Captant toute la difficulté de s’exprimer en tant qu’adolescent, « Aristote et Dante découvrent les secrets de l’univers » est une merveilleuse surprise aussi belle que dure. C’est pour cela qu’il nous paraissait important d’en discuter avec sa réalisatrice, Aitch Alberto.

Votre film vient d’un roman. Quelle a été votre connexion avec cet ouvrage ?

Je l’ai trouvé par la recommandation d’un ami qui m’a dit que je devais lire les deux opus et je les ai lus en une fois. Je les ai trouvés si beaux et spéciaux d’une façon que je n’ai jamais vue auparavant en ce qui concerne la communauté latino, surtout aux États-Unis. L’histoire avait un ton très doux dans sa façon de recadrer ses personnages et ce d’une manière unique. Cela a débloqué quelque chose en moi qui a fait que c’était impossible de ne pas vouloir adapter cette histoire. C’est comme cela que tout a commencé en 2014 et que j’ai entamé ce trajet de 9 ans.

Il y a désormais de plus en plus de productions fictionnelles queer. À quel point est-ce important pour vous de voir ces voix émerger de plus en plus ?

Je pense, plus que tout, que l’on soit queer ou non, qu’il y a eu des fictions qui parlaient sur un ton assez condescendant aux plus jeunes. Je crois que cette histoire regarde la réalité qu’est l’adolescence, pas seulement de façon douce et moelleuse mais aussi la douleur, la confusion, surtout selon les circonstances que nous donne la vie. Je trouve donc très important de refléter cela à des jeunes personnes, surtout celles queer, et de leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls sur ce chemin. Le film est le moyen parfait de parler de cela.

C’est intéressant car quelque chose qui m’a surpris est la façon dont vous appréhendez la difficulté d’être adolescent, de devoir exprimer ses sentiments sans savoir comment y parvenir…

C’est la vérité d’être à cet âge, surtout quand on se sent différent. Vous ne savez pas comment le ressentir ni comment en parler. Donc on se sent réellement seul car on a l’impression que tout le monde appartient quelque part et que vous êtes un outsider. C’est un chemin très solitaire mais je pense que le film parle de la façon de réaliser tout cet amour qui nous entoure et comment bâtir notre propre route. Je pense que cela reste dur quand on est dans cette situation. Je ne veux plus voir d’autres films où on parle du lycée ou de l’adolescence comme quelque chose de facile car c’est la période la plus compliquée pour tout le monde à mes yeux et on n’en parle jamais réellement, de ce sentiment de confusion. De là, si on ajoute la couche d’être une personne queer ou marginale dans n’importe quelle communauté, c’est un sentiment encore plus intense.

Il n’y a pas de réelle nostalgie dans le film mais la façon dont vous inscrivez historiquement le long-métrage, avec cette émission radio qui parle de crack ou ce reportage qui parle de sida, tout en ayant des musiques purement années 80, vous permet d’avoir cette réalité de l’époque…

C’était très important pour moi car je voulais en faire quelque chose qui soit aussi intemporel, que tout le monde peut regarder n’importe quand sans que cela ne fasse daté. Au-delà de ce qui se déroule qui est spécifique historiquement, je voulais que le film offre une sensation de fondation temporelle, loin du côté kitsch et gimmick de nombreuses productions récentes parlant des années 80. Je voulais juste que cela soit naturel et réel comme ça l’était à l’époque.

Il y a un côté assez cru, comme lorsqu’Aristote frappe violemment l’agresseur de Dante. Comment gérer cette violence ?

Je pense que la scène est controversée mais méritée car Aristote est si calme, il n’a jamais utilisé ses mots à sa manière de toute l’histoire et c’est à ce moment qu’il peut libérer tous ces non-dits. C’était donc important pour moi que ce soit aussi violent que possible, comme un miroir lorsqu’il apprend la vérité à propos de son frère. C’est une de mes scènes préférées mais également une des plus cruciales à l’histoire car elle révèle Ari de plusieurs manières et il se libère de beaucoup de choses dans cet instant.

Ça interroge aussi une certaine violence masculine…

Oui, c’est une chose que le film interroge : quelle est la définition pour être un homme ? Je pense que son idée est mauvaise de nombreuses manières à cause des modèles qui l’entourent. Je crois qu’il réalise à cet instant que ce n’est pas cet homme qu’il souhaite devenir mais qu’il en est capable. C’est important de montrer que les hommes peuvent ressentir une grande dose de sensibilité tout en étant masculins, ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est ce qu’il découvre ici : ce n’est pas lui mais il est capable d’être cela.

Il n’y a pas de bonne romance sans bonne alchimie et vos deux acteurs principaux ont cette union. Comment avez-vous travaillé avec eux ?

C’était une relation forte entre nous trois durant le gros du film. Je pense que j’ai essayé de les laisser développer une connexion mais pour moi, il fallait créer un espace assez sûr pour qu’ils puissent exprimer leur vulnérabilité dans leur manière d’incarner ces personnages. Je voulais qu’ils puissent s’autoriser à être le plus honnêtes entre eux et avec moi. L’important était vraiment de créer une confiance et qu’ils se sentent le plus protégé possible.

J’aime beaucoup la lumière du film, surtout dans le premier tiers, le poids estival et le bouillonnement émotionnel qu’on ressent…

Mon intention était d’utiliser le plus de lumière naturelle pour étreindre les personnages au plus. C’est une métaphore du film, cette façon dont Aristote se sent se reflète dans la météo, surtout quand Dante est dans le cadre avec lui. La question était donc : comment utiliser au mieux la lumière pour montrer ce que ressent Aristote ? C’était donc beaucoup à propos de la lumière naturelle, la chaleur de l’été et le sentiment du désert. Tout cela était très intentionnel, comme la façon dont on a travaillé le ciel et les couleurs, tous guidés par ses émotions et leurs évolutions au fur et à mesure du film. Si vous prêtez attention, il fait plus nuageux quand Dante n’est pas là et c’est plus lumineux quand il est présent. Il fallait que l’on présente en miroir cette histoire comme un conte de fées qui n’en est évidemment pas un mais avec une lumière qui capture cette même magie. Comment être magique sans utiliser de CGI ? Même quand on est sous l’eau, il fallait montrer cela comme un univers à part.

Si je ne me trompe pas, le film est sorti aux États-Unis en septembre et arrive maintenant en Europe. Quel regard adoptez-vous sur cette sortie ?

J’aurais préféré que le film ne soit pas sorti durant la grève hollywoodienne car cela a affecté la sortie mais les garçons et moi recevons des lettres presque tous les jours sur l’importance qu’a le film sur les personnes qui l’ont vu ou le découvrent maintenant. C’est drôle d’aller sur Twitter et de lire des commentaires de fans qui se demandent pourquoi on ne parle pas plus de notre film. J’approuve mais c’est surtout au vu des circonstances avec cette grève qui nous a empêché de le promouvoir et d’en parler comme on voulait donc on a fait du mieux qu’on a pu. C’est très gentil de lire ce que les gens ont ressenti devant notre film.

Merci à Youri Delmoitiez de Com’ des demoiselles et au Festival du Film de Mons pour cet entretien.