Invité d’honneur de la dernière édition du Brussels International Fantastic Film Festival, Fabio Frizzi est une légende du cinéma de genre, notamment pour ses collaborations avec Lucio Fulci. Nous avons profité de son passage dans la capitale belge pour lui poser quelques questions.

Comment s’est passée votre première rencontre avec Franco Bixio et Vince Tempera ?

Ça, c’est une question qui m’est rarement posée ! On me demande souvent cela pour Lucio (Fulci) ou Lamberto Bava mais mes copains de travail, personne ne me demande ça ! C’est une chose très belle. À un certain moment, j’ai connu Carlo Bixio, qui était un éditeur. Malheureusement, « était » car il est décédé il y a quelques temps mais c’était un grand ami et un grand professionnel. C’était le fils d’un grand compositeur italien du siècle passé. Son papa était celui qui avait écrit la toute première chanson pour un film italien, Cesare Andrea Bixio. C’était un génie de la première partie des années 1900. Il écrivait beaucoup, faisait des chansons pour des films, avait eu un succès incroyable et avait créé la société dans laquelle je suis entré à un certain moment. J’avais 21 ans. Je connaissais ce mec qui était sympa et qui discutait de notre amour pour la voile. J’étais le fils d’une personne importante, Fulvio Frizzi, qui travaillait dans le grand cinéma. Carlo Bixio était un jeune monteur et m’a dit un jour « On essaie, on commence ». C’est normal quand tu arrives en tant que jeune musicien d’apprendre à faire des choses mais c’est un métier, comme le tien de journaliste, qu’on apprend en le faisant. Si tu n’as pas la chance de commencer, c’est vraiment difficile. Carlo m’a dit que j’avais besoin de quelqu’un pour m’aider à mes débuts. Pour faire un film, il y a beaucoup de choses à gérer, comme la salle de montage, et tu dois connaître beaucoup de choses que tu ne connais pas. Il a mis son frère, Franco Bixio, à mes côtés. Avec lui, on a fait un petit travail pour la télévision, on a écrit des thèmes, à la façon des comiques muets américains comme Buster Keaton. Ici, c’était une autre série qui allait sur Rai 2. Franco est venu avec moi et, grâce à lui, j’ai pu voir comment on pouvait écrire. Je me souviens du premier « turno de registrazione » avec des musiciens incroyables que je ne connaissais que de nom. J’étais aussi en contact avec Carlo Simione, qui était un autre des jeunes qui commençait dans la même émission. Un jour, Carlo m’a dit « On essaie ». Il y avait ce film, « Amore Libro – Free Love ». J’avais des tas d’idées (tu peux imaginer, j’avais 22, 23 ans) mais je faisais des démos tapes dans ma maison avec un revox, un enregistreur de pistes. Je lui ai amené un peu de choses, il était content mais il m’a dit « Fabio, tu as besoin de quelqu’un qui t’aide un peu ». Vince Tempera était un arrangeur fantastique qui faisait beaucoup de disques et je connaissais déjà Franco. Ils m’ont donc dit qu’ils allaient m’aider pendant que j’écrivais. On allait prendre les temps de la musique avec Franco. Vincenzo, quand on allait enregistrer avec les cordes, il faisait le chef d’orchestre. Le film était pas mal et on a vendu la musique dans beaucoup de pays. L’année d’après, en 1975, il y avait « Fantozzi ». Vous le connaissez un peu en France mais en Italie, c’était une comédie révolutionnaire sur l’italien de la petite ville qui part découvrir la grande ville et ses problèmes. C’était une révolution. On m’a dit de faire sa musique avec Franco et Vince et ça a été un succès incroyable. Pendant ce temps-là, les Goblins étaient nés, ils avaient fait « Profondo Rosso » et leur histoire commençait. Alors je crois que Carlo voulait avoir un autre groupe à côté dans la même organisation et on a donc commencé à travailler ensemble. C’est normal avec un bon éditeur et deux collaborateurs comme eux de former une force incroyable, on pouvait commencer à travailler sur plusieurs projets en se partageant les tâches. C’était une vraie usine ! (rires) Ça a été une très belle histoire. Puis après 5 ans, j’ai cherché à voir si je pouvais faire ce travail par moi-même. Mais on est encore amis ! Avant-hier, j’étais à l’avant-première d’un beau film italien à Rome et je suis le compositeur et l’éditeur de Franco donc c’est une vie qui continue ensemble.

Il y a une bande originale dont j’avais envie de reparler avec « Sette note in nero », « L’emmurée vivante ». Il y a cette chanson de début, « With you », l’aspect cyclique aussi du thème principal, … Est-ce qu’il y a moyen de revenir sur cette expérience, qui fut également votre première collaboration avec Fulci ?

On avait commencé avec « Quattro de l’apocalypse » mais c’était quelque chose de différent. « Sette note in nero », on commence vers l’horreur, même si ça n’en est pas totalement. J’ai des souvenirs incroyables dessus car on commençait à être à côté de Lucio. Il nous disait qu’il voulait cette chose avec ces sept notes. La chanson, c’était un moment magique. C’est la voix de Linda Lee, le nom de scène d’une femme nommée Rosana Barbieri, qui venait de Parme, une région incroyable. Elle travaillait dans un groupe qui s’appelait « Daniel Sentacruz Ensemble » qui avait eu du succès et elle avait cette voix très haute, cristalline. Lucio nous fait voir la scène de début, avec la femme qui meurt en plongeant dans la mer. Je trouve ça très beau car ça commence de cette façon avant de partir dans une situation totalement tragique. On a fait beaucoup de musique sur ce film, ce qui arrive quand on a beaucoup d’idées comme nous sur ce film. Ce « Sette note », Tarantino l’a utilisé après beaucoup de temps mais c’était quelque chose de très particulier. Il y avait aussi beaucoup de musique d’orchestre. Vince Tempera travaillait beaucoup sur cet aspect. Je crois que c’est un film complet et assez magique. C’est un film qui n’a pas beaucoup fonctionné en Italie à sa sortie mais, comme beaucoup de films que j’ai faits, c’est devenu par la suite un succès absolu. Aujourd’hui, je vois que c’est un des films les plus aimés de ma carrière ainsi que de celle de Lucio Fulci.

« Sette Note In Nero »

En parlant de lui, il y a aussi des thèmes absolument mémorables comme « L’au-delà » ou « Frayeurs ». Comment musicaliser cette atmosphère de cauchemar ?

En faisant que les choses arrivent ! Pour Lucio, je faisais des efforts incroyables car je voulais faire la chose juste qu’il voulait. Il demandait à toute l’équipe du film qu’on arrive à procurer ces sensations uniques au public. Sur « L’au-delà », il y a beaucoup de thèmes et j’aime beaucoup celui de l’aveugle. La chose est devenue simple car je suis allé à l’endroit où ils tournaient les scènes d’intérieur. Il y avait cette fille qui jouait l’aveugle et elle avait ces morceaux sur ses yeux pour son maquillage. C’était incroyable car ce n’était pas comme aujourd’hui où on peut tourner ça de manière plus simple. C’étaient des morceaux de verre qui étaient fixés. J’étais là au moment de tourner cette séquence où le chien la tue pendant que Lucio s’occupait des lumières quand je vois ce vieux piano qui sert au théâtre. Ils ne sont jamais accordés. Je suis comme un bébé donc je suis allé jouer avec en faisant ce thème. Lucio s’est tourné vers moi et m’a dit que c’était ça qu’il voulait, qui soit sonnant. J’ai compris parfaitement ce qu’il voulait, je suis rentré chez moi et j’ai commencé à jouer ce morceau (il chantonne le thème de la séquence). C’était un peu fou mais avec une mélodie qui te prend. En ce moment, je termine de travailler sur un film américain et j’aime toujours qu’il y ait dans un morceau ce petit instant de mélodie qui reste avec toi quand tu sors de la salle de cinéma. Je crois que tu peux te souvenir de l’émotion que tu éprouves devant un film mais que c’est plus facile de reprendre avec toi un morceau de musique. Morricone, quand il a fait les Sergio Leone, tu gardes un morceau de musique et tu vois le film. C’est la chose que j’essaie toujours de faire. Beaucoup de personnes pensent que les musiques de films d’horreur doivent être graves, DAM DAM DAM, alors que je pense le contraire. C’est normal qu’il y ait des instants avec des coups, il le faut parfois, les gens doivent aussi sursauter mais je crois que la chose la plus importante est de porter au dehors cette chose que toi et moi portons en dedans, cette petite souffrance . La musique peut dire beaucoup de choses dans ces scènes. On peut choisir le son ou l’instrument, mais il faut un message. J’ai toujours essayé de trouver ce message.

Vous collaborez avec plusieurs jeunes réalisateurs et réalisatrices sur leurs courts-métrages, notamment « À la limite » de Clotilde Colson, qui est passé au BIFFF. Qu’est-ce qui vous motive à collaborer avec ces nouveaux talents ?

J’adore le fait qu’aujourd’hui, un des filons qui aide les jeunes à s’approcher du cinéma est le fait d’aimer l’horreur car c’est quelque chose qui fonctionne beaucoup maintenant. Les jeunes peuvent donc s’y lancer une fois qu’ils ont la bonne idée. Dans le cas « À la limite », on s’est rencontrés lors d’un de mes concerts en Belgique. Le conseil que je donne dans mes masterclass aux jeunes collaborateurs est de trouver un ami qui est un jeune réalisateur et d’essayer de lier vos vies car s’il a un certain succès, vous pouvez aller en avant. Concernant ce petit film, elle est venue en me proposant un petit scénario et je l’ai ramené à Rome pour le lire. C’est bien parfois d’aider les jeunes et je crois que j’en ai fait assez pendant cette dernière décennie. Il y a quelques petits chefs d’œuvre, dont un d’un ami américain, et d’autres qui sont pas mal, qui racontent quelque chose. Parfois, ça peut aider de pouvoir dire « Il y a Fabio qui travaille dessus, c’est peut-être quelque chose à voir ». La dernière chose, c’est que je vais travailler au mois de mai à Londres avec des jeunes dans la trentaine qui ont fait un petit film de neuf minutes et demie. Ils m’ont demandé de le voir pour leur donner des conseils. J’en suis tombé amoureux car c’est une histoire un peu horreur mais assez particulière. Je leur ai donc dit que j’aurais besoin de quelques collaborateurs mais que je serais ravi de les aider. Je crois qu’il y a beaucoup de choses à faire. Le cinéma américain est dans une terrible crise donc essayons de planter quelques petites pousses, de leur donner un peu d’eau et de voir quels talents peuvent émerger.

Merci à l’équipe du BIFFF pour cet entretien.