Quand MI3 est arrivé sur les écrans en 2006, les craintes étaient légitimes pour un public qui attendait certes un spectacle pyrotechnique mais ne savait pas ce qui l’attendait. Qu’allait donc pouvoir apporter de plus Tom Superbright Cruise? Plus de cascades, plus d’explosions, plus de prises d’Haikido? Le visage de la franchise a fait mieux avec le soutien enthousiaste de J.J. Abrams. Il ne s’est pas contenté d’en faire plus, il a totalement renouvelé le mécanisme du cinéma d’action. Grâce à un méchant qui s’inscrit dans la légende du cinéma, rien que ça, en la personne d’Owen Davian interprété par le toujours magistral Philip Seymour Hoffman. Pas de super pouvoirs, pas de sbires ailés ou cuirassés, juste un irrésistible dédain pour tout ce qui se met en travers de son chemin. Jusqu’à glacer le sang, rien de moins.

Un méchant entré dans la légende

Qui es-tu ? Comment t’appelles-tu ? Est-ce que tu as une femme, une copine ? Parce que si c’est le cas, je vais la trouver. Je vais lui faire mal. Je vais la faire saigner et pleurer et t’appeler. Puis je te trouverai et je te tuerai devant elle. Avec ce genre de réplique, Philip Seymour Hoffman a touché sa cible. Kidnappé, harnaché, en mauvaise posture, le méchant garde son sang froid et montre en une phrase qu’il n’en a juste complètement rien à carrer de ce que ses ravisseurs pourraient lui faire subir. Owen Davian est une sorte de petit frère du Yuri Orlvov interprété par Nicolas Cage dans Lord of War. Un maillon dans la chaine, une courroie de transmission, le mec qui fait le sale boulot pour les autres. L’homme sans qui rien ne serait possible, les armes ne pourraient pas transiter entre acheteurs et vendeurs, de colossales sommes d’argent resteraient assoupies dans les coffres de banques échouées dans un paradis fiscal. C’est un facilitateur sans vergogne ni humour, potentiellement ennuyé par son rôle et qui ne veut aucun obstacle chronophage sur sa route. En un mot, le méchant parfait. Il ne représente rien, n’a aucune attache et ne défend aucune cause. C’est un mercenaire qui ne veut sauver aucune planète ni faire plaisir à personne. Comment lutter contre une ombre?

1… 2… 3…

Il n’y a qu’à le voir faire le décompte devant un Tom Cruise médusé. A 10, il exécute la femme de ce dernier. Est-il sadique? Vindicatif? Prend-il du plaisir? Non, il est juste profondément ennuyé et voudrait arriver le plus tôt possible à 10. L’enjeu principal du film, la fameuse Rabbit food que le spectateur ne verra pas ni ne saura jamais vraiment ce que c’est, ne représente qu’un enjeu négligeable pour la main noire du crime. Là où Ethan Hunt et ses sbires multiplient les exploits dans des scènes savamment orchestrées, le méchant se laisse porter. Il a son garde du corps, sa traductrice, des hommes de main qui remuent ciel et terre pour le récupérer quand il est en mauvaise posture. Il est un joyau humain et pour ainsi dire l’enjeu principal du film. Aussi inestimable qu’une bombe atomique. Il n’y a qu’à voir la différence avec un Ethan Hunt revêtant un masque de lui pour saisir la subtilité. Le méchant n’a jamais envie de rire et quand il parle au héros du sort qu’il réserve à sa femme, on le sent aussi impliqué que s’il rédigeait une liste de courses tout en ne faisant pas douter le spectateur sur sa capacité à mettre ses menaces à exécution.

Du grain à moudre pour Hollywood

Sans ailes ni pouvoirs magiques, ce méchant tient en haleine tout le film durant, donnant à ce 3e épisode de Mission Impossible une aura qu’aucun autre ne parvient à approcher, le dernier mis à part grâce à la sublime Rebecca Ferguson en robe jaune. En apparaissant à doses comptées à l’écran, il ressemble au Joker du Dark Knight, toujours un coup d’avance, jamais vraiment pris au dépourvu. Pour qui aime être fasciné par des personnages bigger than life, cet Owen Davian est un vrai plaisir coupable. On l’imagine payer ses camarades de classe à l’école primaire pour en brimer d’autres. Jamais de sang sur les mains mais la conscience irrémédiablement tachée de tous les crimes qu’il diligente. Et comme il travaille pour des commanditaires très puissants, de grands pays qui restent dans l’ombre, il sait qu’il ne craint rien. Et il faudra une équipe agissant hors du cadre de la loi pour mettre fin à ses agissements. Bien trop rapidement, ceci dit, ce personnage aurait mérité d’apparaitre dans au moins 2 films. Comme le Joker. Surtout que maintenant c’est trop tard, et bien dommage. Comme pour le personnage interprété par Heath Ledger.

Le vrai visage du capitalisme?

MI3 ose ne pas s’attaquer aux méchants djihadistes, ni aux horribles russes ou à quiconque s’inscrivant dans une mouvance terroriste. Le méchant est des nôtres, blanc et blond, tiré à 4 épingles, possiblement distingué, et retors. Une sorte d’agent double uniquement intéressé par son profit personnel et l’absence de perte de temps. Quand un méchant a des traits similaires à ceux du héros – quoiqu’un peu plus replet – il parvient à se cacher dans la multitude sans aucun signe ne permette de le distinguer. Le caméléon parfait. Une sorte de miroir obscur du héros, une éminence grosse du crime. Ce méchant illustre la duplicité du capitalisme, ses zones d’ombre, ses insuffisances. Les paradis fiscaux, les ventes d’armes massives et les agissements obscurs tranchent avec l’image idéalisée que le capitalisme veut donner de lui même. Ce film montre qu’il ne faut pas être dupe. Les ennemis ne sont pas si loin de nous, il sont cachés tout près de nous et ne nous veulent pas du bien. L »occident, un monde parfait, vraiment?