Née au Moyen-Âge, la légende du vampire n’a eu de cesse de se développer au fil du temps. Popularisée au XIXème siècle par le roman Dracula de Bram Stoker, la créature légendaire est certainement le fruit du folklore transylvanien. Les séquelles cutanées et neurologiques d’affections carentielles (le pellagre), toxiques ou génétiques (les diverses formes de porphyrie) ont probablement cristallisé les peurs enfouies de l’imaginaire collectif, transformant ces malades en morts-vivants assoiffés de sang (lire la référence suivante : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1296679/).
Diverses traditions mythologiques anciennes ont contribué à la propagation de la légende du revenant rendu immortel par la consommation de sang humain. L’odieux prince des Carpates Vlad III Basarab, dit « l’Empaleur » (Tepes, en roumain) ayant sévi au XVème siècle a directement inspiré la création du personnage de Dracula. En effet, l’un des surnoms de ce triste personnage était Drăculea (signifiant « fils du dragon »). La crainte qu’inspirait le terrible souverain n’avait d’égale que les miracles de cruauté et d’ingéniosité qu’il mettait en oeuvre pour torturer ses victimes : bouillis, décapités, énucléés, enterrés vivants, frits ou cloués et bien sûr empalés, Vlad Tepes étant selon plusieurs sources à l’origine du regain de popularité du supplice du pal en Europe. On lui prêtait même un goût prononcé pour le sang humain, que l’on retrouve chez la Comtesse sanglante Erzsébet Báthory qui sévit au XVIème siècle en Hongrie et appréciait, selon la légende, s’immerger dans un bain de sang de vierge.
Depuis la naissance du cinéma, le vampire est une source d’inspiration absolument inépuisable. Il n’aura pas fallu attendre plus de douze ans après le premier film de l’histoire tourné en 1888 par les frères Lumière pour voir la première apparition du vampire au cinéma. On la doit à Georges Méliès dans son court-métrage de quelques minutes, Le Manoir du diable, paru en 1896 à voir à ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=mb16vp1eeYU&feature=youtu.be.
D’innombrables oeuvres sont depuis parues, abordant le vampire sous divers angles, du plus classique au plus loufoque, en passant par le vampire romantique, philosophe, érotomane… Proposition de quelques long-métrages à découvrir ou revoir, permettant de parcourir de façon non exhaustive le large éventail de long-métrages vampiriques, par ordre chronologique.

Le père fondateur : Nosferatu le vampire, de F.W. Murnau (1922)

S’il est souvent cité comme la première adaptation filmée du roman Dracula de Bram Stoker, il existe pourtant une première adaptation malheureusement perdue, le film hongrois Drakula halála de Kàroly Lajthay. Le film muet de Murnau est directement inspiré par l’oeuvre de Stoker, mais n’a jamais été autorisé par les ayants droit de l’auteur irlandais décédé en 1912, ce qui explique les changements de nom, le Comte Dracula devenant notamment le Comte Orlok, interprété par l’inquiétant Max Schreck. L’épouse de Stoker avait d’ailleurs poursuivi le studio en justice.
Intemporel chef d’oeuvre de l’expressionnisme allemand, ce Nosferatu est à découvrir impérativement par tout amateur de vampires digne de ce nom.

Le premier classique du cinéma parlant : Dracula, de Tod Browning (1931)

Grand classique, ce film appartenant à la série des Universal Monsters est le premier de l’histoire intitulé Dracula. Parmi les premiers films fantastiques du cinéma parlant, il proposait une vision poétique et romantique du mythe, agrémentée de décors très luxueux mais malheureusement gênée par une mise en scène lente et peu vigoureuse. Le légendaire acteur hongrois Béla Lugosi, qui dut quitter son pays natal en 1919 suite à la chute de la République hongroise des conseils, interpréta Dracula des centaines de fois à Broadway dans une pièce de théâtre adaptée du roman de Bram Stoker. Son charisme et son accent hongrois lui permirent d’obtenir le rôle-titre du film de Tod Browning pour lequel il devint célèbre. Imprégné par la légende du Comte, il fut enterré avec une de ses capes. Pour en savoir plus sur Béla Lugosi, voir le génial Ed Wood, de Tim Burton.

Les grands films de la Hammer (1958-1974)

La célèbre maison de production britannique Hammer Film Productions rayonnait dans les années 50 à 70 grâce à des films fantastiques de qualité, portés par des acteurs charismatiques, dont Christopher Lee et Peter Cushing au premier plan. Au total, neuf films de vampires furent produits, les plus célèbres étant Le Cauchemar de Dracula (1958) et Dracula, Prince des ténèbres (1966). Christopher Lee interprétait un inoubliable et terrifiant Comte Dracula, opposé à l’impitoyable mais facétieux Abraham Van Helsing campé par le très attachant Peter Cushing. Les films de la Hammer firent date grâce à leur ambiance très gothique, un jeu d’ombres et de lumière inédit pour l’époque ainsi qu’un goût du sang très prononcé.
Ces films légendaires devraient orner la bibliothèque de tout cinéphile, accompagnés notamment par d’autres productions de la Hammer telles que Frankenstein s’est échappé et Le Chien des Baskerville, pour ne citer qu’elles. Pour en savoir plus sur l’univers de la Hammer, lire le très documenté Dans les griffes de la Hammer, de Nicolas Stanzick.

La comédie horrifique : Le Bal des Vampires, de Roman Polanski (1967)

Roman Polanski propose avec Le Bal des Vampires une vision satirique du films de vampires. Dans cette comédie rafraîchissante, les vampires possèdent une certaine humanité et rêvent à une vie sociale et à une normalité très terrienne. Chez Polanski, un vampire est juif, un est homosexuel, un est sourd, ce qui prête à un comique de situation mémorable. Si le réalisateur n’a pas son pareil pour susciter l’angoisse et l’effroi, il sait également proposer des films plus lumineux et manier le burlesque de façon remarquable, dont Le Bal des Vampires est un parfait exemple. Le film permet en outre de redécouvrir la douce Sharon Tate dans le rôle d’une candide fille d’aubergiste qui lui va à merveille.

Les films érotiques de Jesús Franco (1970-1972)

Si plusieurs réalisateurs se sont essayés au film érotique impliquant des morts-vivants aux canines protubérantes et assoiffés de sang, le plus célèbre est sans nul doute le farfelu Jesús Franco. On peut citer notamment Vampyros Lesbos (1971) ou La Fille de Dracula (1972), d’étonnantes séries B dans lesquelles les victimes de Dracula sont plongées dans une transe sexuelle. Les scènes mêlant érotisme et violence sanglante, agrémentées d’une musique psychédélique très seventies méritent le coup d’oeil.

Le remake gothique : Nosferatu, fantôme de la nuit, de Werner Herzog (1979)

Werner Herzog réalise en 1979 un remake du classique de Murnau, marquant sa deuxième collaboration avec le très controversé et torturé Klaus Kinski, après Aguirre, la colère de Dieu (1972). Plus sombre et pessimiste que l’original, le film de Werner Herzog est un grand hommage à l’expressionnisme allemand dont Murnau fut l’un des plus grands représentants. L’ambiance gothique et funèbre qui se dégage est assez unique en son genre, alternant visions apocalyptiques glaçantes et rêveries romantiques et poétiques. Klaus Kinski marque par son interprétation habitée d’un personnage tragique, peut-être son plus grand rôle.

L’adaptation fidèle : Dracula, de Francis Ford Coppola (1992)

Le légendaire Coppola livre en 1992 une adaptation très fidèle du classique de Bram Stoker. Assez clivant dans la surenchère esthétique et visuelle qu’il propose, moins sombre et élégants que ses aînés selon certains, ce film n’en reste pas moins une référence du film de vampires, et une référence dans la filmographie du maître. Malgré l’usage outrancière de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, malgré quelques effets spéciaux ayant franchement mal vieilli (notamment les scènes où Dracula prend l’apparence d’une bête sauvage), malgré quelques erreurs de casting (Jonathan Harker interprété par Keanu Reeves, d’une fadeur inédite, pour ne citer que lui), l’oeuvre assène une véritable leçon de cinéma.
Grande fresque romantique portée par un Gary Oldman grandiose interprétant un Dracula magnifique et tragique, accompagné par Anthony Hopkins, inoubliable en Van Helsing à la fois vieux sage, cabotin et aventurier impitoyable, ce Dracula de Coppola ne cesse de surprendre et mérite plusieurs projections tant il est dense et puissant.

Le plus romantique : Entretien avec un vampire, de Neil Jordan (1994)

Il s’agit d’une adaptation du roman d’Anne Rice, premier tome de la longue série Chronique des vampires. Proposant une représentation très classique des vampires (la peau lisse et blafarde, les longs crocs blancs scintillant, les costumes étincelants), Entretien avec un vampire est une longue épopée s’étendant sur deux cents ans. Adaptation grandiose d’un roman complexe, portée par un casting royal (Brad Pitt, Tom Cruise, Antonio Banderas, Christian Slater et la jeune Kirsten Dunst, la grande révélation du film), le film se développe entre autres à travers l’histoire de l’esclavage aux Etats-Unis ou de la Révolution française et développe des thèmes aussi riches et variés que la solitude, l’homosexualité, l’amour filial à travers un duo de vampires grandioses, Tom Cruise en tête, interprétant Lestat, un personnage complexe et délirant permettant d’instiller un peu d’humour dans un film globalement assez sombre et pessimiste.

Le film parodique : Dracula, mort et heureux de l’être, de Mel Brooks (1995)

Dernier film réalisé par Mel Brooks, profitant du succès du Dracula de Coppola, cette oeuvre parodique kitsch et loufoque se moque allègrement de Dracula à travers toutes les périodes du cinéma. Porté par l’inénarrable Leslie Nielsen qui évoque un Béla Lugosi de pacotille, usant et abusant d’un accent slave grossier, le film tourne aussi en dérision le film de Coppola. Van Helsing, interprété par Mel Brooks en personne, en fait des tonnes dans le gore (ce qui n’est pas sans rappeler l’interprétation d’Anthony Hopkins) notamment au cours d’une phénoménale scène de dissection, les succubes sont volontairement fournies de poitrines démesurées, parodiant la célèbre scène érotique avec Monica Belluci du film original et Peter MacNicol campe un Reinfield gobeur de mouches complètement ahuri. Il faut voir l’entrée en scène hilarante du Comte Dracula roulant dans les escaliers après avoir glissé sur une fiente de chauve-souris.
Assassiné par la critique, le film n’en est pas moins un divertissement désopilant.

Les vampires rock n’ roll : Une nuit en enfer, de Robert Rodriguez (1996) et Vampires, de John Carpenter (1998)

A deux ans d’intervalle, Robert Rodriguez et John Carpenter ont livré leur vision très rock du mythe des vampires, présentant un certain nombre de points commun. Les deux films s’intéressent à des groupes de chasseurs de vampires, professionnels (Vampires) ou par nécessité (Une nuit en enfer).
Dans le film de Robert Rodriguez, le spectateur suit le parcours des explosifs frères Gecko (George Clooney et Quentin Tarantino) qui, après un périple criminel pétaradant, vont se retrouver prisonnier d’une taverne mexicaine qui s’avère être un repère de vampires rock n’ roll interprétés entre autres par la belle Salma Hayek et l’inoxydable Danny Trejo. De proie à prédateur, les rôles s’inversent et les deux camps jouent d’ingéniosité et de gore dans un festival gore jouissif.
Moins parodique, le Vampires de John Carpenter met en scène une bande de chasseurs de vampires menés par James Wood dans un rôle à la hauteur de sa démesure. Le maître de l’horreur délivre un western crépusculaire au goût d’apocalypse, couronné par quelques scènes de chasse très réjouissantes et en profite une fois de plus pour dispenser une critique très acerbe de la religion catholique dépeinte ici comme lâche et corrompue. Considéré comme son dernier grand film bien que mineur par rapport à ses plus grands classiques, il reste un excellent divertissement notamment grâce à un final jubilatoire.

Le vampire super-héros : la trilogie Blade (1998-2004)

Si le dernier opus de la trilogie, Blade Trinity, ne mérite pas nécessairement l’attention, les deux premiers marquent une étape importante dans la relation entre vampires et cinéma. Adaptation du Marvel Comics créé en 1973, le premier film réalisé par Stephen Norrington est assez éloigné du produit d’origine qui présentait Blade comme un humain immunisé contre la morsure d’un vampire plutôt que comme un vampire pouvant déambuler à la lumière du jour (diurnambule ou daywalker).
Le deuxième film réalisé par Guillermo Del Toro, d’inspiration très proche de l’animation japonaise notamment dans les scènes de combats, fut un échec critique, bien que plus proche du matériau d’origine. Pourtant, les deux films apportent une vision originale d’un demi-vampire naviguant entre deux mondes. L’interprétation de Wesley Snipes, en roue libre, est réjouissante. Un reboot est en cours, avec l’impeccable Mahershala Ali dans le rôle titre.

La mise en abyme : L’Ombre du vampire, de E. Elias Merhige (2000)

L’Ombre du vampire, oeuvre hélas restée assez confidentielle, narre l’histoire du tournage du Nosferatu de Murnau sous forme de docu-fiction fantastique. En effet, le film, s’appuyant sur des rumeurs vieilles d’un siècle, part du postulat que l’énigmatique Max Schreck, interprète du Comte Orlof (voir plus haut) est lui-même un vampire. Naviguant entre hommage au grand classique de Murnau et reportage sur un tournage complexe marqué par d’étranges disparitions, le film est porté par Willem Dafoe qui trouve ici l’un des rôles de sa vie en interprétant l’acteur-vampire et John Malkovich, très convaincant en Murnau. Le film mérite que l’on s’y attarde, tant pour la reconstitution minutieuse de l’époque que pour son scénario inédit.

Le plus moderne : Morse, de Tomas Alfredson (2008)

Film suédois adapté du roman horrifique Laisse-moi entrer, Morse se déroule dans les années 80 dans la banlieue de Stockholm et narre la relation entre Oskar, un garçon de 12 ans fragile, victime de harcèlement scolaire, et l’énigmatique Eli, sa jeune voisine qui s’avère être un vampire âgé de plusieurs siècles. L’irruption du surnaturel sert ici à introduire une critique virulente des travers de la société. Tout y passe : vol, viol, pédophilie, drogue… Le traitement proposé du vampirisme est donc parfaitement inédit, l’enfant-vampire se faisant l’allégorie du mal-être d’une enfance délaissée, du passage difficile à l’adolescence et plus largement de la mort. Très esthétique, d’une grande noirceur, Morse est un grand film, unique en son genre, dont les thématiques très actuelles dépassent très largement celle du film de vampire.
Let me in, un remake américano-britannique sorti en 2010, est très correct mais moins subtil et n’apporte rien de plus à l’oeuvre originale.

La saga post-ado et grand public : Twilight (2008-2012)

Adaptés de la suite de romans à succès de Stephanie Meyer mêlant fantastique et romance, la saga cinématographique s’adresse de même essentiellement à un public adolescent. Développant longuement un triangle amoureux entre une humaine, un vampire et un loup-garou, les films firent décoller la carrière de Robert Pattinson et Kristen Stewart. Les cinq long-métrages connurent un échec critique retentissant à l’échelle mondiale, accompagné d’un joli succès au box-office.

Le vampire existentialiste : Only lovers left alive, de Jim Jarmusch (2013)

Suivant les errances des amants vampires Adam (Tom Hiddleston) et Eve (Tilda Swinton) dans un monde auquel ils n’ont plus le sentiment d’appartenir, Only lovers left alive est un beau film intime développant plusieurs thématiques chères au cinéaste : la crise de la quarantaine, la solitude, la lassitude de vivre dans un monde que l’on ne comprend plus. Loin des films de vampire classiques, celui-ci ne présente pas les créatures comme des prédateurs, mais bien comme des êtres immortels, spectateurs de la lente dégénérescence de l’humanité.

Et ensuite ?

Le sujet semble inépuisable, les réalisateurs redoublant d’ingéniosité et de créativité pour proposer une grande diversité de films de vampire en tous genre.
Le jeune Robert Eggers, un des grands talents de la nouvelle vague du cinéma d’horreur (http://culturaddict.com/un-nouveau-cinema-dhorreur-rafraichissant-a-travers-cinq-jeunes-realisateurs/), après avoir lâché la bombe The Witch et son dernier film The Lighthouse (sortie en salles prévue le 18 décembre 2019), travaille actuellement sur un remake du Nosferatu de Murnau. Affaire à suivre.