tout. Dans l’excellent L’Empire contre-attaque en revanche, le combat entre Luke et Vador est sobre mais très fort en tension dramatique, jusqu’à la fameuse révélation que tout le monde connaît. Le Retour du Jedi nous montre un Luke plus affirmé et sûr de ses talents, qui se sert admirablement de son sabre. Jusqu’à ce duel final contre Vador qui se déroule sous les yeux de l’Empereur Palpatine : refusant tout d’abord de se battre, Luke finit par libérer sa colère et se déchaîne sur son adversaire ; et la musique de John Williams transcende le tout, pour un combat bref, peu technique mais d’une puissance émotionnelle inouïe.
Seize ans plus tard, en 1999, le très décrié La Menace fantôme nous montre un jeune Obi-Wan et son maître Qui-Gon Jinn, qui se servent de leur sabre toutes les 5 minutes pour exploser du droïde de combat à grand renfort de moulinets ; mais ce que l’on retient surtout, c’est évidemment ce combat de légende entre les deux jedis et le méchant Dark Maul, avec sa fameuse double-lame. Cascades, saltos, sauts vrillés, coups de pied, un palier immense est franchi en terme de chorégraphie : le spectacle est à son paroxysme, c’est du très lourd. Trois ans plus tard, le soporifique L’Attaque des clones trouve son point d’orgue dans un combat qui oppose tout d’abord le comte Doku à Obi-Wan et à son apprenti Anakin Skywalker, avant que Maître Yoda ne vienne les tirer du pétrin. Enfin, en 2005, La Revanche des Sith propose pas moins de cinq combats marquants : Doku contre Obi-Wan et Anakin ; puis Obi-Wan contre le général Grievous (et ses quatres bras robotiques) ; Mace Windu contre Palpatine; Palpatine contre Yoda; et pour finir l’apothéose, l’affrontement final entre Obi-Wan et son ancien apprenti Anakin… un affrontement dantesque, démesuré, ultra-spectaculaire, mais aussi un peu excessif et interminable.
Dans la troisième trilogie (2015 à 2019), les combats opposent généralement Rey et Kylo Ren, alias Daisy Ridley et Adam Driver. On peut noter que les chorégraphies ont opéré un net retour en arrière : à mille lieues des cabrioles et des moulinets incessants de la prélogie, elles reviennent à beaucoup plus de sobriété, rappelant les combats plus chevaleresques de la trilogie originale. Comme si les scènes d’action de la prélogie étaient désormais jugées excessives, démodées et plus du tout crédibles : c’est effectivement le reproche qui a souvent été formulé à leur encontre. Mais malgré cette volte-face sans doute plutôt bienvenue et salutaire, les nouveaux combats ne présentent finalement que peu d’intérêt ; c’est qu’ils souffrent de la qualité toute relative de cette trilogie, qui au bout du compte a bien peu de choses à raconter. La relation entre les deux protagonistes, toute en attirance-répulsion, finit tout simplement par lasser jusqu’à laisser de marbre.
Revenons maintenant aux années 70. Avant le succès planétaire des premiers Star Wars, d’autres films d’aventure ou fantastiques continuaient de voir le jour, comme les derniers vestiges d’une époque révolue. Car dès les années 50, un cinéma fantastique « bis » avait commencé à se développer grâce au producteur Charles H. Schneer et surtout à Ray Harryhausen, le génial concepteur d’effets spéciaux que l’on considère comme le père de la stop-motion moderne. Elève de Willis O’Brien (à qui l’on doit l’animation image par image du singe King Kong en 1933), Harryhausen prend son envol dans les années 40 et s’associe avec Schneer, qui travaille chez Columbia. En 25 ans de collaboration, ils écriront et produiront pas moins de 12 films qui permettront à Harryhausen de créer et d’animer quantité de monstres extraordinaires. Ces monstres s’affrontent parfois entre eux à l’écran (c’est le pêché mignon de leur créateur), mais ils sont le plus souvent opposés à des êtres humains armés de lances ou d’épées…
La technique révolutionnaire d’incrustation d’Harryhausen permettait en effet à des acteurs de chair et d’os de se battre contre ses maquettes animées, incrustées et agrandies en postproduction. Harryhausen fabriquait puis animait ces maquettes de ses propres mains, tout en assurant la mise en scène et la direction d’acteurs pour les séquences de combat. Parmi les films les plus fameux qui en ont résulté, on peut citer Jason et les Argonautes (1963) ou Le Choc des Titans (son dernier film en 1981), mais également la trilogie Sinbad le Marin (Le Septième Voyage de Sinbad en 1957, Le Voyage fantastique de Sinbad en 1973, Sinbad et l’Œil du tigre en 1977). Bien sûr, tous ces films ont vieilli, mais leur charme suranné demeure intact ; on peut y voir les protagonistes affronter, l’épée à la main, des cyclopes, des squelettes, un centaure, l’Hydre de Lerne et tout un tas d’autres choses encore… Dans Le Voyage fantastique de Sinbad, il y a même une séquence absolument phénoménale dans laquelle Sinbad et son équipage se battent tous ensemble contre une statue vivante de Kali, déesse à six bras (et un sabre dans chaque main) ! Imaginez un peu le travail de mise en scène et la coordination nécessaire pour qu’une telle scène fonctionne en 1973. Et pourtant, le résultat est là…
Cependant, à l’aube des années 80, ces techniques d’animation image par image tombent logiquement en désuétude au profit d’autres techniques plus modernes, comme l’animatronique par exemple. C’est à cette époque que se développe, dans le sillage de Conan le Barbare avec Arnold Schwarzenegger, une vraie mode du film de fantasy. On en compte un très grand nombre sortis durant la décennie 1980 : Dark Crystal, Krull, L’Histoire sans fin, Legend, Willow, et même Taram et le Chaudron magique chez Disney. Tous ces films ont eu pour effet de remettre la magie au goût du jour, mais aussi, bien souvent, l’épée.
Toutefois, malgré une belle omniprésence de cette arme (l’épée en acier de Conan, l’épée magique de Taram, Excalibur chez John Boorman…), peu de films de cette époque comportent réellement de scènes d’escrime ou de combats vraiment notables : Schwarzy se contente de tailler lourdement ses ennemis en pièce ; dans Legend de Ridley Scott, Tom Cruise affronte bien le Seigneur des Ténèbres, mais le combat, bien que très brutal, est assez vite expédié ; dans le formidable Excalibur de John Boorman, il y a tout de même quelques belles scènes de combat chevaleresque, que ce soit à l’épée ou à la lance, notamment entre Arthur et Lancelot du Lac.
Mais il est surtout indispensable de mentionner une petite pépite, un film inclassable et unique : le Princess Bride de Rob Reiner, sorti en 1987. Adapté d’un roman assez loufoque de William Goldman, agrémenté par les superbes musiques de Mark Knoffler (ex-leader de Dire Straits), Princess Bride est à la fois une parodie de film romantique et un beau conte sérieux, une œuvre de fantasy et un film de cape et d’épée, une grande comédie et un grand film d’aventure. Bref, à la fois culte et trop méconnu. Surtout, il contient l’un des duels de bretteurs les plus extraordinaires de l’histoire du cinéma : le virtuose espagnol Inigo Montoya (Mandy Patinkin) contre l’homme en noir, alias le terrible pirate Roberts. Avec son décor en carton-pâte et ses costumes à l’ancienne qui rappellent les grands classiques avec Errol Flynn, la scène est aussi spectaculaire et enthousiasmante que lors des plus grandes heures de l’âge d’or d’Hollywood, mais avec une évidente touche de second degré en prime. Et puis il y a le duel final, étonnamment intense et émouvant, lorsqu’après 20 ans de recherches Inigo retrouve enfin l’homme aux six doigts qui a tué son père… Une vraie petite perle, à découvrir absolument.
Depuis les années 90 : l’ère de la modernité
Depuis les années 90, le cinéma a suivi bien des modes, et même s’ils ne sont pas extrêmement fréquents, les combats à l’épée existent encore aujourd’hui. Mais la plupart du temps, il s’agit de simples modernisations des vieilles recettes d’antan qui ont si bien marché, de remise au goût du jour souvent bien temporaires.
D’abord le film de cape et d’épée à l’américaine, forcément. Si les scènes d’épée y sont généralement plus secondaires qu’à la grande époque, comme dans L’Homme au Masque de fer par exemple, il y a au moins deux films à souligner sans hésitation : tout d’abord en 1998, l’étonnant Le Masque de Zorro de Martin Campbell. Doté d’un casting solide et malin (Antonio Banderas, Catherine Zeta-Jones, Anthony Hopkins), le film est une relecture de la légende du célèbre renard. Don Diego de la Vega, désormais bien trop vieux, passe la main à un jeune bandit fougueux qui cherche à venger la mort de son frère. Le film est un excellent divertissement, et les scènes d’escrime y sont savoureuses comme au premier jour. La scène où Banderas infiltre la maison de Don Raphaël pour lui voler les plans de la mine est une petite merveille d’action, et le duel final contre le capitaine Love rappelle les meilleurs films de vengeance comme Scaramouche ou Le Bossu. Et entre les deux, le duel culte dans l’écurie entre Banderas et Zeta-Jones, plein d’humour et de tension sexuelle. Dommage que la suite, La Légende de Zorro, sortie dix ans plus tard, ne soit pas aussi réussie.
L’autre film, qui est même une saga toute entière, c’est Pirate des Caraïbes. Certes, les suites sont un peu plus inégales et finissent par lasser quelque peu, mais le premier volet était un vrai petit bijou à l’époque. Un divertissement XXL made in Disney, qui a redonné un coup de fouet monumental à la carrière de Johnny Depp. La BO de Hans Zimmer est devenue un archi-classique, et les scènes d’action, toujours remplies d’humour, sont très réussies. Le premier combat reste certainement le meilleur et le plus emblématique de la saga : le grand Jack Sparrow qui affronte Will Turner (Orlando Bloom) dans une forge remplie d’épées. Le pirate croit pouvoir maîtriser le jeune freluquet sans problème, mais il se trouve que le gamin s’entraîne trois heures par jour depuis sa plus tendre enfance… tout simplement culte. Quant au grand combat final entre Sparrow et son ennemi juré le capitaine Barbossa, il n’est pas mal non plus, d’autant que les deux sont immortels à ce moment du film…
On trouve aussi quelques combats intéressants dans des films historico-médiévaux, comme Robin des Bois, prince des voleurs avec Kevin Costner (ou même celui avec Russel Crowe), Braveheart ou encore Kingdom of Heaven. Mais si on cherche un vrai grand duel digne de ce nom, il faut regarder Rob Roy (1995) avec Liam Neeson : la scène finale où le héros affronte, pour laver son honneur, le doucereux Archibald Cunningham (Tim Roth), meilleure lame du royaume et véritable pourriture, est particulièrement forte en tension dramatique, et l’un des combats d’épée les plus réalistes depuis très longtemps. Citons enfin un film très moyen, mais dont le combat final est plutôt plaisant : Lancelot, le premier chevalier, avec Richard Gere dans le rôle principal. On n’attend qu’une chose, c’est que Lancelot sorte sa botte secrète contre le félon Méléagant !
La France aussi a parfois tendance à ressusciter le film de cape et d’épée avec généralement assez peu de succès : le Fanfan la Tulipe avec Vincent Perez (2003), ou La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier (2010). Mais il faut tout de même citer Le Bossu de Philippe de Broca, dans lequel Daniel Auteuil succède assez brillamment à Jean Marais ; cette fois-ci, pas de beau duel final avec l’affreux Gonzague (le glacial Fabrice Lucchini), mais les scènes d’escrime sont très correctes tout au long du film : c’est que le vénérable Claude Carliez est toujours en charge des cascades, en 1997 ! Mais il y a tout de même un chef d’œuvre hexagonal immanquable et multi-récompensé qui nous offre une scène de duel proprement exceptionnelle : c’est le Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau. Gérard Depardieu qui, dans l’un de ses tous meilleurs rôles, déclame ses vers « de myrmidons » tout en affrontant le vicomte de Valvert devant la foule admirative, c’est une véritable prouesse de cinéma. Le film est immense, et cette scène en est l’un des meilleurs exemples.
Quant au péplum, il se fait rare de nos jours. Mais le très acclamé Gladiator de Ridley Scott avait tenté, en 2000, de remettre ce genre cinématographique au goût du jour. Avec une allure et une bestialité indéniables, Russel Crowe est allé chercher son oscar en taillant en pièce un grand nombre d’adversaires dans l’arène. Le combat final dans le Colisée contre l’empereur Commode est d’ailleurs un sommet d’intensité dramatique, car c’est (une fois de plus) le combat sanglant de la vengeance tant attendue. Si Gladiator n’a pas forcément été suivi par une horde d’autres films, il y a tout de même eu Troie et son casting pléthorique. Hormis les (très) nombreuses scènes de guerre dans le sable entre grecs et troyens, on retiendra forcément le combat homérique entre Brad Pitt et Eric Bana, alias Achille et Hector ; l’affrontement n’a certes rien de réaliste, mais en terme de spectacle on est plus que servi : rarement on a vu plus intense et plus impressionnant depuis.
Mais il faut surtout parler de la fantasy moderne : car s’il y a une saga qui aura remis l’épée et la magie à la mode avec une efficacité fulgurante, c’est sans conteste Le Seigneur des Anneaux : la trilogie de Peter Jackson, une des plus ambitieuses de l’histoire du cinéma, a non seulement connu un succès absolument considérable dans le monde entier, mais elle a également surpassé en qualité (ou du moins en ampleur) la totalité des films de fantasy qui avaient pu être réalisées jusqu’alors. Et avec Hook (1989), film beaucoup plus modeste, Steven Spielberg s’était déjà amusé à ressusciter le film merveilleux en adaptant rien de moins que Peter Pan, de J. M. Barrie. Grâce à lui, on peut se régaler de l’affrontement final entre Peter (devenu adulte) et le capitaine Crochet sous les traits de Robin Williams et de Dustin Hoffman. Le casting est d’ailleurs l’un des gros points forts de ce petit bijou du divertissement, injustement boudé à sa sortie mais devenu par la suite une œuvre culte pour toute une génération. Et malgré le ton assez enfantin du film, le combat tient plutôt bien la route!
Et pour en terminer, citons quelques curiosités et autres inclassables. Roi de la violence décontractée mais également fan de séries B et de cinéma asiatique, Quentin Tarantino s’est fait plaisir avec Kill Bill, en permettant à Uma Thurman de découper des dizaines de membres avec un superbe katana japonais. En reprenant et en parodiant avec une grande affection les codes du film de samouraï, Kill Bill est sans doute l’un des meilleurs hommages possibles et l’un des meilleurs ponts entre les scènes d’escrime occidentales et orientales. A moins qu’il ne soit supplanté en la matière par une superbe coproduction américano-chinoise, réalisée par le taïwanais Ang Lee : Tigre et Dragon, dont l’intrigue et les scènes d’actions typiquement asiatiques (et véritablement époustouflantes) ont eu un succès immense en occident…
Et vous, vous avez un film ou un combat préféré en tête mettant en scène des escrimeurs ?