Vaste sujet auquel je m’attaque ici. Chacun aura sa réponse sur ce sujet en fonction de sa sensibilité, de ses désirs, et de son histoire personnelle aussi. Poser la question de savoir quel est le plus grand réalisateur de tous les temps est aussi réducteur qu’ambitieux. Classer les films d’un réalisateur, c’est faire l’amalgame d’histoires, de plans, d’actions, de détails, de procédés visuels et narratifs, et d’acteurs/actrices qui ont touché l’esprit et le coeur de celui ou celle qui les a contemplés. Mais c’est intéressant de se plonger dans sa filmographie personnelle pour en ressortir une réponse. Pas deux, pas trois, même pas 5, juste une. Et de dire pourquoi, histoire de s’élever au-dessus du simple ressenti pour donner des pistes d’exploration et donner envie aux autres de faire des découvertes. J’ai longtemps réfléchi, une short liste assez évidente s’est dessinée. Kurosawa, Bergman, Kubrick, Tarkovski… et j’ai finalement choisi ce dernier. Andrei Tarkovski, cinéaste disparu en 1986 et auteur de seulement 7 longs métrages. L’enfance d’Ivan, Andreï Roublev, Solaris, Le miroir, Stalker, Nostalghia, Le Sacrifice. 7 films en 24 ans, on devine le temps de préparation pour accoucher de chaque univers, et surtout la tonne de réflexions nécessaires pour imaginer chaque plan.
Le réalisateur du temps
Chaque film de Tarkovski se distingue par sa gestion du temps et du rythme. Le cinéaste ne se presse jamais, laissant le temps à ses personnages d’aller au plus profond d’eux-mêmes pour faire éclore leurs sentiments. Et les plans montrés à l’écran expriment visuellement les affres intérieurs. La lumière, les mouvements de caméra, les regards des personnages, tout concourt à faire partager de grandes idées suggérées par le réalisateur. Le temps s’écoule de telle manière à devenir un médium révélateur. Les actions sont minimalistes au point de vue de l’image mais insondables au regard de ce qu’elles racontent. Andreï Tarkovski a écrit, il a expliqué, il a donné des pistes pour mieux comprendre ses intentions, nombreuses, variées, philosophiques, humanistes. Cinéaste soviétique, il a du affronter les carcans du régime pour exprimer ses intentions sans être interdit, par delà la censure. Surtout qu’il n’hésitait pas à recourir aux icônes et symboles religieux, pas très communiste tout ça. Certains ont dit qu’il invoquait incessamment l’âme russe ainsi que ses images d’enfance, période qu’il décrivait comme la plus heureuse de sa vie. Ses films sont construits de telle manière à mener le spectateur au plus profond de concepts philosophiques aussi universels que tortueux. Images de sa propre enfance dans l’enfance d’Ivan et Le Miroir, mélange de culture ancienne russe et d’allusions politiques en désaccord avec les idéaux soviétiques dans Andreï Roublev, science-fiction pessimiste dans Solaris et Stalker, le réalisateur a exposé dans chacun de ses films sa psyché et ses aspirations, lui qui considérait que l’art et la culture étaient les deux seuls moyens de s’élever. Pour ainsi dire, le réalisateur aurait pu être auteur de théâtre ou de littérature durant des siècles antérieurs. Le cinéma était avant tout pour lui un moyen d’exprimer ses tourments personnels. Ce qui permet au spectateur de plonger dans un monde d’idées et d’aspirations philosophiques.
Si on ajoute encore le recours récurrent à la musique de Bach, on comprend mieux comment on peut être happé par ce réalisateur sans jamais réussir à en faire complètement le tour. Le mystère reste entier. Et vous, un réalisateur préféré?