L’Origine de la violence revient sur un épisode douloureux de l’histoire de l’humanité, en insistant non seulement sur la souffrance mais sur l’ambiguité de l’époque. Elie Chouraqui choisit de montrer la Shoah sous un angle romanesque tragique en extrapolant d’un cas unique pour faire ressortir les mécanismes psychologiques expliquant l’inexplicable. Avec un recul et un parti pris que je n’avais personnellement jamais vu si judicieusement porté à l’écran. Ce film est juste foudroyant d’intelligence. Pas de pathos ou de grand procès, juste un brillant éclaircissement.
La Shoah est un sujet abondamment traité au cinéma avec une kyrielle de films inoubliables. La Liste de Schindler, Black Book, La vie est belle, Le pianiste, Le Choix de Sophie, The Reader, la liste est longue. Comprendre la seconde guerre mondiale et le processus méthodique d’extermination de millions d’individus dépasse l’entendement. La réflexion associe les mots barbarie et monstruosité, l’imagination fait le reste. Hors, ce furent bien des hommes aux manettes, sans longues dents ni griffes acérées. A une époque où les super héros portent des capes et où les méchants font des têtes pas possibles, il faut restituer les choses dans leur contexte. Les nazis faisaient parti d’un système, froid et implacable, mais suffisamment bien huilé pour emporter l’adhésion de millions d’individus et devenir affreusement banal.
On en revient au concept brillamment échafaudé par Hannah Arendt sur la banalité du mal. On prête souvent des visages sadiques et fielleux aux chefs de camp. Ralph Fiennes dans La Liste de Schindler en Amon Göth a un visage pas possible par exemple, il exsude le sadisme par tous les pores, il ne peut qu’être un enfoiré en phase terminale d’atrocité. Mais est-ce si simple? L’Origine de la violence raconte l’histoire d’un individu qui tente de retracer son histoire familiale tandis qu’il croit reconnaitre son père en habit de détenu sur une photo d’époque entrevue à Buchenwald. Nathan Fabre (Stanley Weber) remonte le fil de l’histoire jusqu’à découvrir une vérité soigneusement cachée sous le tapis. Son père Adrien Fabre (Richard Berry) et son grand père Marcel Fabre (Michel Bouquet) en disent peu ou ne disent rien du tout. A lui de tout découvrir.
Au fur et à mesure de ses recherches et des discussions avec des survivants de l’époque, c’est non seulement la cruauté de l’époque qui apparait mais également son ambivalence. Plusieurs épisodes insistent pertinemment sur un pan entier de l’histoire habituellement passé sous silence. Car la recherche de coupables tend à simplifier les choses, à les rendre manichéennes à tout prix, avec des gentils et des affreux. Le film montre, au contraire, qu’au lieu de scinder à tout prix les lignes, il faut comprendre l’ambiguité de la situation. Ainsi quand un survivant déclare qu’au contraire des images souvent relayées, les détenus riaient dans les camps. Car c’est simplement humain et nécessaire pour conjurer la peur. A part dans La vie est belle, film qui utilise le rire comme moyen de mise à distance, je ne me souviens pas d’avoir vu un film avec des détenus en train de rire…
Pareillement, quand l’affreux chirurgien explique à Nathan qu’il est facile de réagir des années après sans rien comprendre de l’esprit de l’époque. Je trouve ça personnellement admirable. Il ne tente pas de se dédouaner mais de mettre les choses en perspective, et cette perspective vient souvent à manquer. Pour bien comprendre la souffrance, il ne faut pas seulement parler au coeur, mais également à l’esprit, et c’est ce qu’Elie Chouraqui rend perceptible. Il n’insiste pas lourdement et simplement sur la souffrance mais il resitue dans un contexte. Et si le héros, qui n’a pas connu les années 40, vit si mal sans savoir pourquoi, c’est justement parce qu’il lui manque les éléments de compréhension, que sa famille finira par lui révéler. Car la vérité est souvent bien plus compliquée que ce qu’en disent les médias…
Un film à découvrir absolument. Si le traitement formel reste classique et que les acteurs jouent leur partition honnêtement, c’est surtout la portée philosophique du film qui en fait un incontournable du cinéma. A découvrir! Parce qu’il est difficile de penser la Shoah devant tant d’atrocités, pourtant Elie Chouraqui porte à l’écran le livre de Fabrice Humbert avec honnêteté et simplicité. C’est beau.
https://youtu.be/sqHmj7YR9g0